Dans un contexte de croissance des coûts propres aux changements climatiques, les assureurs doivent avoir recours à des modèles pour mieux prévoir les zones à risque d’inondation. (Photo: Getty Images)
ASSURANCES DE DOMMAGES. La réalité des assureurs de dommages est en pleine mutation. Pour faire face à des facteurs aussi divers que les changements climatiques, l’évolution du comportement des consommateurs, l’innovation rapide marquant la technologique, de même que l’accentuation réglementaire, les assureurs font preuve de beaucoup de créativité afin d’adapter leur pratique.
L’évolution des attentes des clients et de leurs habitudes de consommation, notamment par l’utilisation des applications mobiles et des médias sociaux, oblige les assureurs à repenser leur modèle d’affaires traditionnel. Elle les amène à intégrer diverses solutions technologiques permettant de bonifier le processus de magasinage, l’administration des polices, la gestion des réclamations, ainsi que les méthodes de facturation et de tarification.
Surtout, la technologie joue un rôle important dans l’évaluation des risques servant à déterminer la valeur des primes. Chez SSQ Assurance, par exemple, la tarification est basée sur un modèle statistique multivarié qui permet d’estimer les coûts «de façon très précise et équitable entre nos assurés». Le recours à des modèles s’appuyant sur l’«expérience en sinistres» permet de suivre de très près l’évolution des coûts des réclamations, indique Éric Trudel, premier vice-président, Stratégies et gestion de l’offre.
Il cite en exemple les véhicules dont les technologies entraînent des coûts de réparation très élevés, sans que ces technologies ne permettent de réduire de façon significative la fréquence des sinistres, et qui «verront leur tarification augmentée», alors que l’inverse est aussi vrai.
Belairdirect fait aussi appel à la technologie et aux données «pour mettre au point des algorithmes basés sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine» pour mieux prévoir et évaluer les risques, signale Émilie Dutil-Bruneau, directrice principale, Communications, responsabilité sociale et marque employeur.
Si l’assureur, établi en 1955 est devenu, en 1997, la première compagnie d’assurance en Amérique du Nord à offrir des soumissions d’assurance auto en ligne, directement à ses clients, belairdirect tire aujourd’hui parti de l’intelligence artificielle pour concevoir des produits et des services.
Mme Dutil-Bruneau cite en exemple automérite, un outil télématique qui allie «une technologie de pointe à des algorithmes alimentés par un apprentissage machine». Le client se trouve récompensé pour sa bonne conduite par des rabais personnalisés sur sa prime d’assurance auto. Chez Desjardins Assurance, le programme Ajusto permet lui aussi au client de bénéficier d’une rétroaction personnalisée sur sa conduite et d’obtenir jusqu’à 25 % de rabais sur sa prime d’assurance auto.
En mode prévention
Actif au sein de l’industrie de l’assurance depuis plus de 25 ans, Denis Dubois qualifie de «phénoménale» la transformation qui marque le secteur en raison de l’adoption croissante de différentes technologies par les joueurs de l’industrie. Le président et chef de l’exploitation de Desjardins Groupe d’assurances générales affirme observer davantage de changements depuis 5 ans qu’au cours des 20 années précédentes.
Il est d’avis que l’apparition d’applications et de programmes de prévention tels qu’Ajusto et Alerte, qui permettent aux clients d’être informés sur leur téléphone intelligent en cas de dégât d’eau ou de risque de gel, contribue à faire disparaître le modèle traditionnel qui guidait les relations avec l’assuré. Ce modèle, où les assureurs pouvaient parler une fois par année à leurs clients, habituellement au moment du renouvellement du contrat d’assurance ou lorsque survenait un sinistre, a évolué au profit de modèles marqués par une conversation en continu avec l’assuré, de manière omnicanale.
Il constate aussi que la technologie, parce qu’elle décuple les capacités analytiques, amène la gestion de risques à des échelons encore jamais atteints, permettant encore mieux de prévenir les sinistres et d’aider les personnes à protéger leurs actifs. Ainsi, en 2017, Desjardins a lancé une protection inondations pour les assurés dont la propriété est située dans une zone où le risque est faible. «Auparavant, les gens ne pouvaient pas s’assurer contre l’inondation», affirme-t-il. La capacité de l’infonuagique, les méthodes analytiques avancées rendues possibles grâce à l’intelligence artificielle et l’accès à des données externes, a permis à Desjardins de modéliser l’ensemble des cours d’eau du Canada et de géolocaliser les propriétés. «Ce faisant, en fonction des distances et de l’élévation des cours d’eau, nous sommes en mesure d’évaluer le risque», explique M. Dubois.
Il cite aussi la fonctionnalité Radar, lancée il y a quelques mois et qui permet à l’assuré d’être averti en cas de risque météorologique sérieux dans un rayon de 500 mètres de sa propriété. «Lorsqu’il y a eu des tornades en Outaouais et dans l’Est ontarien, en septembre 2018, nous avons envoyé environ 6 500 alertes 30 minutes avant qu’elles ne frappent, ce qui a permis aux gens d’agir en amont», illustre M. Dubois.
Ces tornades, dont les vents ont atteint jusqu’à 265 km/h selon Environnement Canada, ont occasionné des dommages assurés de plus de 410 millions de dollars, d’après le Bureau d’assurance du Canada (BAC). Les conditions météorologiques extrêmes ont d’ailleurs causé pour 1,9 milliard de dollars de dommages assurés en 2018 selon Catastrophe Indices and Quantification, plaçant l’année 2018 au quatrième rang quant à l’année des sinistres les plus coûteux jamais enregistrés, a indiqué le BAC dans son bilan annuel.
Réduire les coûts
Dans ce contexte marqué par la croissance des coûts financiers propres aux changements climatiques, les assureurs trouvent aussi dans la technologie des avenues permettant de contrer la baisse des profits liés à la hausse des sinistres. Chez SSQ Assurance, M. Trudel évoque ainsi non seulement le recours à des modèles prédictifs pour mieux prévoir les zones à risque d’inondation, de fortes pluies et de tremblement de terre, mais aussi l’utilisation d’outils de soumission en ligne facilitant le processus de vente et d’outils web permettant à l’assuré de déclarer les sinistres en ligne, afin de permettre un meilleur contrôle des coûts administratifs.
Chez Desjardins, cet exercice d’investissement dans la technologie destiné à la réduction des coûts a contribué à faire diminuer la structure de frais d’exploitation en pourcentage des primes de près de trois points de pourcentage, la faisant passer de 27,7 % à 24,9 % dans les trois dernières années, affirme M. Dubois. Selon lui, la technologie est un levier qui permet de rendre les processus plus efficaces, de faire des gains de productivité et de créer de la valeur pour les clients. «Mais il s’agit d’un chantier en soi dans lequel il y a beaucoup de sous et d’énergie investis et, dans ce contexte, la taille des joueurs devient un enjeu pour être capable de suivre la cadence.» Il ajoute que l’accentuation du recours à la technologie ne doit pas faire oublier au prestataire que lorsque survient un sinistre, qu’une maison brûle ou que des gens sont blessés dans un accident, «des vies sont bouleversées et que le côté humain doit rester très fort».
Pour sa part, si elle salue également le fait que «les applications, la technologie et les outils numériques sont un moyen pour améliorer la relation avec les clients et l’efficacité», Anne-Marie Poitras, PDG de de la Chambre de l’assurance de dommages, rappelle qu’un assuré ne doit pas être pénalisé par le moyen qu’il choisit pour souscrire une assurance ou négocier son règlement de sinistre. «Il a les mêmes protections !»