Le processus de recrutement a été bouleversé par les entrevues à distance. (Photo: 123RF)
CHASSEURS DE TÊTE. «Impensable.» Voilà ce qu’aurait répondu Xavier Thorens, président du cabinet Thorens Solutions, si on lui avait dit avant la pandémie qu’il ferait des entrevues virtuelles de cadres. Pourtant, aujourd’hui, c’est le cas de la quasi-totalité d’entre elles. «Auparavant, 95 % des candidats venaient en personne; le changement est donc radical», précise Stéphane Dignard, président de Recrutement intégral.
Certes, les outils de visioconférence ne sont plus un problème pour les professionnels. Mais le processus de recrutement s’en trouve malgré tout fortement bouleversé.
Déjà, il faut savoir que ce type d’entrevue ne commence pas à la première question du chasseur de têtes, mais bien dès que la personne candidate franchit le seuil de la porte du cabinet. «Quand une personne arrivait, il y avait une première lecture qui se faisait dès la réception: est-elle polie, sympathique, ouverte, hautaine? Si on lui propose un café, est-elle exigeante ou non? Ce sont plein de petits gestes qu’on ne peut plus voir», détaille par exemple Elisabeth Starenkyj, coprésidente et associée principale de La tête chercheuse. «Avant que la personne ne s’assoie dans mon bureau, j’avais déjà une trentaine de critères d’analyse», confirme Roger T. Duguay, associé directeur et fondateur du bureau montréalais de la firme de recrutement de cadres supérieurs Boyden.
Il devient aussi plus difficile de cerner les compétences comportementales des candidats et tout le non verbal exprimé. «Cela désavantage les personnes les plus charismatiques, car cette dimension ressort un peu moins à la caméra», constate Roger T. Duguay. Les chasseurs de têtes doivent donc adapter leurs habitudes d’entretiens pour diminuer autant que possible ces nouveaux angles morts des entrevues à distance.
Des processus revus en profondeur
Les tests psychométriques sont par exemple devenus de plus en plus fréquents. «On les utilisait plus pour des postes de direction ou de vice-présidence. Aujourd’hui, ils sont demandés même pour des rôles de gestionnaires», témoigne Elisabeth Starenkyj. «Il est plus difficile de se baser sur notre intuition de recruteur, donc on vient valider notre démarche par ces tests psychométriques ou par des références professionnelles plus approfondies», ajoute Stéphane Dignard.
«La situation nous oblige aussi à avoir plus de points de contact avec le candidat, poursuit Elisabeth Starenkyj. Au lieu d’une entrevue physique, il nous arrive désormais de tester sa communication par courriel et de faire deux entrevues à distance pour vérifier sa cohérence, mais également pour voir sa réaction, s’il s’impatiente ou s’il comprend la démarche.» Ce qui permet par ailleurs de se rendre compte si la personne dispose bien des nouvelles aptitudes nécessaires pour s’intégrer et travailler dans un contexte de télétravail généralisé.
Le recruteur doit en effet vérifier si le candidat fait preuve de débrouillardise et de curiosité malgré l’écran interposé, ou encore comment il s’est adapté et a surmonté les difficultés la dernière année. Comment gère-t-il le travail à la maison ? Se montre-t-il résilient à l’égard des changements? Autant de traits de personnalité particulièrement scrutés désormais.
«On va aussi juger comment la personne a préparé son environnement immédiat», précise Roger T. Duguay. «On se retrouve à l’intérieur de l’habitat des candidats, observe Elisabeth Starenkyj. Il y a donc une dimension intimiste qui s’est ajoutée et qui peut nous amener à avoir des discussions que l’on n’avait pas auparavant.