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Le contexte oblige à réviser les avantages sociaux

Jean-François Venne|Édition de la mi‑octobre 2023

Le contexte oblige à réviser les avantages sociaux

Frédérick Henes, conseiller en régimes d’assurance collective chez WTW (Photo: courtoisie)

AVANTAGES SOCIAUX ET RÉGIMES DE RETRAITE. Le stress financier et les problèmes de santé mentale rendent les employés plus vulnérables, alors même que les employeurs peinent à contrôler leurs coûts, à recruter et à retenir de la main-d’œuvre. Ce contexte complique la gestion des avantages sociaux. Quelles stratégies les entreprises peuvent-elles mettre en place pour faire face à la tempête ?

Des vents contraires assaillent les employeurs qui offrent des programmes d’avantages sociaux et de régimes de retraite. « En raison de la concurrence pour les talents et de la priorité accordée au soutien des salariés depuis la pandémie, ils veulent offrir des programmes qui répondent aux besoins de leurs travailleurs, mais l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et les craintes de récession mettent beaucoup de pression sur leur gestion des dépenses », relate Frédérick Henes, conseiller en régimes d’assurance collective chez WTW.

Sa firme a réalisé en 2023 une enquête auprès de 128 employeurs canadiens de différentes tailles. Ceux-ci affirment que la course aux talents (84 %) et la hausse des problèmes de santé mentale (63 %) constituent les deux principaux éléments ayant une incidence sur leur stratégie en matière d’avantages sociaux. L’augmentation des problèmes de santé mentale n’apparaissait pas dans le top quatre dans le sondage de 2021. Par ailleurs, quatre employeurs sur dix jugent que la persistance d’une inflation élevée impose une pression sur les budgets en matière d’avantages sociaux et près d’un sur quatre nomme la conjoncture commerciale et économique défavorable. 

Les employeurs doivent donc incorporer l’offre d’avantages sociaux dans une stratégie d’entreprise qui tient compte de la nécessité de bien gérer les coûts à moyen et à long terme. « On voit souvent des cas où plus du quart de la masse salariale va aux avantages sociaux, donc c’est une dépense importante qui doit être effectuée de manière efficace », soutient Yves Pelletier, vice‑président aux assurances et aux rentes collectives au Groupe Cloutier.

 

Des employés plus vulnérables

La conjoncture affecte aussi les travailleurs. En 2022, une étude de Manuvie indiquait que les trois quarts des travailleurs canadiens subissaient un stress financier préoccupant. Près de six employés sur dix se disaient très inquiets de la hausse du coût de la vie, près de la moitié angoissait sur la montée des taux d’intérêt et 42 % redoutaient une récession.

Les travailleurs se tournent donc vers leur employeur pour obtenir des salaires plus élevés, du soutien en santé mentale, de meilleurs régimes de retraite, etc. « Comme les moyens des employeurs ne sont pas infinis et que les besoins des employés peuvent être très variés, ils affrontent plusieurs dilemmes quant à l’allocation de leur argent dans leur rémunération globale », poursuit Frédérick Henes. 

D’autant plus que les dépenses augmentent. « Le coût des assurances collectives grimpe sans cesse, notamment les dépenses liées à la santé mentale, en raison d’une hausse des demandes, et les prix des médicaments, à cause de l’arrivée de médicaments de spécialité très onéreux », précise Yves Pelletier. Bien qu’ils ne comptent que pour 1 % des réclamations, ces médicaments représentent plus du tiers des coûts et pourraient en représenter plus de la moitié dès 2025, selon la firme Accessa.

Les employeurs doivent donc se montrer créatifs. « Amener les employés à passer à des médicaments génériques ou biosimilaires constitue une possibilité à explorer, tout comme l’optimisation des arrangements financiers avec les assureurs ou celle de l’administration du régime », conseille Frédérick Henes.

 

Faire preuve d’imagination

Le contexte actuel rend aussi les employés plus nerveux par rapport à leur situation financière et à leurs perspectives de retraite. Ils se tournent alors vers leur employeur. La réponse ne tient pas toujours à des augmentations de salaire ou à une bonification des régimes de retraite, qui n’est par ailleurs pas nécessairement soutenable à long terme. 

« On peut se montrer créatif en offrant par exemple des véhicules d’épargne (REER, CELI, CELIAPP, etc.) ou des portefeuilles d’investissements qui correspondent à plusieurs objectifs, plutôt qu’à seulement la retraite, avance Yves Pelletier. On peut en outre leur proposer les services de planificateurs financiers, idéalement indépendants, qui les aideront à effectuer les bons choix de placements, à mieux gérer leur budget ou à réduire leur endettement. » 

On retrouve aussi cette flexibilité du côté de l’assurance collective. De plus en plus d’employeurs offrent des « comptes santé et mieux-être » qui remboursent certaines dépenses, comme des frais de soins dentaires ou un abonnement au gym. Cela laisse plus de latitude aux employés.

Certains salariés, souvent les plus jeunes, aiment avoir l’option de refuser un régime d’assurance collective, notamment parce qu’il représente un avantage imposable au Québec. Cependant, cela peut éventuellement mettre une pression sur les coûts si seuls les plus gros utilisateurs du régime en font partie. « Le contexte actuel oblige à réfléchir à ce qu’on propose comme avantages sociaux, mais aussi à comment on l’offre », explique Frédérick Henes.

