Les médicaments spécialisés les plus prescrits étaient ceux qui traitaient la polyarthrite rhumatoïde — qui représentaient près de 100% des coûts admissibles — suivis de ceux pour les troubles de la peau, à 62%, et des traitements contre le cancer, à 79%. (Photo: 123RF)
ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITE. Mars dernier marquait le deuxième anniversaire du début de la pandémie, 24 mois qui eut de profondes répercussions sur la santé des participants aux régimes d’avantages sociaux ainsi que sur le statut et la structure de ces derniers. Pour les régimes d’assurance médicaments en particulier, plusieurs tendances sont apparues, ou se sont accélérées, au cours de la pandémie. Elles se poursuivent en 2022.
Joyce Wong, directrice des services cliniques, de la gestion des régimes d’assurance-médicaments et de la base de données sur les médicaments à Express Scripts Canada, affirme qu’un retard dans le traitement des dossiers qui a commencé en 2020 — attribué à la limite temporaire imposée par différentes provinces sur les ordonnances de 30 jours pour prévenir les pénuries de médicaments — continuera probablement d’avoir des répercussions, moindres, sur les régimes d’assurance-médicaments cette année.
« L’année dernière, nous nous sommes penchés sur le diabète et le cancer comme deux domaines d’intérêt et nous continuerons à suivre cette histoire pour voir si le retard s’est résorbé, ou s’il se poursuit à cause de la vague [d’Omicron], note Joyce Wong. Il y a des questions à résoudre dans ce domaine. »
Selon Karen O’Connell, directrice de la gouvernance et de la gestion du régime d’avantages sociaux de la Corporation des associations de détaillants d’automobiles (CADA) — qui compte environ 72 000 participants au régime d’avantages sociaux répartis chez 1 800 concessionnaires —, les répercussions ont été similaires au cours des derniers mois. « Nous avons constaté une augmentation du volume de médicaments passant par le régime ; [les membres] demandent plus de remboursements, et nous voyons plus d’ordonnances par personne, observe-t-elle. Nous ne savons pas si c’est à cause de l’incertitude liée à l’emploi ou s’ils s’assurent simplement d’être toujours approvisionnés. »
La pandémie soulève également des questions quant à la couverture des nouveaux traitements antiviraux contre les infections à coronavirus, comme celui mis au point par Pfizer, relève Jennifer Schmidt, directrice chez Mercer Canada. Bien que la mise à jour financière du gouvernement fédéral de décembre 2021 indique qu’il y ait de l’argent pour ces traitements, elle souligne qu’il reste à voir comment ils seront couverts précisément. « Cela pourrait se faire dans le cadre du système public, comme pour certains traitements contre le cancer, avance-t-elle. Mais beaucoup de traitements contre le cancer sont sortis du système public et effectués sur une base ambulatoire, ce qui concerne les régimes privés. »
Et tandis que la pandémie a entraîné une augmentation de l’utilisation des médicaments liés à la santé mentale, Frédéric Leblanc, pharmacien et leader stratégique en gestion des médicaments à iA Groupe financier, dit avoir constaté une diminution subséquente de l’utilisation d’autres médicaments. « Il y a eu une forte diminution de l’utilisation des médicaments liés aux infections et aux blessures aiguës ou à la chirurgie, énumère-t-il. Il y a moins de cas parce que les gens ont moins de contacts [entre eux]. »
« La rétroaction que nous recevons est qu’en raison de la pandémie, en termes de prestations globales, les médicaments ne figurent pas en tête des préoccupations de nos clients promoteurs de régimes, poursuit-il. Ils ont des préoccupations plus importantes, comme la santé mentale. En fait, l’impact de la pandémie ne porte pas tant sur les médicaments que sur ce que les promoteurs de régimes devraient faire pour gérer la santé mentale, conseiller leurs employés et mettre en place des programmes et des services pour les appuyer. »
En ce qui concerne les médicaments biosimilaires, les régimes d’assurance-médicaments privés suivent l’exemple de leurs homologues publics et augmentent l’utilisation de ces médicaments par mesure d’économie, selon Joanne Jung, directrice de la santé et des avantages collectifs et cheffe de la pratique pharmaceutique pour le Canada chez WTW (anciennement Willis Tower Watson).
