Pour l’instant, les prestataires de services en assurance de dommages auto et habitation utilisent surtout des données comportementales et des données structurées. (Photo: 123RF)
ASSURANCES DE DOMMAGES. Le développement des technologies numériques amène les assureurs à redéfinir la manière dont ils interagissent avec leurs clients, que ce soit dans la façon de recueillir des informations, ou de les communiquer.
«Les entreprises doivent adapter leur modèle à cette transformation numérique qui évolue sans cesse et qui crée continuellement de nouvelles données. Lorsqu’elles sont bien utilisées, ces données permettent de mieux connaître le client et de développer une forme d’intelligence nous permettant de lui faire vivre une expérience optimale. La qualité des données se révèle donc centrale dans une vision qui se veut centrée sur le client», indique Éric Trudel, premier vice-président, Stratégies et gestion de l’offre, chez SSQ Assurance.
Alors que plusieurs entreprises doivent composer avec des bases de données multiples, SSQ Assurance s’est dotée d’une vision unifiée des données clients en réconciliant ses bases de données, mentionne M. Trudel. Selon lui, cette démarche permet à l’assureur fondé à Québec en 1944 d’améliorer constamment ses analyses de prédiction et de prévention des risques, de bonifier son offre de produits et de services et d’optimiser la personnalisation de ses initiatives marketing. «La gestion des données, combinée à l’évolution technologique, constitue donc un ingrédient de succès pour bâtir et maintenir une relation client/entreprise gagnante-gagnante».
Les sources d’information
Dans une étude destinée à comprendre la place accordée au numérique dans les pratiques des assureurs de dommages publiée en mars 2018, le CEFRIO constate que pour l’instant, les prestataires de services en assurance de dommages auto et habitation utilisent surtout des données comportementales et des données structurées.
Si la plupart des assureurs ont mentionné accomplir «certaines actions marketing à partir des données provenant de leur système relation client (CRM), comme le complément de portefeuille de produits», l’étude du CEFRIO évoque également l’utilisation de données externes comme source d’information. On cite, par exemple, celles qui sont contenues au fichier central des sinistres automobiles pour la tarification des polices d’assurance auto, celles des villes pour obtenir l’information foncière sur une maison, et celles de Google Maps afin de localiser une résidence et observer les risques rattachés à l’emplacement.
Selon l’étude, toutefois, les données récoltées par les assureurs le sont principalement par l’entremise d’applications mobiles intégrant de la télématique, puis analysées par «des équipes de type Consumer Analytics ou encore Business Intelligence» dans le but de permettre une meilleure gestion, ainsi que la prévention des risques et une meilleure tarification. On cite en exemple la récolte, puis l’analyse de données sur la conduite automobile de clients afin d’adapter leur tarification. «Environ la moitié des assureurs rencontrés propose des applications mobiles intégrant de la télématique», indique le CEFRIO.
Indéniablement, ces données recueillies par les applications mobiles et les objets connectés peuvent en dire long sur les individus, incluant les lieux fréquentés, les habitudes de vie, et même leur état de santé. Dans ce contexte, Option consommateur rappelle que les données recueillies par les objets connectés peuvent être considérées comme des renseignements personnels et qu’au regard des lois canadiennes, lorsque «les entreprises recueillent, utilisent ou communiquent vos renseignements personnels, elles ont l’obligation légale de les protéger, notamment en adoptant des mesures de sécurité adéquates. De même, elles doivent vous expliquer ce qu’elles feront de vos renseignements personnels et obtenir votre consentement».
La Commission d’accès à l’information du Québec indique pour sa part que, bien qu’elle soit consciente des avantages pratiques de ces objets intelligents, elle est «néanmoins préoccupée par les enjeux soulevés en matière de protection des renseignements personnels, notamment lorsqu’il est question de communication de renseignements personnels à des tiers».
Elle souligne sur son site web que de nombreux acteurs gravitent autour de l’écosystème des objets connectés, par exemple des développeurs d’applications et des courtiers en données, qui «peuvent se montrer très intéressés par les renseignements personnels collectés». La Commission ajoute : «Les assureurs qui souhaitent de plus en plus adapter le coût des primes d’assurance aux habitudes de vie des consommateurs pourraient être intéressés par les renseignements recueillis à l’aide d’objets utilisés au quotidien.»
Il faut dire que l’attrait propre à certains avantages, par exemple une réduction sur des produits et des services, semble être pour des clients une motivation suffisante à partager des données personnelles. Un rapport d’Accenture publié en mars 2019 indique que près de la moitié des consommateurs canadiens accepteraient de partager des données personnelles importantes avec leur banque et leur compagnie d’assurance, comme des données sur l’emplacement et de l’information sur les habitudes de vie, en échange de tels avantages.
«Les consommateurs canadiens sont prêts à partager leurs données personnelles lorsque ça leur simplifie la vie, mais ils demeurent méfiants quant à la façon dont cette information est utilisée», a commenté Robert Vokes, directeur général pour les services financiers chez Accenture au Canada, à la suite de la publication du rapport. En effet, malgré l’attrait lié à certains avantages, les consommateurs canadiens ont affirmé dans une proportion de 72 % que «la vie privée est primordiale» et qu’ils demeuraient «très prudents quant à l’aspect confidentiel de leurs informations personnelles».
Protéger le public
Dans la mesure où pour les assureurs, les données personnelles constituent un avantage au service des clients, ils évoquent la protection et la sécurité de celles-ci comme une priorité. Émilie Dutil-Bruneau, directrice principale, Communications, responsabilité sociale et marque employeur, chez belairdirect, signale par exemple l’utilisation de mesures de sécurité strictes lors du stockage ou de la destruction des renseignements personnels des clients afin d’empêcher tout accès non autorisé, et, dans le cas de divulgation de renseignements personnels à des tiers, une protection similaire est exigée de leur part.
Chez SSQ Assurance, on affirme aussi respecter de façon stricte les lois et règlements qui encadrent la protection de la vie privée, et protéger l’ensemble des renseignements personnels détenu, ajoutant avoir mis en place une politique de protection des renseignements personnels pour guider les affaires dans le respect des normes d’éthique et d’intégrité les plus strictes.
«Dans l’environnement numérique actuel, nous sommes conscients que les consommateurs s’attendent à recevoir des communications personnalisées et pertinentes selon leur situation, leur profil, ou leur utilisation des produits et services qu’ils achètent. Mais sans encadrement légal, l’utilisation de renseignements personnels à des fins de sollicitation pourrait mener à des dérives répréhensibles», signale M. Trudel.
Bien que la technologie puisse alléger le fardeau administratif du représentant, elle ne le soustrait pas pour autant de ses obligations de s’assurer que les informations collectées à partir d’un outil informatique sont complètes et exactes, rappelle Anne-Marie Poitras, PDG de la Chambre de l’assurance de dommages. Selon elle, «le représentant doit toujours s’enquérir de la situation de son client, définir ses besoins et le conseiller adéquatement».
Ultimement, il faut s’assurer que l’utilisation que nous faisons des données, dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui, est transparente, pertinente et répond aux attentes de nos membres et de nos clients, lance Denis Dubois, président et chef de l’exploitation de Desjardins Groupe d’assurances générales. «Il faut s’assurer d’être en phase avec nos clients et se questionner constamment quant à nos pratiques, parce que ce qui était éthiquement acceptable il y a dix ans ne l’est plus nécessairement aujourd’hui, et inversement.»