Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Pas facile de lutter contre l’oligopole bancaire canadien

La Presse Canadienne|Publié le 23 septembre 2024

Pas facile de lutter contre l’oligopole bancaire canadien

L'application de Wealthsimple vue sur un téléphone cellulaire. (Photo: Giordano Ciampini / La Presse Canadienne)

Toronto — Il n’est pas facile de lutter contre l’oligopole bancaire canadien, mais certains essaient. 

Des entreprises comme la Banque EQ et Wealthsimple proposent de nouvelles offres moins chères, élargissent leur clientèle de base et gagnent en notoriété. Mais les experts affirment que plutôt que de créer une menace perturbatrice pour les grandes banques, les acteurs de taille moyenne sont plus susceptibles d’être rachetés par celles-ci.

«Le marché bancaire au Canada n’est pas réputé pour être très concurrentiel. Ça ne va pas s’améliorer», a déclaré Claire Célérier, titulaire de la chaire de recherche du Canada en finances des ménages à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto, qui s’attend à voir venir davantage de consolidations. 

Elle exprime ce constat après la conclusion du rachat de HSBC Canada par RBC pour 13,5 milliards de dollars (G$) en mars. La Banque Nationale est quant à elle en train d’acheter la Banque canadienne de l’Ouest pour 5G$. 

Concurrence des frais

La perte de ces deux acteurs de taille moyenne dans ce qui était déjà un petit bassin de concurrents des six grandes banques laisse peu d’autres acteurs suffisamment importants les distraire. 

Wealthsimple est en train de devenir une société unique, après avoir annoncé la semaine dernière qu’elle détenait plus de 50G$ d’actifs, soit plus du double de l’année dernière et plus de sept fois ce qu’elle avait il y a cinq ans.

La croissance observée grâce au modèle d’affaires de l’entreprise a conduit le directeur général Michael Katchen à déclarer que Wealthsimple est la «première et la seule solution de rechange crédible aux grandes banques au Canada». Les faibles frais de l’entreprise de technologie financière sont un atout majeur, lui permettant de proposer des transactions sans commission et des taux de gestion d’investissement bas dans le cadre d’une gamme croissante de produits alors qu’elle tente de combler un vide concurrentiel. 

«Lorsqu’on élimine les acteurs de milieu de gamme, on rend [le marché] encore moins concurrentiel. Ça se manifeste en faisant souffrir les Canadiens sur le plan des frais», a indiqué Michael Katchen.

Les grandes banques maintiennent que le secteur est intensément concurrentiel, en particulier dans des domaines comme les taux hypothécaires.

Mais le cabinet de conseil North Economics a estimé en mars que les Canadiens paient plus de 7G$ par an en frais excédentaires. Cette estimation approximative a été réalisée en comparant les résultats financiers des cinq grandes banques canadiennes à ceux du Royaume-Uni et de l’Australie, où les frais sur les comptes, les ouvertures de crédit, les retraits aux distributeurs automatiques et d’autres sont beaucoup moins chers, ou gratuits.

Les consommateurs de pays comme le Royaume-Uni bénéficient de régulateurs dynamiques qui ont mis en place des mesures telles que la simplification du changement de compte, en obligeant les banques à transférer toutes les données de paiement et autres informations sur un nouveau compte.

Il n’y a pas beaucoup de signes qu’une telle facilité de changement pourrait arriver au Canada, les concurrents comme la Banque EQ se concentrent donc plutôt sur la façon d’inciter les consommateurs à changer progressivement. 

«Nous essayons de faire en sorte que cela semble être une activité à faible risque pour quelqu’un afin que vous puissiez ouvrir un compte bancaire tout en gardant votre autre compte bancaire ouvert», a indiqué le directeur général Andrew Moor. 

La banque paie des taux d’intérêt plus élevés sur les comptes où un client a transféré sa masse salariale, ce qui peut servir de point d’ancrage, a-t-il ajouté. 

