COVID-19 : la réponse de l’industrie
Richard Cloutier
La réponse des assureurs de dommages à la situation inédite engendrée par la COVID-19 depuis la mi-mars s’est déployée sur trois axes. Leurs priorités ont été d’assurer la sécurité des employés, de maintenir un service continu aux clients et de soutenir la communauté.
Chez belairdirect, la capacité des systèmes informatiques a rapidement été augmentée pour permettre au plus grand nombre d’employés de travailler depuis la maison. « En quelques jours à peine, 98 % des employés étaient installés en télétravail », signale Émilie Dutil-Bruneau, directrice principale, communications, responsabilité sociale et marque employeur chez belairdirect.
L’assureur fondé à Montréal en 1955 a aussi mis en place des mesures d’allégement pour aider ses clients aux prises avec des difficultés financières. En plus de soutenir des organismes, incluant le Club des petits déjeuners, « pour cibler les besoins immédiats des personnes et des familles les plus vulnérables aux répercussions sociales, sanitaires et économiques de la pandémie », témoigne Mme Dutil-Bruneau.
Le 8 avril, les sociétés membres du Bureau d’assurance du Canada (BAC) – soit 90 % du marché de l’assurance de dommages au Canada – ont confirmé une série de mesures d’aide aux consommateurs, incluant des options de paiement souples, et le renoncement aux frais pour insuffisance de fonds.
Le confinement a aussi eu un impact sur le comportement des assurés. En travaillant de la maison et en limitant leurs déplacements à l’essentiel, ceux-ci ont moins utilisé leur véhicule et fait moins de kilométrage.
La baisse de l’utilisation des véhicules a été corroborée par les données du programme Ajusto, confirme Valérie Lavoie, présidente et chef de l’exploitation, Desjardins Groupe d’assurances générales. « En avril, les utilisateurs d’Ajusto avaient parcouru seulement 50 % de leur kilométrage habituel. En juin, on est revenu à 90 % donc légèrement en baisse par rapport à l’avant Covid-19 ».
Dès avril, Desjardins a mis de l’avant des mesures d’allégement selon différents termes, incluant une remise sur les primes d’assurance auto aux personnes confinées et une remise entre 25 % à 40 % du montant de la prime d’assurance auto payée pour un mois, pour un total de 100 millions de dollars (M$).
Le BAC évaluait en avril que pour la période de 90 jours suivant le début de sa mise en place chez les assureurs, la mesure de réduction de primes d’assurance automobile découlant des changements dans les habitudes de conduite apportés par la pandémie « pourrait permettre aux consommateurs de réaliser des économies de 600 M$ ».
En assurance habitation, de nombreux assureurs ont temporairement haussé la limite de couverture prévue aux contrats d’assurance habitation pour les biens utilisés pour exercer un travail à domicile. Desjardins Assurances a par exemple haussé à 10 000 $ la limite de cette couverture, et a appliquée automatiquement cette protection supplémentaire à l’ensemble des détenteurs d’une assurance habitation.
Impacts financiers
Le vaste redéploiement des équipes en télétravail, accompagné d’une réorganisation en matière de solutions numériques, ainsi que la flexibilité démontrée à l’égard des clients relativement aux options de paiement et aux mesures d’ajustement de primes ont toutefois eu des conséquences pour les entreprises du secteur de l’assurance de dommages.
Au Mouvement Desjardins, on confirme que les résultats ont été affectés par les « incidences financières de la pandémie de COVID-19 ». Les résultats du premier trimestre et du deuxième trimestre 2020 font respectivement état d’excédents avant ristournes aux membres s’établissant à 285 M$, en baisse de 116 M$ (ou 28,9 %), et d’excédents avant ristournes aux membres de 529 M$, en baisse de 163 M$ (ou 23,6 %), par rapport à ceux des trimestres correspondants de 2019.
Même son de cloche à la Compagnie d’assurance générale Co-operators. Pour le trimestre clos le 30 juin, le bénéfice net consolidé s’est établi à 47,9 M$, comparativement à un bénéfice net de 79,1 M$ pour le trimestre correspondant l’an dernier. Quant aux primes directes souscrites (PDS), elles ont diminué de 3,2 % (ou 33,5 M$) au deuxième trimestre de 2020, comparativement au trimestre correspondant de 2019, pour s’établir à 1 016,3 M$. Une situation principalement attribuée au « remboursement pour déplacements réduits de 35,5 M$ dans le secteur de l’assurance automobile et à d’autres changements de couverture demandés par les clients ».
« Dans le contexte des défis liés à la COVID-19, nous nous concentrons sur le soutien à nos clients, à nos membres et à nos collectivités », a déclaré Rob Wesseling, président et chef de la direction de Groupe Co-operators dans une communication. Il constate toutefois que « les politiques budgétaires et monétaires accommodantes ont entraîné une forte remontée des marchés financiers après leur correction en mars ».
De même, chez Desjardins, on signale que « malgré les incidences de la pandémie de COVID-19 sur les résultats financiers pour le deuxième trimestre de 2020, le Mouvement Desjardins demeure une institution financière aux assises très solides capable d’absorber les contrecoups d’un ralentissement économique ».
