L’investissement privé, une option de plus pour les gens fortunés
Jean Décary|Édition de la mi‑septembre 2024(Photo: Adobe Stock)
CLIENTS FORTUNÉS. «Quand l’argent précède, toutes les portes s’ouvrent », écrivait Shakespeare. Pour les clients aux poches profondes, l’une de ces portes entrebâillées est celle des placements privés — moins accessibles pour monsieur et madame Tout-le-Monde — qui représentent une option de plus dans leur coffre à outils.
« L’an dernier, nous avons récolté plus de 20 milliards de dollars pour tous nos fonds, et plus de 25 % [de ce montant] provenaient de gens fortunés, ce qui est à la fois un record et une tendance du marché très importante », constate Mark Benedetti, directeur général et coresponsable de la société d’investissement privé indépendante Ardian en Amérique du Nord.
Il observe cette tendance depuis près de 20 ans. « J’attribue cela aux bons rendements et à la volatilité moindre des investissements privés. » Il fait remarquer qu’en pleine crise financière, en 2009, alors que le S&P 500 chutait de 65 %, les investissements privés limitaient les dégâts à -20 %.
« Oui, c’est une avenue à privilégier pour les clients fortunés », affirme Sylvain De Champlain, président de De Champlain groupe financier. Il prend comme exemple les plus grandes caisses de retraite du monde, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec, pour qui de 15 % à 20 % de ses actifs sont investis dans des placements privés. « C’est un peu la référence pour plusieurs firmes
d’investissement. »
Il est conscient que ce type de placement peut être alléchant pour une clientèle qui cherche davantage d’options que celle des placements traditionnels : liquidités, titres à revenu fixe et actions. « C’est le genre de placement qui résonne davantage pour les gens riches, car ils peuvent se permettre un peu plus de risque. »
Toutes les entreprises ne décident pas de faire leur entrée en Bourse, explique Sylvain De Champlain. « Prenez juste Fidelity à titre d’exemple, l’une des plus grosses firmes d’investissement, c’est une société qui n’est pas cotée en Bourse. » Selon lui, le potentiel de croissance élevé est ce pour quoi un investisseur choisit de se tourner vers ce type de placement.
« Quand tu es un investisseur accrédité, ça ouvre la porte à ce type de placement où tu peux investir dans des start-ups ou des sociétés de capitaux privés », convient Cimon Plante, gestionnaire de portefeuille et conseiller principal en gestion de patrimoine, Groupe Plante, à la Financière Banque Nationale. Mais même avec un gros portefeuille, par exemple de 25 millions de dollars, cela peut être très difficile de tirer son épingle du jeu. « L’accès aux meilleures offres est très limité, les gros investisseurs ont déjà des relations tissées serrées avec des joueurs institutionnels qui ont un premier regard sur ces nouveaux fonds en investissement privé. »
Il est d’avis que, sans être une option incontournable, cette avenue devrait quand même être envisagée pour une personne fortunée. « Ça dépend des profils de risque des individus, mais je crois qu’environ 15 % du portefeuille devrait avoir une exposition à ce type de placement. »
Ces personnes, qui ont beaucoup de liquidités, peuvent, selon lui, « geler » une partie de leur pécule dans ce type d’investissement moins liquide. « Souvent, ces investisseurs cherchent la préservation du capital et c’est un secteur qui est moins volatil, car ce n’est pas la Bourse qui va dicter quelle est la valeur de l’entreprise, mais des vérificateurs de grandes firmes comptables. »
Un marché niché où la prudence reste de mise
L’actif sous gestion (dans tous les domaines, publics et privés) de la fortune globale est détenu à 50 % par des institutions (caisses de retraite, compagnies d’assurance, fonds souverain, etc.) et 50 % par des individus.
« Les individus ne représentent que 18 % du marché de l’investissement privé », explique Mark Benedetti, d’Ardian. Il est conscient que l’accès à ce marché est très compliqué et que la réglementation représente une barrière à l’entrée. « C’est aussi vrai que ce sont des actifs moins liquides, mais, techniquement, une personne qui détient un REER pour la retraite n’a pas non plus besoin de son argent à court terme. »
Selon lui, le marché de l’investissement privé est appelé à se démocratiser dans les années à venir. « Ça reste encore difficilement accessible à cause du niveau de complexité », dit-il.
Cimon Plante croit tout de même qu’il faut demeurer prudent avec ce type de placement qui a largement profité d’une décennie marquée par de bas taux d’intérêt. « Les entreprises privées s’achetaient à des multiples élevés, mais le financement n’était alors pas dispendieux. »
La réalité a changé, selon lui. Le coût de financement pour ces fonds est beaucoup plus élevé et il y a plus de joueurs dans l’industrie, ce qui fait que la compétition est aujourd’hui plus féroce. « Oui, l’investissement privé a sa place, mais il faut miser sur une équipe de gestion talentueuse. »
Qu’est-ce qu’un client fortuné ?
La fameuse terminologie du « millionnaire » n’a plus le clinquant d’antan.
« Le pouvoir d’achat a évolué et il en va de même de la charge du mot “millionnaire” », mentionne Sylvain De Champlain, président de De Champlain groupe financier. « Ce n’est plus ce que c’était. Cela dit, un investisseur qui possède un portefeuille de 1 million de dollars (M $) serait considéré comme fortuné chez nous. »
« Quand on parle d’un client “High Net Worth” (avoir net élevé]), on parle de 2,5 M $ à 15 M $, alors que pour les “Ultra High Net Worth”, on est davantage dans le 15 M $ et plus, mentionne Cimon Plante, gestionnaire de portefeuille et conseiller principal en gestion de patrimoine, Groupe Plante, à la Financière Banque Nationale.
« Un client avec un portefeuille de 2 M $ et plus est considéré comme un client fortuné dans le milieu où j’évolue », dit Vincent Fournier, gestionnaire de portefeuille à Claret.
« Mais ce que je considère vraiment comme quelqu’un de fortuné, c’est une personne qui a atteint un niveau d’autonomie financière, c’est-à-dire qui possède un portefeuille de placements dont les revenus générés lui permettent de régler l’entièreté de ses dépenses et plus encore. »
Selon lui, tu peux avoir une maison, un chalet et un condo en Floride (un actif de plusieurs millions de dollars) et ne pas avoir ton indépendance financière. Ou tu peux avoir ton magot réparti dans tes comptes de placement et avoir cette autonomie financière. « Ça dépend des besoins de tout un chacun. »
« Cette appellation signifie que tu jouis d’une certaine indépendance financière, mais si tu comptabilises l’ensemble de tes actifs (dont ta résidence), être millionnaire, ce n’est vraiment pas tant que ça de nos jours », affirme un ancien cadre d’une grande banque canadienne.
Pour obtenir un service très haut de gamme, la clientèle fortunée possède généralement des portefeuilles qui se situent entre 25 M $ et 100 M $. Pour les fortunes qui s’élèvent à plus de 100 M $, il est question de bureaux de gestion de patrimoine (Family Office), des équipes désignées qui coordonnent l’ensemble des actifs d’une même famille.