Maryse Sauvé et Daniel Bonin, copropriétaires de l’entreprise de production d'œufs de cane À la canne blanche (Photo: Facebook de l'entreprise)
EXPERT INVITÉ. Quand on vit avec un handicap ou une différence, sans réseau pour nous ouvrir des portes, et qu’on fait face aux jugements de la société, on finit par se demander comment faire sa place dans un domaine qui nous passionne. La réponse est simple: on se débrouille!
Se lancer avec peu de ressources
Pour moi, le chemin n’a pas été tout tracé pour travailler dans le monde des communications. J’ai dû apprendre à créer mes propres occasions favorables, malgré les obstacles. Rien ne me prédestinait à lancer ma propre entreprise dans cet univers: j’ai un DEC en graphisme du Cégep de Rivière-du-Loup, mais aucune formation en lancement d’entreprise, en communication ou en marketing. Et au début, j’avais aucun contacts dans le domaine. Ajoutez à ça ma surdité… Bien des gens doutaient de mes capacités.
À l’école, j’ai souvent refusé les aides qui m’auraient permis de mieux comprendre les matières théoriques pour être «comme tout le monde», ce qui compliquait mon apprentissage. Terminer mon DEC a été une grande fierté, et, avant même d’y arriver, j’avais déjà découvert le mentorat pour entrepreneur grâce à des recherches sur le Web. J’avais aussi lancé ma première entreprise, travaillé avec de vrais clients et accumulé des expériences concrètes. Cette débrouillardise a été mon plus grand atout pour entrer sur le marché du travail.
Et quand je parle de débrouillardise, c’est s’adapter et inventer des solutions là où d’autres n’en voient pas.
J’aime faire le lien avec le parcours de plusieurs artistes. Par exemple les chanteurs. Ils se produisent dans les petites salles de leur quartier, font la promotion de leur musique sur les réseaux sociaux, lancent des campagnes de financement pour leurs projets, participent à des concours, etc. Ils vont là où ils peuvent se faire entendre et trouver les bonnes personnes pour les aider à avancer.
Surmonter les défis au quotidien
Quand j’ai été acceptée pour un implant cochléaire à l’oreille droite, ma compréhension de la parole sans voir la bouche des gens était devenue beaucoup plus difficile. Sans m’en rendre compte, lire sur les lèvres et me débrouiller avec le Web sont devenus mes outils pour avancer et me créer un réseau.
Pour éviter les contextes bruyants et stressants où la communication peut être difficile, j’ai développé mes compétences en relations de presse. Aujourd’hui, je les utilise partout : pour réseauter en personne, communiquer avec les médias, ou me préparer à assister à des événements. Avant de me rendre à une conférence, par exemple, je contacte des participants que je souhaite rencontrer pour briser la glace à l’avance.
Quand j’ai déménagé à Shawinigan, j’ai appliqué cette même stratégie. Deux mois avant mon arrivée, j’ai pris contact avec des acteurs locaux. Dès mon installation, j’avais déjà des connexions solides, ce qui a facilité mon intégration dans la communauté entrepreneuriale de Shawinigan.
Un quotidien adapté aux outils numériques
Bien avant que Zoom ne fasse partie de notre quotidien, les appels téléphoniques représentaient déjà un défi pour moi. Je prenais l’habitude de résumer chaque échange par courriel et ne répondais aux appels que lorsque j’avais un contexte clair. Aujourd’hui, j’informe mes interlocuteurs de ma surdité dès le départ. Si un appel en visioconférence dure longtemps, j’utilise des outils intelligents, comme des applications de transcription, pour prendre des notes. Bien que ce ne soit pas parfait, ces outils me permettent souvent de repérer des informations que j’aurais autrement manquées.
Les parcours inspirants des autres
Autour de moi, j’ai vu tant de gens avec des handicaps, visibles ou invisibles, faire preuve de débrouillardise pour avancer. Prenons Daniel Bonin et Maryse Sauvé, copropriétaires de l’entreprise de production d’œufs de cane À la canne blanche. Tous deux non-voyants, ils utilisent VoiceOver et Jaw’s, des logiciels qui transcrivent le contenu de leurs écrans pour lire différents documents administratifs, gérer leurs courriels et leurs réseaux sociaux.
Il y a aussi Alison Jolly et Mathieu Caron, promoteurs d’Autisme en mouvement, dont la mission est de sensibiliser le public au spectre de l’autisme et aux neuroatypies, tout en faisant la promotion de la tolérance et l’acceptation des différences. Autistes, ils ont une vision unique du monde. Alison m’expliquait récemment qu’ils préfèrent des échanges simples et structurés pour bien se faire comprendre et utilisent l’authenticité comme stratégie de communication, en expliquant dès le départ à leur interlocuteur comment ils préfèrent communiquer. Ils utilisent aussi parfois ChatGPT pour formuler plus clairement leurs idées.
D’autres exemples montrent la capacité de débrouillardise des personnes en situation de handicap. François Bernier, président d’Horizon B2B, vit avec une amyotrophie spinale (type 2) et ne peut pas utiliser un clavier conventionnel pour échanger avec ses clients et les membres de son équipe. Il se débrouille grâce à Zoom et un clavier intelligent.
Quant à Moïze Laanait, développeur web à son compte (DigitApp), il combine surdité, perte de vision et épilepsie. Longtemps, il activait les sous-titres pendant ses vidéoconférences, mais comme ils ne sont pas toujours exportables, il prenait des captures d’écran pour y revenir plus tard. Il utilise aujourd’hui Read.aipour automatiser la prise de notes et maximiser l’efficacité de ses échanges en ligne.
Une débrouillardise enrichissante pour les entreprises
J’ai toujours trouvé que les personnes en situation de handicap sont parmi les plus débrouillardes et inventives que l’on peut rencontrer. Elles sont bien placées pour comprendre l’importance de l’innovation et y contribuer. Chaque jour, elles font face à des obstacles particuliers, souvent invisibles pour les autres. Et les solutions qui leur sont proposées ne sont pas toujours adaptées. Elles doivent donc faire preuve de créativité et de débrouillardise au quotidien.
Plutôt que de se limiter aux défis, voir leur potentiel créatif et la débrouillardise qu’elles ont ouvre la porte à des solutions inédites pour les organisations.
Et si, dès maintenant, on leur posait deux questions essentielles au lieu de se concentrer uniquement sur leur handicap: «Comment préférez-vous qu’on communique?» et «Comment puis-je vous soutenir pour que vous puissiez donner le meilleur de vous-même?» Car une véritable collaboration commence par l’écoute et le respect.