« Cela dépend des assureurs, nuance-t-elle. Certains appliquent cette approche à un bloc d’activités et demandent à tout le monde de passer aux biosimilaires, tandis que d’autres s’en tiennent à des ententes d’inscription de produits. Mais c’est certainement quelque chose d’important qui a été envisagé pour tous les régimes. »
Elle souligne que chaque province est différente. « En Colombie-Britannique, par exemple, il existe un programme universel d’assurance médicaments. Si vous ne vous alignez pas sur sa stratégie en matière de biosimilaires, la province ne paie plus le médicament et le coût revient au promoteur du régime. »
Jennifer Schmidt, de Mercer Canada, dit qu’elle espère que 2022 apportera plus de cohérence aux politiques provinciales sur les médicaments biosimilaires. « Du point de vue des patients, il est vraiment important d’avoir une cohérence dans la façon dont cela fonctionne. Nos systèmes d’assurance maladie provinciaux sont différents, donc il y a déjà cet encombre, mais ce serait bien d’avoir une certaine cohérence. En termes de planification pour l’avenir, nous surveillons aussi la façon dont le gouvernement et les assureurs privés gèrent la situation, car elle affecte également les membres du régime. »
Cette tendance a également aidé à absorber l’impact de la hausse de l’inflation sur les prix des médicaments, ajoute Joanne Jung. « Les biosimilaires ont permis de limiter [l’impact de l’inflation], soit en passant aux biosimilaires, soit en concluant des ententes d’inscription sur des produits avec la marque d’origine. En 2020, la tendance se situait entre 3 et 5 %. »
Selon un rapport de Telus Santé paru en 2021, les médicaments spécialisés sont restés le principal facteur influençant la gestion des régimes privés d’assurances m participants édicaments en 2020, représentant un tiers des coûts globaux, bien qu’ils ne soient utilisés que par 1,3 % du total des demandeurs.
Le rapport a révélé que les médicaments spécialisés les plus prescrits étaient ceux qui traitaient la polyarthrite rhumatoïde — qui représentaient près de 100% des coûts admissibles — suivis de ceux pour les troubles de la peau, à 62%, et des traitements contre le cancer, à 79%.
Pour gérer ces coûts, la CADA a recours à l’autorisation préalable, tout en communiquant aux membres du régime le prix des médicaments. « D’un point de vue philosophique, [l’autorisation préalable] est logique, non pas en tant qu’obstacle supplémentaire, mais comme approche thérapeutique par étapes, afin que les médicaments les moins coûteux soient essayés en premier avant de passer aux médicaments plus coûteux, explique Karen O’Connell. Si nous dépensons 100 000 $ pour un médicament, il est important qu’il soit utilisé correctement. »
« Nous voulons également que les membres tirent le meilleur parti de leur couverture. C’est pourquoi nous les aidons à comprendre les éléments d’une demande de réclamation de médicaments, tels que les frais d’exécution, la majoration et le coût du médicament. Nous les encourageons à discuter avec leur médecin à savoir si c’est le meilleur médicament pour eux, souligne-t-elle. Nous comprenons que les médicaments spécialisés sont un fardeau pour les participants du régime, alors nous avons examiné comment gérer les articles à faible coût, en revenant vers les participants du régime voulant le médicament le moins coûteux. De cette façon, nous laissons plus d’argent sur la table pour les médicaments à coût élevé. »
De la même manière, Frédéric Leblanc, d’iA Groupe financier, affirme que le recours à l’autorisation préalable par ses clients reste stable. « Je n’ai pas vu de grands changements. En tant qu’assureur privé, nous examinons nos processus et les médicaments pour lesquels nous avons une autorisation préalable et nous essayons d’équilibrer les résultats pour la santé en fournissant les bons médicaments aux bons patients, avec la viabilité économique du régime et l’expérience du patient. Nous savons qu’avec [l’autorisation préalable], l’expérience des membres du régime peut être un peu plus difficile parce que cela prend plus de temps, alors nous essayons d’améliorer cela. »
Bien que l’augmentation des dépenses en médicaments coûteux soit légèrement préoccupante, ajoute-t-il, le coût global reste gérable – en raison de l’introduction de biosimilaires et de médicaments plus anciens qui deviennent génériques – et reste minime par rapport à certaines dépenses passées. « [Les dépenses des régimes d’assurance médicaments] ont légèrement augmenté ces dernières années, mais ce n’est pas ce que l’on a connu par le passé, constate-t-elle. Il y a eu des années de croissance à deux chiffres d’une année à l’autre, en raison de l’introduction d’importantes classes de médicaments, tels que les traitements contre l’hépatite. Lorsque les produits biologiques sont arrivés sur le marché, l’augmentation des dépenses était très élevée, mais les augmentations actuelles ne sont plus ce qu’elles étaient. »
Selon le Sondage Benefits Canada sur les soins de santé 2021, 60 % des participants au régime ont déclaré avoir été diagnostiqués avec au moins une maladie chronique. Parmi ces répondants, 28 % ont déclaré prendre trois médicaments ou plus. Parmi les cas pathologiques, 69 % des membres atteints de diabète prennent trois médicaments ou plus. Il en va de même pour les membres atteints d’arthrite (53 %), de maladies cardiovasculaires (46 %) et de cancer (43 %).
