Bien que l’on ne sache pas encore si la hausse de l’inflation sera un phénomène de courte durée, elle a pris de nombreux promoteurs de régimes par surprise. (Photo: 123RF)
ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITE. Après avoir navigué dans les marchés imprévisibles des deux dernières décennies, on peut aisément pardonner aux promoteurs de régimes de retraite à prestations déterminées qui tentent d’aspirer à plus de certitude. Mais, suivant ces années de creux persistants, une nouvelle menace est apparue, sous la forme d’une hausse rapide de l’inflation et d’une possibilité d’augmentation des taux.
L’Indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 4,8 % en décembre 2021 par rapport à l’année précédente, atteignant son plus haut niveau en 18 ans, et poursuivant ainsi une série de neuf mois de hausse, largement attribuable à l’augmentation des coûts de l’essence, du logement et des aliments. Selon Statistique Canada, l’augmentation annuelle moyenne de l’IPC en 2021 a été de 3,4 %, soit le rythme le plus rapide depuis 1991.
Après avoir initialement qualifié la hausse de l’inflation de « transitoire », la Banque du Canada a déclaré en décembre dernier qu’elle « surveillait de près » les attentes en matière d’inflation et les coûts de main-d’œuvre afin d’éviter qu’un cycle salaires-prix ne s’installe. Alors qu’elle a maintenu son taux de financement journalier en janvier à un minimum historique de 0,25 %, elle l’a relevé à 0,5 % dès début mars.
Que peuvent signifier ces nouveaux développements pour les promoteurs de régimes de retraite, alors qu’ils cherchent à réduire les risques?
Se ruer vers la sortie
L’année dernière fut une année record pour le marché canadien du transfert de risques liés aux régimes de retraite, les ventes de rentes collectives ayant atteint un montant estimé à 4,1 milliards de dollars (G$) à la fin du troisième trimestre, avec 3 G$ supplémentaires prévus pour le quatrième trimestre, selon l’indice d’achat de rentes de WTW (anciennement Willis Towers Watson).
Selon l’indice d’achat de rentes de WTW, l’année 2021 était en passe de devenir une année record pour le marché du transfert des capitaux liés aux régimes de retraite. Les ventes de rentes collectives ont atteint un montant estimé à 4,1 G$ à la fin du tro
Les achats de rentes collectives étaient déjà en hausse bien avant la pandémie, représentant un moyen pour les promoteurs de régimes de se décharger d’une partie des risques ou de fermer entièrement leurs régimes. Entre 2008 et 2019, selon l’indice, les ventes de rentes sont ainsi passées de 1,1 G$ à 5,2 G$ par an. Si l’année 2020 a connu une brève accalmie des ventes, elle a aussi enregistré la plus importante transaction jamais réalisée : la souscription de rentes collectives avec rachat des engagements d’une valeur de 1,8 G$ par General Motors du Canada pour plus de 6 000 membres salariés de son régime ayant pris leur retraite avant le 1er juin 2020.
Brent Simmons, chef des solutions prestations déterminées à la Financière Sun Life, affirme que le volume record de transactions de 2021 est le résultat de promoteurs de régimes de retraite à la recherche d’une porte de sortie après 20 ans de volatilité du marché. « La pandémie a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour de nombreux promoteurs, dit-il. Ces régimes de retraite se sont avérés beaucoup plus risqués qu’ils ne le pensaient. Ils cherchent donc un moyen de réduire les risques. »
Grâce à la bonne performance des marchés boursiers et à une légère amélioration des rendements obligataires à long terme, l’année dernière a également représenté l’occasion idéale pour de nombreux promoteurs de régimes d’acheter des rentes, améliorant ainsi leur situation de capitalisation. Selon l’Indice sur les systèmes de retraite de Mercer Canada, les régimes de retraite à prestations déterminées canadiens ont atteint à la fin de mars 2021 leur meilleur niveau de capitalisation en 20 ans et sont restés stables tout au long de l’année.
