Les écosystèmes partageront leurs « précieuses données sur les clients » de façon à obtenir une vision globale de leurs besoins et de leurs comportements. (Photo: 123RF)
ASSURANCES DE DOMMAGES. Le paysage canadien de l’assurance de dommages est en pleine transformation. Les grandes sociétés d’assurance et les acteurs spécialisés n’auront d’autres choix que d’explorer « de nouveaux débouchés en matière de produits et de segments d’activité dans un contexte où les consommateurs considèrent l’assurance comme une marchandise », indique Deloitte dans son rapport L’assurance de dommages réinventée : 2025.
Bien que les assureurs offrent depuis longtemps des relations de fournisseur privilégié à leurs clients, un nouveau paradigme pourrait bien les amener à offrir des services à valeur ajoutée à l’aide d’un réseau de partenariats axés sur la collaboration. « Aucun assureur ne vit en vase clos. Dans un monde ‘‘branché’’ et hautement concurrentiel, les assureurs et les autres sociétés constateront que l’établissement de partenariats stratégiques mutuellement avantageux constitue le moyen le plus efficace de rester pertinents », selon Deloitte.
Les assureurs doivent donc redéfinir leur rôle et leurs modèles commerciaux traditionnels de manière à évaluer les opportunités de partenariats avec d’autres acteurs évoluant en parallèle. Ils doivent comprendre dans quelle mesure ces écosystèmes sont une occasion de créer de nouvelles sources de revenus, affirme McKinsey & Company dans son rapport Digital Insurance in 2018 : Driving real impact with digital and analytics, publié en décembre dernier.
Dans un écosystème de la mobilité personnelle qui se trouve « en pleine perturbation technologique » avec l’arrivée d’entreprises telles que Uber et Lyft, mais aussi le développement de services d’autopartage ou à la demande, et la venue prochaine de véhicules autonome, illustre McKinsey & Company, les assureurs pourraient trouver « une gamme d’opportunités de développement ». La firme croit que ceux-ci pourraient par exemple s’impliquer par l’entremise de services de modélisation prédictive et d’analyse des risques, dans des activités telles que l’achat et la maintenance de véhicules, le covoiturage, la gestion du trafic et du stationnement, et la connectivité des véhicules.
McKinsey & Company est d’avis que les écosystèmes comme celui de la mobilité personnelle ou d’autres, comme celui de la santé, du voyage ou de l’éducation, représenteront 30% des revenus mondiaux d’ici 2025, et que les assureurs, parce qu’ils disposent traditionnellement de solides capacités d’analyse, se trouvent en bonne position pour faire évoluer leur modèle d’affaires.
« Aider les titulaires de police à faire l’achat ou l’entretien de leur automobile ou de leur habitation n’est pas seulement utile, ce sera aussi un moyen judicieux et moins coûteux pour les assureurs de gagner des clients et de les fidéliser au lieu des stratégies traditionnelles d’intégration verticale/horizontale », signale Deloitte.
Selon son rapport, les écosystèmes partageront leurs « précieuses données sur les clients » de façon à obtenir une vision globale de leurs besoins et de leurs comportements. Ainsi, toutes les composantes « de la chaîne de valeur de l’assurance en profiteront, du marketing aux ventes, en passant par la distribution, la souscription et les demandes d’indemnisation, et la qualité de l’analytique des assureurs s’en trouvera également améliorée ».
Éviter les dérives
Si le partage des technologies liées à l’intelligence artificielle, par exemple, est relativement « open source », les entreprises, et pas seulement celles qui évoluent dans le secteur de l’assurance, sont encore très avares de leurs données, constate François Laviolette, professeur titulaire de la Faculté des sciences et de génie à l’Université Laval, et titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG – Intact Corporation financière sur l’apprentissage automatique en assurance.
Nous savons exactement comment a été construit et comment fonctionne le système de traduction linguistique de Google, car ces informations sont publiées, mais je suis incapable de le reproduire car je n’ai pas accès à l’ensemble des données que Google a utilisé pour monter son projet, illustre François Laviolette.
Selon lui, cela s’explique simplement parce que les données parlent des clients, des individus, et que par définition elles sont sensibles. Puisque le modèle d’affaires d’une compagnie d’assurance repose sur la confiance, elle ne peut pas se permettre de les laisser aller sans surveillance, dit-il. Il cite en exemple les données de télématique, comme celles récoltées par le programme Ma conduite d’Intact assurance. « Ce sont des données très sensibles et elles ne sortent pas de l’environnement protégé de la compagnie. Pour les utiliser, on entre dans la zone sécurisée, on lance nos algorithmes et on récupère ce que les algorithmes ont trouvé. Les étudiants ne peuvent jamais vraiment travailler sur ces données et ce sont des algorithmes qui vont ‘‘regarder’’ ce qui se passe ».
Sans juger spécifiquement du modèle illustré par Deloitte et par McKinsey & Company, François Laviolette est d’avis qu’un modèle écosystémique supporté par un système de données ouvertes (open banking) au sein duquel la donnée appartient à l’individu qui donne le droit aux entreprises d’y avoir accès « pourrait être intéressant. » Le défaut de ce modèle, selon lui, ou « ce qui me fait un peu peur, c’est de voir dans quelle mesure les gens vont donner un consentement pour toutes utilisations de leurs données sans vraiment y réfléchir ou se donner la peine de voir qu’elle en est la protection ».
François Laviolette, qui est également directeur du Centre de recherche en données massives (CRDM), croit qu’il serait d’abord judicieux de mener une réflexion sur d’éventuelles balises destinées à encadrer cette pratique, comme l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique (OIISIAN), dont il est l’un des cochercheurs, s’est engagé à le faire au sujet des effets positifs et négatifs de ces technologies, notamment dans une perspective de protection des données personnelles.
Évoquant le récent cas de Cambridge Analytica qui a notamment accédé aux données de plus de 600 000 Canadiens, il signale : « l’aspect sensibilité des données, il faut prendre ça très au sérieux. Pour moi cette histoire est quelque chose d’extrêmement grave, car on a utilisé les données personnelles des gens pour influencer la démocratie ».
Il faut, selon lui, revoir les processus afin que ça se reproduise le moins possible. « Malheureusement, le risque zéro n’existe pas, mais il faut tout faire pour nous protéger contre ce genre de situation », ajoute François Laviolette.