Parmi les clients promoteurs de régime de Frédéric Leblanc, le concept même de ce qui définit un « médicament mode de vie » – et la question à savoir s’il sera ou non couvert par un régime d’assurance médicaments – est actuellement réévalué. « Je ne pense pas que le terme “mode de vie” soit la bonne définition, dit-il. Ça inclut souvent des médicaments pour traiter la fertilité, l’obésité, le tabagisme et la perte de cheveux… Ce n’est pas un mode de vie de ne pas avoir de cheveux. On croyait que ces conditions étaient un choix ou qu’elles s’imposaient d’elles-mêmes, comme l’obésité et le tabagisme, mais plus on examine ces conditions, plus on réalise que la science a évolué. »
« L’obésité en est le meilleur exemple, poursuit-il. Il ne s’agit pas seulement d’une question de volonté personnelle, mais d’un problème à multiples facettes, avec des facteurs génétiques, environnementaux, mentaux et sociaux, qui a de nombreuses conséquences sur la santé. Exclure ces médicaments n’a pas beaucoup de sens. Nous encourageons un changement dans la couverture de certains des médicaments “mode de vie” qui sont actuellement exclus. »
Le régime d’assurance médicaments de la CADA entraîne des discussions similaires sur le traitement de l’obésité, révèle Karen O’Connell. « Il y a eu l’option d’une couverture facultative [pour le traitement de l’obésité] chez les concessionnaires, mais celle-ci ne reconnaissait pas qu’il s’agit d’une maladie comme une autre… Pourtant, c’est un besoin bien réel, surtout si l’on considère l’augmentation des taux de diabète et des autres comorbidités associées à l’obésité. »
Le concept des médicaments « mode de vie » est également de plus en plus lié aux stratégies d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) des promoteurs de régimes, notamment à la lumière de la sensibilisation croissante aux employés transgenres et de la montée des mouvements de justice sociale, tel Black Lives Matter.
« Nous essayons d’envisager ces choses de manière globale, déclare Jennifer Schmidt. Le coût de vos médicaments peut augmenter, mais cela signifie des journées de travail plus productives [pour les employés]. Vous devez embaucher des populations diversifiées et inclusives, ce qui pourrait signifier de devoir embaucher des personnes souffrant de handicaps préexistants, et ainsi entraîner une augmentation des frais médicaux. Mais vous pouvez également atteindre vos objectifs en matière d’EDI. Nous ne pouvons plus fonctionner en silos. Nous devons utiliser une vision plus large. »
Même l’accès aux prestations, comme l’accès aux pharmacies numériques et aux soins de santé virtuels, est pris en compte dans les objectifs des stratégies d’EDI, ajoute-t-elle. « Il y a des années, nous avons parlé de la personnalisation des avantages sociaux, et c’est maintenant. Il s’agit de mettre l’accent sur le bien-être et la prévention, de répondre aux besoins du plus grand nombre d’employés possible et de personnaliser leurs offres. Il s’agit aussi d’utiliser tous les outils numériques existants, donc de soutenir les travailleurs à distance et de s’assurer que l’accès à une série d’offres est disponible. »
« Cela nous ramène aux objectifs d’EDI : si vous avez un ensemble d’offres et qu’il est facile d’y accéder numériquement, alors vous traitez quelqu’un qui vit dans un centre urbain de la même manière que quelqu’un qui vit dans une zone rurale, illustre-t-elle. Il y a équité et inclusion, et si vous disposez d’un ensemble de services numériques, vous répondez à la diversité de votre population. »
Réformes du CEPMB et du régime national d’assurance-médicaments
En janvier, les modifications réglementaires au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) – destinées à réduire le coût des médicaments brevetés au Canada – ont été de nouveau reportées. Elles entendront finalement en vigueur le 1er juillet.
Cependant, même lorsque les changements entreront en vigueur, ils n’auront pas d’effet immédiat sur le prix des médicaments, selon Joanne Jung, de WTW. « Peut-être que ça fera une différence en cours de route, mais de nombreux assureurs privés négocient activement des ententes d’inscription de produits afin de faire baisser les prix des médicaments coûteux avant qu’ils ne soient inscrits auprès d’un assureur. »
Le programme national d’assurance médicaments dont on a beaucoup parlé était lui aussi absent du budget fédéral. Ottawa a plutôt réitéré son soutien en déclarant qu’il irait de l’avant avec un programme de financement de 500 millions de dollars annoncé précédemment pour les médicaments coûteux utilisés dans le traitement des maladies rares.
Et bien que l’avenir d’un programme national ne soit pas clair, Frédéric Leblanc, de iA Groupe financier, estime que les payeurs privés pourraient jouer un rôle central. « Actuellement, les payeurs privés financent environ 45 % de l’ensemble des dépenses en médicaments. C’est beaucoup d’argent. Nous croyons ainsi que les payeurs privés ont un rôle à jouer dans la poursuite du financement des régimes privés d’assurances médicaments. »
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En chiffres
60%: pourcentage de participants au régime qui ont été diagnostiqués avec au moins une maladie chronique. Parmi ce groupe, 28 % ont déclaré prendre trois médicaments ou plus.
69%: pourcentage de participants au régime atteints de diabète qui prennent trois médicaments ou plus. Les personnes atteintes d’arthrite (53 %), de maladie cardiovasculaire (46 %) et de cancer (43 %) étaient également plus susceptibles de prendre trois médicaments ou plus.
39%: pourcentage de promoteurs de régime – parmi les 68 % qui ont exprimé des préoccupations au sujet de leur régime global d’assurance-maladie en 2021 – qui ont déclaré que la viabilité du régime d’assurance-médicaments était leur principale préoccupation.
Source: Sondage Benefits Canada sur les soins de santé 2021
Ce texte écrit par Blake Wolfe a été publié à l’origine en anglais par Benefits Canada.