Optimiser chaque dollar investi dans les régimes d’avantages sociaux est un exercice éminemment complexe quand certaines dépenses en santé augmentent de près de 10 % cette année. Plus que jamais, il devient essentiel pour les employeurs de miser sur la valeur des avantages sociaux offerts aux employés afin de rester concurrentiels dans un monde du travail en grand bouleversement.
La hausse annuelle des coûts de soins se chiffre à 6 ou 7 % depuis plusieurs années au ¬Canada. Bien qu’il y ait encore beaucoup d’incertitude quant à la durée des pressions inflationnistes mondiales, ¬Aon prévoit une hausse de 7,5 % des coûts des soins médicaux offerts par les employeurs canadiens en 2023. 
Outre le développement de nouveaux médicaments biologiques qui entraîne une hausse des dépenses depuis plusieurs années, certains fournisseurs de soins de santé ont augmenté de façon importante leurs tarifs en 2023. « L’Association des chirurgiens dentistes du ¬Québec a publié son guide des tarifs des soins ¬bucco-dentaires et on a vu une augmentation moyenne de 9,8 % au 1er janvier 2023, indique ¬Dominique ¬Millette, directrice, développement des affaires à iA ¬Groupe financier. Ce n’est qu’un exemple parmi toute la gamme de services, et cela a indéniablement une incidence directe sur le coût des assurances collectives. »
Par ailleurs, plusieurs pathologies exercent une pression sur les dépenses en santé, notamment les maladies ¬auto-immunes, le diabète et les troubles de santé mentale, soit en raison d’une plus grande prévalence, soit en raison de nouveaux traitements plus coûteux. Finalement, « la pandémie a entraîné d’importants retards dans les chirurgies et les tests diagnostiques, ce qui a un effet sur la santé des individus et, ultimement, risque d’entraîner des coûts plus élevés », rappelle ¬Martin ¬Charron, associé, assurance collective chez ¬Normandin ¬Beaudry.
L’année 2024 pourrait être encore plus difficile, selon ¬Cathy ¬Perron, codirectrice des Solutions pour la santé d’Aon ¬Canada. « ¬La façon dont on calcule notre tarification dans nos régimes comprend l’expérience passée, de telle sorte qu’on n’a pas l’impact de l’inflation au moment où elle arrive, ¬explique-t-elle. On peut donc s’attendre à voir l’incidence des hausses arriver de deux à six mois plus tard que ce qu’on perçoit dans notre quotidien. »
Miser sur la flexibilité… et les soins virtuels
Dans ce contexte économique difficile, combiné à une pénurie d’employés, les employeurs tentent d’optimiser les dépenses en avantages sociaux afin de rester compétitifs. Différents produits mis à la disposition des employés s’avèrent particulièrement appréciés, notamment les soins de santé virtuels. « ¬Cela représente seulement quelques dollars par mois par certificat et les taux d’utilisation de ce service sont très élevés », mentionne ¬Dominique ¬Millette. Un sondage ¬Ipsos mené en 2020 a d’ailleurs révélé que 72 % des ¬Canadiens verraient leur employeur de façon plus positive si on leur offrait un service de télémédecine.
Plus généralement, la santé et le ¬bien-être sont les piliers d’une culture d’entreprise solide. « Une personne en début de carrière a des besoins différents d’une personne près de la retraite, constate ¬Cathy ¬Perron. Il faut donc s’adapter à sa population. Un régime flexible répondra aux attentes de plus de gens. C’est un élément qui ne coûte pas très cher et qui donne énormément de satisfaction aux employés. »
Il suffit de quelques options supplémentaires, comme les soins de santé virtuels, pour rendre un régime flexible. « ¬Même une petite entreprise qui a peu de budget peut se donner de la flexibilité, ajoute ¬Cathy ¬Perron. Il suffit d’opter pour un régime plus minimaliste, de façon à procurer plus de flexibilité aux employés. L’employeur offre la base qu’il juge nécessaire. »
Les comptes de soins de santé, pour couvrir des dépenses médicales non remboursées par leur régime, et les comptes de ¬mieux-être ont également gagné en popularité. « Plusieurs employeurs en ont élargi la portée, mentionne ¬Martin ¬Charron. Au départ, ces comptes permettaient surtout de rembourser des frais pour des activités physiques ou des équipements sportifs, mais plusieurs autorisent maintenant le remboursement des frais liés au maintien de la santé mentale, des frais de garde ou d’autres services domestiques, des titres de transport en commun ou des équipements de bureau pour le télétravail. »
Et à la question : salaire ou avantages sociaux ? Cathy ¬Perron répond que les stratégies adoptées concernant les salaires et les avantages sociaux doivent être le reflet d’une culture organisationnelle. « Quand ils choisissent un employeur, les gens ne veulent pas juste accepter une offre mirobolante. On a vu des gens revenir à leur employeur précédent, parce que le salaire n’est pas tout. La culture d’entreprise, c’est très important dans le quotidien des gens. »
Encadré
73 % des employés de 18 à 34 ans et 69 % des employés de 35 à 44 ans sont susceptibles de changer d’employeur afin de profiter d’un meilleur régime d’avantages sociaux.
Dans un bon régime d’avantages sociaux, les travailleurs recherchent avant tout :
Du soutien en santé mentale : 88 % 
Un compte de soins de santé : 80 % 
Des couvertures facultatives
personnalisées : 79 %
Source : ¬RBC Assurance