EQ a également lancé de nouveaux produits comme son compte d’épargne à préavis lancé en juin, qui verse des taux d’intérêt plus élevés lorsque les consommateurs acceptent de donner un préavis d’au moins 10 ou 30 jours avant un retrait. La semaine dernière, elle a lancé un compte bancaire ciblant spécifiquement les petites entreprises. 

«L’avantage d’être une banque de taille moyenne, c’est qu’il est beaucoup plus facile de penser à apporter ce genre d’innovation de produit sur le marché», a déclaré Andrew Moor. 

Les efforts de la banque ont permis à ses actifs d’à peu près doubler au cours des cinq dernières années, pour atteindre quelque 54G$. 

Le marché au sens large

Les bonds de taille de Wealthsimple et d’EQ contrastent avec ceux d’autres acteurs plus petits comme la Banque Laurentienne, qui a vu ses actifs augmenter de 7% pour atteindre 47,5G$ au cours de la même période. 

La Banque Laurentienne a travaillé sur un redressement comprenant de nombreux remaniements de direction, la vente de lignes d’affaires et d’autres restructurations. Les analystes sont toujours sceptiques quant à la traction que la banque peut obtenir même si elle résout ses problèmes opérationnels. 

«On ne sait pas exactement quel sera l’avantage structurel et l’avantage concurrentiel de la Banque Laurentienne au bout du compte», a résumé Nigel D’Souza, analyste chez Vertias Corp. 

Elle n’est pas la seule à avoir du mal à voir une croissance importante. La Banque Manuvie a connu une croissance d’environ 11% pour atteindre 30G$ depuis 2019, et ATB Financial a augmenté d’environ 14% pour atteindre 62G$. 

La Banque canadienne de l’Ouest a connu une croissance plus élevée, en hausse de 38% pour atteindre 42,5G$, mais elle est en train d’être rachetée. Dans le monde coopératif, Desjardins a réussi à croître d’environ 43% pour atteindre 444G$, un chiffre pas très loin derrière la Banque Nationale, la plus petite des six grandes banques, avec 454G$. 

Par ailleurs, RBC, la plus grande société cotée en bourse du pays, possède environ 2080G$ d’actifs. 

Les défis des petits acteurs

Bien que certaines des plus petites banques s’en sortent mieux que d’autres, elles sont toutes confrontées au fait qu’il est rendu plus coûteux de collecter des fonds, en partie en raison du paiement de taux d’intérêt plus élevés pour attirer les dépôts, a déclaré M. D’Souza. Elles doivent également conserver davantage de capitaux disponibles, car elles sont considérées comme moins stables. 

La perception de stabilité peut également rendre plus difficile de convaincre les gens de déposer plus d’argent liquide à la banque que les 100 000$ assurés par le gouvernement fédéral, bien que Wealthsimple ait contourné ce problème en déposant l’argent des clients en fiducie auprès de plusieurs banques pour offrir jusqu’à 500 000$ de dépôts assurés.

Toutefois, les hésitations générales concernant la stabilité, ainsi que d’autres obstacles comme l’absence d’un réseau de succursales, l’échelle limitée des marchés et la diversification moindre, signifient qu’il sera toujours difficile pour les acteurs de taille moyenne de gagner des parts de marché, a souligné M. D’Souza. 

«Nous avons toujours pensé qu’il y aura davantage de consolidation au sein de l’espace bancaire canadien, car les grandes banques ont des avantages concurrentiels structurels.»

La consolidation pourrait entraîner à sa manière une baisse des frais, a-t-il indiqué, car les banques bénéficient de davantage d’économies d’échelle. Le secteur bancaire canadien est déjà assez compétitif en matière de taux de prêt, a-t-il ajouté. 

Si une industrie financière concentrée est quelque chose de particulièrement remarquable au Canada, elle fait partie d’une tendance plus large à long terme, a indiqué Mme Célérier.

«Les marchés bancaires sont de plus en plus concentrés, et c’est le cas plus ou moins partout».

Par Ian Bickis