« Du point de vue des régimes de retraite à prestations déterminées, l’un des événements les plus importants de la dernière année est l’amélioration de la situation de capitalisation, déclare Marco Dickner, chef de la gestion des risques de retraite chez WTW. Lorsque nous pensons à la réduction des risques, le critère numéro un est la capacité — est-ce que j’ai suffisamment d’actifs pour payer les prestations futures ? Lorsque le régime est entièrement capitalisé, cela offre des possibilités de réduire les risques. »
Bien qu’une partie de l’activité de réduction des risques ait été réalisée par des promoteurs de régimes ayant déjà gelé leurs régimes et cherchant à les liquider, il note qu’environ 80 % des achats concernaient des régimes en cours qui réduisaient le montant de leurs obligations envers leurs membres retraités.
Prévoir
Les promoteurs de régimes qui envisagent une future transaction de rente devraient la planifier en obtenant préalablement les approbations de leurs instances de gouvernance et en examinant ce qui est nécessaire pour effectuer un achat, déclare Kyle Weeden, directeur chez Eckler, une firme d’expert-conseil en actuariat.
« Bien souvent, [les promoteurs de régimes] se placent en position de procéder à l’achat d’une rente, mais ils n’agissent pas assez vite, le marché change et ils se retrouvent à nouveau sous-financés », remarque-t-il.
Les stratégies de préachat devraient inclure une trajectoire d’investissement permettant d’éliminer progressivement le risque et de renforcer le portefeuille obligataire à mesure que le régime de retraite se rapproche du niveau de capitalisation nécessaire, ainsi qu’une détermination sur la disposition du promoteur du régime à effectuer un paiement pour ramener le ratio de capitalisation à 100 %.
« La réduction des risques ne se fait pas seulement le jour où [la transaction] a lieu, dit Kyle Weeden. C’est aussi par la façon dont vous mettez en œuvre ces stratégies jusqu’au moment de l’achat de la rente. »
La Fédération des enseignantes et enseignants de la Colombie-Britannique (FECB) a par exemple presque atteint la dernière étape de son parcours de réduction de risques et attend actuellement de faire un achat de rente. Elle a d’abord déplacé les employés actifs vers un régime de retraite interentreprises en 2014. Les membres retraités ou ceux n’ayant pu adhérer au nouveau régime demeurent membres du régime à prestations déterminées, fermé aux nouveaux employés. La Fédération a travaillé sur ce régime afin qu’il soit entièrement capitalisé en 2019.
« Nous sommes à un point où une rente a du sens », a déclaré Delwin Yung, trésorier et directeur financier de la Fédération, notant que la FECB n’a pas encore décidé entre des rentes avec ou sans rachat des engagements, mais soupçonnant qu’elle pourrait commencer par des rentes sans rachat. « L’objectif global a été d’essayer de réduire les risques à l’aide d’un paiement garanti afin que la FECB ne soit pas soumise aux fluctuations de la valeur des actifs en fonction de l’évolution des marchés. »
Au fur et à mesure que le régime se rapprochait de sa pleine solvabilité, il s’est progressivement éloigné des actions pour se tourner vers l’immobilier, les prêts hypothécaires et, depuis deux ou trois ans, les obligations à rendement réel. « L’objectif du fonds n’est pas de faire le plus possible d’argent, mais d’être en mesure de fournir une prestation de retraite telle que promise aux bénéficiaires du régime », explique Delwin Yung.
Certains promoteurs de régimes pourraient hésiter à acheter une rente lorsque les taux sont bas et que les transactions risquent d’être plus coûteuses, mais ce n’est pas la bonne façon de voir les choses, croit Marco Dickner. Il compare cette situation à celle d’un propriétaire qui attendrait que les prix de l’immobilier baissent pour acheter une nouvelle propriété. « Si vous êtes déjà propriétaire d’une maison, le prix de votre maison va aussi baisser. Pour les régimes qui réduisent les risques et qui investissent dans les obligations, cette question est un peu dépourvue d’intérêt. »
Il encourage les promoteurs de régimes à se concentrer sur leur stratégie sous-jacente et leur profil d’investissement, soulignant que les régimes de retraite fortement investis en obligations verront leurs passifs évoluer parallèlement à leurs actifs.
