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ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITE. Un Canadien sur cinq sera atteint au cours de sa vie de problèmes de santé mentale, indiquait le Centre de toxicomanie et de santé mentale avant le début de la pandémie. Ce taux subira une forte hausse au courant des prochains mois, disent les experts. L’augmentation de la médication, des consultations et des congés prolongés représentera tout un défi pour les assureurs collectifs.
Elle est bien loin, l’époque où les blessures au dos étaient la principale préoccupation des entreprises en matière de santé des employés. Depuis de nombreuses années déjà, c’est la menace des troubles de santé psychologique qui plane sur les régimes d’assurance invalidité. Et tout indique que la COVID-19 va accélérer cette triste tendance. Selon la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), les troubles de santé mentale représentent 70% des coûts dans les régimes d’assurance invalidité. «C’était déjà la cause numéro un avant la pandémie, confirme Daniel Dufour, chef de produits à la prévention et à la gestion des invalidités chez Desjardins Assurances. Il est trop tôt pour se prononcer avec précision sur les futures tendances de réclamations, mais c’est certain qu’avec tout le stress que les gens ont vécu dans les derniers mois, il faut s’attendre à une hausse des invalidités liées aux problèmes de santé mentale.»
L’Indice de santé mentale de Morneau Shepell a enregistré en août une baisse de 11 points par rapport au score de référence de 75 enregistré avant le début de la pandémie. Au pire de la crise, au début du mois d’avril, cette mesure de la santé mentale des Canadiens avait chuté de 16 points par rapport au score de référence, une baisse sans précédent.
Si certaines catégories d’employés sont plus à risque notamment les jeunes, les femmes, les parents de jeunes enfants et les personnes vivant seules , aucun travailleur n’est à l’abri. «Même ceux qui n’avaient pas un niveau de stress ou d’anxiété élevé avant la pandémie ont été affectés», prévient Lisa Angeloni, vice-présidente aux ventes et au succès client pour le Québec chez Morneau Shepell, qui souligne que des employeurs contactent sa firme pour obtenir des conseils à ce sujet. «Beaucoup de gens disent qu’après la crise de la COVID-19, on va vivre la crise de la santé mentale.»
Bombe à retardement
Les troubles de santé mentale ont cela de particulier qu’ils mettent souvent un certain temps avant que les effets se fassent sentir. «Selon notre expérience, dans des situations de crises, comme des inondations ou des feux de forêt, ce n’est que quelques mois plus tard que l’on commence à observer une hausse de l’utilisation des programmes d’aide aux employés», soutient Daniel Dufour.
«Il ne faut pas penser que parce que certaines personnes sont retournées au travail et que la situation s’est améliorée cet été que les problèmes de santé mentale ont disparu, bien au contraire», renchérit Jean-Pierre Brun, professeur associé au Département de management de l’Université Laval et cofondateur de la firme de consultation Empreinte humaine.
Des actions
Pour éviter une épidémie de troubles de santé mentale chez leurs employés à la suite de la pandémie, les employeurs doivent agir, insiste-t-il.
Les travailleurs s’attendent d’ailleurs à ce que leur employeur leur offre davantage de soutien en matière de santé mentale. Selon un sondage de Morneau Shepell publié en juillet, plus du tiers des employés canadiens (34%) indiquent que durant la pandémie, leur employeur a répondu à leurs besoins en santé mentale de façon incohérente, médiocre ou très médiocre.
«Il y a de bons et de moins bons citoyens d’affaires, estime Jean-Pierre Brun. Les meilleurs programmes de prévention ont souvent été mis en place dans les grandes entreprises qui ont plus de moyens. Pour les PME, c’est plus difficile.» Il souligne toutefois que la CSMC a démontré que pour chaque dollar investi en santé mentale, il y a un rendement de trois dollars. «C’est rentable.»
S’assurer que les employés conservent une saine santé mentale permet évidemment de réaliser des économies en assurance invalidité, mais également en matière d’absentéisme et de productivité. Dans certains cas, un programme de soutien en santé mentale bien conçu pourrait aussi contribuer à réduire la consommation de médicaments. Un rapport d’Express Scripts Canada publié en juillet révèle que le nombre de participants à un régime privé d’assurance médicaments ayant fait une demande de remboursement pour des antidépresseurs entre janvier et juin 2020 a grimpé de 11% par rapport à la même période en 2019.
«Les entreprises qui hésitent à investir en santé mentale vont en payer le prix avec le départ de leurs employés, affirme Jean-Pierre Brun. Les gens ne veulent plus travailler dans des environnements où ils sentent que leur santé psychologique est menacée.»
La santé des entreprises est intimement liée à la santé des employés, souligne pour sa part Daniel Dufour. «Plus on investit en prévention, moins nos régimes de soins de santé coûteront cher à l’avenir. Les employeurs qui n’ont pas de stratégie claire en place doivent passent à l’action. Il n’est jamais trop tard, mais ils doivent agir vite.»