La protection des régimes de retraite devra encore attendre
Jean-François Venne|Édition de la mi‑octobre 2021La députée bloquiste de Manicouagan, Marilène Gill (Photo: courtoisie)
ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITE. Les récentes élections fédérales ont mis fin au parcours d’un projet de loi destiné à mieux protéger les régimes de retraite et les assurances collectives, qui avait pourtant gagné l’appui des quatre partis politiques présents à la Chambre des Communes.
La deuxième fois n’a pas été la bonne. Le projet de loi privé C-253, présenté en 2020 par la députée bloquiste de Manicouagan, Marilène Gill, est mort au feuilleton à cause du déclenchement des élections. Il devait modifier la Loi sur les arrangements avec les créanciers de compagnie (LACC) et la Loi sur les faillites et l’insolvabilité (LFI) afin d’augmenter le rang de priorité des régimes de retraite et des bénéfices de santé dans l’ordre des créances en cas de faillite d’une entreprise.
Un projet de loi semblable avait subi le même sort en raison des élections de 2019. « Cette fois, il y avait peu de changements à apporter au projet de loi, puisque tous les partis s’étaient entendus, explique Marilène Gill. Donc, il aurait normalement pu passer assez rapidement l’étape de la troisième lecture et ensuite être envoyé au Sénat. »
Des cas qui se multiplient
C’est en 2015 qu’un groupe de retraités et d’ex-employés de la minière Cliffs Ressources naturelles a sensibilisé Marilène Gill à ce sujet. L’entreprise de l’Ohio, active sur la Côte-Nord, venait de se placer sous la protection de la LACC. Les retraités avaient appris qu’ils perdraient leur assurance collective et que leur rente serait réduite de 21 %. Ils pointaient alors au sixième et dernier rang des créanciers.
Un scénario malheureusement assez fréquent. En 2005, les retraités d’Atlas Steel, à Sorel-Tracy, ont vu leur rente diminuer de 24 % à 48 % dans des circonstances semblables. En 2015, c’était ceux de Papiers White Birch (-30 %), puis ceux de Sears Canada en 2018 (-30 %).
« C’est terrible, parce que peu de ces retraités peuvent retourner travailler pour se refaire, souligne Dominic Lemieux, directeur québécois du Syndicat des Métallos, qui représente les travailleurs de Cliffs. On a vu des cas où des retraités ou leurs conjointes survivantes devaient choisir entre l’épicerie et les médicaments. »
Ultimement, les Métallos ont réussi à faire renflouer la caisse de retraite de Cliffs Ressources naturelles de 18 millions de dollars. Cela a fixé la baisse des rentes en moyenne à 8,5 %, plutôt qu’à 21 %, tel qu’envisagé au départ. Dominic Lemieux croit que le gouvernement canadien doit légiférer pour éviter ces mésaventures. « Le cas de Cliffs nous a vraiment sensibilisés à ce risque et nous avons effectué beaucoup de représentations sur ce sujet auprès de députés et de sénateurs ces dernières années », raconte-t-il.
Des stratagèmes
François L’Italien, coordonnateur de l’Observatoire de la retraite, explique que dans certains cas — comme celui de Papiers White Birch — la LACC semble servir d’outil pour faciliter une restructuration d’entreprise et se débarrasser d’un régime de retraite à prestations déterminées, sans que les ennuis financiers de la société soient toujours évidents.
« Entre le moment de l’achat de l’usine de Stadacona à Québec par Papiers White Birch et la mise de cette entreprise sous la LACC, il y a eu un processus d’endettement excessif de cette usine, comparativement aux autres établissements du groupe, illustre-t-il. Cela laisse penser que Papiers White Birch a peut-être utilisé la LACC dans un stratagème pour suspendre l’ensemble des conventions de travail en vigueur, notamment ses obligations vis-à-vis des régimes de retraite. »
La LACC, qui doit servir à aider une entreprise à se relancer, deviendrait donc parfois une manière pratique de terminer un régime de retraite dont elle ne veut plus, en évitant les conflits de travail. « Le public voit bien qu’il y a une injustice et qu’il est anormal que les rentes des retraités soient fortement amputées aussi facilement, croit François L’Italien. Il faut rétablir un équilibre et c’est au législateur de le faire. »
Réélue au scrutin du 20 septembre, Marilène Gill compte présenter de nouveau son projet de loi lors de la prochaine session parlementaire. Cependant, faire cheminer un projet de loi émanant d’un député n’est jamais simple. Les élus doivent en effet miser sur la chance, puisqu’un tirage au sort détermine l’ordre de priorité de ces projets. En 2017, elle avait été pigée au 156e rang, ce qui offrait peu de chance au projet d’être adopté avant la fin de la session parlementaire. En 2020, elle avait obtenu le 38e rang.
« Le prochain gouvernement pourrait aussi déposer lui-même ce projet de loi, puisqu’en théorie, tous les partis le soutiennent, mais nous n’avons aucune certitude à cet égard, affirmait Marilène Gill pendant la campagne électorale. Si cela se produisait, je le soutiendrais sans hésiter. »