Delwin Yung est curieux de voir comment les taux d’intérêt affecteront les cotations de la transaction de rente de la FECB, mais l’organisation n’est pas pressée. « Nous voulons nous donner beaucoup de temps pour déterminer le meilleur moment pour agir », dit-il, notant que la Fédération prévoit également verser des contributions supplémentaires au régime de retraite au-delà de ce qui est requis.
Kyle Weeden, d’Eckler, met en garde les promoteurs de régimes contre la comparaison de leurs régimes avec les stratégies d’investissement d’autres régimes ou contre le fait de rester investis en actions plus longtemps que nécessaire. « Ce qui peut arriver – je pense que c’est la nature humaine – [c’est] la tendance à laisser aller les choses quand tout va bien. Alors que les actions se sont comportées si bien ces dernières années, pourquoi voudrais-je passer à des obligations avec un rendement négatif, en particulier si l’on pense aux obligations à long terme ? Mais si votre objectif est de vous diriger vers une liquidation et un régime entièrement financé, vous atteignez votre objectif de toute façon, rappelle-t-il. Lorsque vous faites ça, vous élaborez une stratégie d’investissement qui vous est propre. »
Les promoteurs de régimes de retraite qui offrent des droits d’indexation devront être préparés à ce que la hausse de l’inflation augmente le coût de leurs transactions de rentes, affirme Brent Simmons, car cela oblige l’assureur à prendre plus de risques. Delwin Yung note que le plan de la FECB est indexé, mais que la Fédération a tenu compte du coût supplémentaire dans sa planification.
Adopter la perspective à long terme
Bien que l’on ne sache pas encore si la hausse de l’inflation sera un phénomène de courte durée, Brent Simmons, de Financière Sun Life, affirme qu’elle a pris de nombreux promoteurs de régimes par surprise.
L’inflation étant restée pendant plusieurs décennies dans la zone de confort de la Banque du Canada, certains promoteurs de régimes ne se sont pas correctement protégés contre elle. Ils se sont plutôt fiés à un taux d’inflation fixe ou à des actifs à rendement élevé pour payer les augmentations des prestations en fonction du coût de la vie, note-t-il, ce qui pourrait leur nuire si l’inflation continue d’augmenter.
Selon Kyle Weeden, bon nombre des promoteurs de régimes avec lesquels son cabinet travaille, et qui sont axés sur une vision à long terme de leur régime de retraite, sont « très préoccupés » par les mouvements futurs du marché.
« Si vous avez cette vision à long terme et que vous investissez dans des catégories d’actifs traditionnelles, vous êtes dans une situation difficile, reconnaît-il. Vos obligations sont confrontées à ces vents contraires à la hausse des taux d’intérêt d’une part et, d’autre part, l’inflation n’est généralement pas positivement corrélée aux actions. Si vous avez des titres traditionnels, c’est très difficile pour ces régimes. »
Brendan George, associé chez George & Bell Consulting, explique que ses clients promoteurs de régimes ont considérablement réduit leur exposition aux titres à revenu fixe traditionnels au cours des dernières années, une mesure qui n’aurait jamais été considérée auparavant pour réduire les risques.
