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Des médicaments prescrits, mais jamais pris

Pierre-Luc Trudel|Édition de la mi‑octobre 2020

Des médicaments prescrits, mais jamais pris

Les employeurs et l’ensemble de l’industrie s’inquiètent de cette tendance croissante que constitue la non-adhésion aux traitements. (Photo: Laurynas Mereckas pour Unsplash)

ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITE. Les médicaments pèsent lourd dans les coûts totaux des régimes d’assurance collective. Mais qu’en est-il des coûts associés aux employés qui ne prennent pas assidument les médicaments prescrits par leur médecin? 

Depuis quelques années déjà, les employeurs et l’ensemble de l’industrie s’inquiètent de cette tendance croissante que constitue la non-adhésion aux traitements. 

Ainsi, parmi les employés couverts par un régime privé qui ont une ordonnance pour au moins un médicament, 43 % avouent qu’ils ne la suivent pas toujours à la lettre, selon l’édition 2020 du sondage Sanofi Canada sur les soins de santé. Ce pourcentage grimpe à 61 % chez les participants de 18 à 34 ans. 

De manière générale, plus les assurés consomment de médicaments, plus leur taux d’adhésion est bas. Chez les patients qui prennent plus de quatre médicaments, 77 % sont jugés non adhérents à au moins un de leurs traitements par Express Scripts Canada. Ce gestionnaire de régimes de soins de santé soutient qu’il s’agit d’une tendance « alarmante », parce qu’elle entraîne une aggravation des problèmes de santé, des invalidités, des hospitalisations et des examens médicaux supplémentaires, entre autres.

 

Première cause : l’oubli

La moitié des participants qui ne prennent pas toujours leurs médicaments indiquent que cela se produit au moins le quart du temps, selon le sondage Sanofi Canada. « Au-delà du seuil de non-respect de 20 %, il est fort probable que le médicament ne soit pas aussi efficace que prévu », a prévenu Thi Vu, directrice à l’assurance collective à Canada Vie, lors d’un webinaire diffusé en juin dernier. 

L’oubli est de loin la principale raison pour laquelle les participants ne prennent pas leurs médicaments (41 %), suivie par la perception qu’ils n’en ont pas besoin parce qu’ils se sentent bien (24 %) et le manque de médicaments (20 %). La commodité peut également être un facteur : 69 % des participants conviennent qu’il n’est pas pratique de consulter leur médecin pour faire renouveler leur ordonnance. 

Toujours selon les données du sondage Sanofi Canada, la satisfaction professionnelle fait aussi partie des facteurs qui semblent influencer les résultats : le non-respect des ordonnances atteint 66 % chez les employés qui ne sont pas satisfaits de leur emploi. Les jeunes participants et ceux qui éprouvent des niveaux élevés de stress sont également plus nombreux à ne pas prendre assidument leurs médicaments. 

« Les taux de non-respect des ordonnances sont un appel à la sensibilisation des promoteurs de régime. Ils n’obtiennent probablement pas un rendement optimal du capital investi de leurs régimes d’assurance médicaments », a soutenu Thi Vu.

 

Observance à géométrie variable

Outre l’âge et le nombre de médicaments consommés, le degré d’adhésion aux traitements dépend grandement de la maladie dont souffre l’assuré, montrent les données de Telus Santé. Ainsi, près de 66 % des participants qui souffrent d’asthme ne prennent pas tous leurs médicaments, mais ce n’est le cas que de 16,2 % des personnes qui vivent avec des maladies cardiovasculaires ou de l’hypercholestérolémie. 

« Environ le quart des personnes atteintes de diabète et de dépression ne prennent pas leurs médicaments comme ils le devraient. C’est fracassant et inquiétant comme statistique », a commenté l’actuaire Jacques L’espérance lors d’un webinaire de Telus Santé tenu au printemps. Ce n’est donc pas pour rien que 60 % des promoteurs québécois de régimes d’assurance médicaments sont préoccupés par les répercussions négatives que peuvent avoir les participants qui ne prennent pas correctement leurs médicaments sur le coût total de leur régime de soins de santé.

Toujours selon Telus Santé, pour chaque 100 $ soumis à un régime d’assurance collective, près de 50 $ pourraient être gaspillés à cause d’un traitement médicamenteux mal suivi. L’inobservance au traitement entraîne par ailleurs de 2 à 10 jours d’absence par employé par année ainsi que des pertes salariales de 1 000 à 5 000 $ par employé annuellement. 

Si les taux d’observance augmentaient à 80 %, soit le taux recommandé pour obtenir des résultats optimaux, les employeurs pourraient faire des économies nettes de 2 200 $ par employé. Et ce, même en tenant compte du coût additionnel lié à la prise plus régulière de médicaments. Une dépense additionnelle de 264 $ par année en médicaments pour traiter la dépression générerait par exemple des économies additionnelles de 2 216 $ pour l’employeur.

 

Projets-pilotes

Certains acteurs de l’industrie ont lancé des initiatives pour s’attaque au problème. Express Scripts Canada a notamment mis au point l’année dernière une solution d’analyse prédictive permettant de déterminer quels sont les patients les plus susceptibles d’arrêter la prise de leurs médicaments d’ordonnance. Le tout afin de rappeler à ceux-ci l’importance de suivre leur plan de traitement avec plus de discipline. 

Dans le cadre d’un projet pilote, iA Groupe financier a pour sa part mis à la disposition de ses assurés une application mobile développée afin de favoriser la prise régulière des médicaments et le suivi des plans de traitement, notamment à l’aide de rappels quotidiens.