Chez La Capitale/SSQ Assurances, le conseiller en relation avec les médias et affaires publiques Jean-Pascal Lavoie évoque aussi une « bonne santé financière », qui permet de « traverser la crise avec confiance ».
« Somme toute, les conséquences de la pandémie ne sont pas aussi aigües que ce que nous aurions pu craindre il y a quelques mois. Nous sommes en excellente santé financière et, grosso modo, nos résultats sont au rendez-vous », analyse-t-il.
Si le secteur de l’assurance de dommages résiste relativement bien jusqu’ici, l’évolution de la pandémie pourrait avoir une incidence sur les placements, et les demandes de règlement des assureurs et se répercuter à plus long terme sur les résultats de leurs activités et leur situation financière.
L’efficacité des mesures prises par les assureurs pour faire face à la situation est le facteur qui fera la différence, estime PwC. « La manière donc vous allez servir vos clients sera la clé », indique la firme-conseil dans une analyse portant sur les défis du secteur en matière de gestion face à la COVID-19.
PwC est d’avis que pour renforcer la fidélité de leurs assurés et montrer sa valeur à long terme, les assureurs doivent non seulement agir avec compassion, mais démontrer qu’ils peuvent évoluer dans cet environnement précaire avec rapidité, flexibilité et en s’appuyant sur une grande expertise technique.
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ASSURANCES DOMMAGES. En 2019, les assureurs de dommages privés du Canada ont versé 20,3 G$ en sinistres directs encourus aux titulaires de police de tout type d’assurance automobile, que ce soit en matière de responsabilité civile, indemnités d’accident, collision et sans collision ni versement, et autres garanties, selon l’étude Assurance de dommage au Canada 2020 du Bureau d’assurance du Canada (BAC).
On y indique aussi que l’assurance automobile représentait en 2019, « environ la moitié de toutes les assurances émises par les assureurs de dommages ». L’un des enjeux en cette matière concerne les implications propres aux véhicules automatisés. Le plus récent indice de KPMG évaluant le niveau de préparation des pays à l’adoption des véhicules autonomes, le 2020 Autonomous Vehicles Readiness Index (AVRI), place la cote du Canada parmi les plus élevées pour les projets pilotes financés par le gouvernement, ainsi que pour les partenariats industriels dans ce domaine.
Le document évoque les projets initiés par le Réseau d’innovation des véhicules autonomes du gouvernement de l’Ontario, mais aussi le fait que la Ville de Montréal se soit vu décerner en 2019 un prix de 50 M$ dans le cadre du Défi des villes intelligentes d’Infrastructure Canada pour un projet-pilote de véhicules automatisés visant à améliorer les transports en commun.
« Le Canada est la plaque tournante mondiale de l’intelligence artificielle (IA) : il existe une capacité de talent en IA, en télématique décisionnelle et en lidar [une méthode de télédétection et de télémétrie] à une densité que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde », reconnait Colin Earp, associé et leader national transport à KPMG Canada.
Pour l’industrie de l’assurance de dommages, l’arrivée de véhicules automatisés sur les routes doit s’accompagner d’ajustements dans les contrats, les pratiques et les lois en vigueur.
Dans le régime d’assurance actuel, « le risque est intimement lié à la personne qui conduit le véhicule ; l’évaluation de ce risque, la tarification, le contrat d’assurance automobile, tout comme le règlement d’un accident, tiennent compte du conducteur du véhicule. Lorsque celui-ci sera remplacé par de la technologie, il faudra revoir et adapter certains volets du régime d’assurance automobile du Québec », signale le BAC.
Dans le document Assurance automobile des véhicules automatisés : Préparons-nous pour la mobilité de l’avenir, publié en novembre 2018, le BAC recommande à cet égard « l’instauration d’une police d’assurance intégrale qui couvrirait la négligence du conducteur et le mauvais fonctionnement de la technologie automatisée, afin de faciliter le traitement des réclamations en assurance responsabilité civile ».
Concernant le fait que la technologie inhérente aux véhicules automatisés sera propice à enregistrer et accumuler une quantité appréciable de données, l’association sectorielle des sociétés privées d’assurance de dommages estime que « cela amènera inévitablement des questions sur la responsabilité se rapportant à un produit, que ce soit les composantes du véhicule lui-même ou les logiciels pour le faire fonctionner ».
Le BAC suggère donc l’instauration d’une entente « imposée par la loi de partage de données entre les constructeurs de véhicules, les propriétaires de véhicules et les assureurs pour tenter de déterminer les causes des collisions ».
De son côté, le Conseil canadien des responsables de la règlementation d’assurance annonçait en mars 2019 son intention de mener une consultation sur les véhicules autonomes. Par l’entremise de son Groupe de travail sur les fintechs, il se donnait deux ans pour « déterminer les limites actuelles des lois en ce qui a trait aux véhicules autonomes et à l’assurance », afin de cerner les « besoins réglementaires futurs ».