« Si vous envisagez d’obtenir un rendement absolu de 5 % avec la volatilité la plus faible possible et que votre principale préoccupation actuelle est l’augmentation des taux d’intérêt et de l’inflation, sachez que les rendements des titres à revenu fixe n’ont historiquement pas été bons dans cet environnement et ne devraient pas l’être dans les prochaines années, si l’inflation reste élevée et que les taux d’intérêt augmentent. »
Les catégories d’actifs alternatifs ont continué de faire l’objet d’une attention particulière, selon Kyle Weeden, notamment les titres de dette privée qui peuvent « former un pont » entre les titres à revenu fixe et les actions. Les infrastructures, l’immobilier, l’agriculture et les matières premières remplissent une double fonction : ils permettent d’obtenir des rendements décents à moindre risque tout en servant de couverture contre l’inflation, explique Brendan George. « Nos clients allaient de toute façon dans cette direction, ils cherchaient à investir dans une perspective de risque et de rendement. La composante inflation était un objectif secondaire. »
Une stratégie d’investissement axée sur le passif, déployée pour la première fois en 2005, a permis au régime de retraite de la Société Radio-Canada de maintenir un niveau de capitalisation sain malgré la volatilité du marché et la faiblesse persistante des taux d’intérêt, raconte Duncan Burrill, directeur général et chef de la direction du fonds. Bien que le régime ait toujours une exposition importante aux titres à revenu fixe, il l’a légèrement réduite au fil des ans, tout comme il a légèrement diminué sa couverture par superposition d’obligations, car il s’attend à ce que les variations de taux futures soient plutôt à la hausse.
« Nous ne pensons pas détenir la capacité de prédire les taux d’intérêt, précise Duncan Burrill, donc nous ne passons pas beaucoup de temps à essayer. Mieux vaut s’en tenir à notre stratégie et optimiser la mise en œuvre de cette stratégie. »
Le régime de retraite de Radio-Canada est un régime indexé avec un plafond. Il a couvert une partie de son risque d’inflation avec une grande quantité d’obligations à rendement réel, dit Duncan Burrill, notant que le régime présume un taux d’inflation à long terme conforme à la fourchette préférée de la banque centrale, mais avec certaines fluctuations prévues.
Le régime n’a pas revu son hypothèse, estimant qu’il restera finalement dans cette fourchette. Ainsi, à l’heure actuelle, il n’ajuste pas la composition de son actif. « Nous avons vu cette situation à plusieurs reprises dans le passé, donc nous ne changeons pas [notre stratégie]. »
Faire équipe
Les promoteurs de régimes à prestations déterminées peuvent aussi réduire leurs risques en s’unifiant avec un régime plus important, selon Barbara Sanders, professeure agrégée en statistiques et actuariat à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique.
Le régime de retraite DBplus du Colleges of Applied Arts and Technology, l’OPTrust Select de la Fiducie du régime de retraite du SEFPO et l’University Pension Plan sont des exemples de cette tendance. Ces régimes « attractifs » peuvent donner accès à des actifs alternatifs qui réduisent le risque d’inflation et rendent plus abordable le versement de prestations de retraite dans un contexte de taux bas. Ils ont également l’envergure nécessaire pour offrir aux participants des prestations de retraite plus « complexes », comme des prestations cibles et une protection conditionnelle ou garantie contre l’inflation, ce que les petits régimes à prestations déterminées évitent généralement, explique-t-elle.
« Il est clair que très peu de promoteurs peuvent réellement assumer une protection contre l’inflation entièrement garantie — ils s’en éloignent au Canada et dans le monde entier parce que c’est très coûteux et très risqué. Les assureurs ne sont même pas friands des rentes protégées contre l’inflation, poursuit-elle. La deuxième meilleure solution est l’indexation conditionnelle ; c’est bien mieux que rien du tout… [Mais] un niveau d’expertise plus élevé est nécessaire et cela se fera dans un régime plus vaste. »
Évolution du contexte
Avec les taux d’intérêt qui augmentent pour contenir l’inflation, Kyle Weeden s’attend à un changement significatif du paysage, ce qui rend particulièrement important pour les promoteurs de régimes de retraite de revoir leurs objectifs, leurs convictions en matière d’investissement et leur horizon de placement.
« Je pense que beaucoup de régimes sont au bord du précipice, avance le directeur chez Eckler. Les années 2020 vont être très différentes des années 2010, dans la mesure où nous sommes confrontés à une hausse des taux d’intérêt pour la première fois de [mémoire récente]. Cela va changer le paysage. Il est donc important de prendre le temps de vraiment comprendre pourquoi vous voulez investir et dans quelles catégories d’actifs vous voulez investir. Cela vous rapportera des dividendes plus tard. »
Ce texte écrit par Kelsey Rolfe a été publié à l’origine en anglais par Benefits Canada.