Trop chaud? Vos employés peuvent refuser de travailler
Catherine Charron|Mis à jour le 12 juillet 2024Un employé peut exercer son droit de refus s'il juge que sa santé est en danger à cause de la chaleur environnante. (Photo: 123RF)
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RHÉVEIL-MATIN. Les Québécois ont rarement connu des vagues de chaleur survenues aussi tôt dans l’année qu’en 2024, rapportait Environnement Canada au début du mois de juillet. Doit-on le rappeler, lorsque le mercure grimpe, les risques de lésions professionnelles augmentent également.
Si un employé est d’avis que l’exécution d’une tâche pourrait nuire à sa sécurité, il peut refuser de l’exécuter sans que sa paie soit affectée… à moins qu’un inspecteur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et du travail (CNESST) juge l’exercice déraisonnable.
C’est qu’en vertu du droit de refus compris dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail, un salarié peut mettre fin à ses activités si celles-ci représentent d’après lui un danger pour sa santé. Ainsi, en période de canicule, un cuisinier pourrait refuser de travailler dans une cuisine mal aérée par exemple.
Cette décision ne doit toutefois pas mettre la vie, la santé ou la sécurité d’autrui en danger ou aller «à l’encontre de son code de déontologie». Il ne s’applique pas non plus dans un cas de force majeur, précise le règlement.
Pour éviter d’en arriver à ce point culminant, l’employeur doit s’assurer de créer un environnement de travail qui protège l’intégrité physique et mentale des membres de son personnel.
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«Ça veut dire qu’il doit mettre en place des mesures pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, explique Andreea Rusu, avocate senior chez Norton Rose Fulbirght qui se spécialise dans la santé et la sécurité depuis 14 ans. À ma connaissance, il n’y a pas de disposition dans la réglementation qui prévoit des températures au-delà desquelles les travailleurs pourraient refuser de travailler.»
Cependant, en fonction de la température ambiante, du niveau d’humidité, du genre d’activités concernées et du lieu où elles sont exécutées, la CNESST a émis des recommandations pour prévenir les accidents de travail en période de chaleur extrême.
Les recommandations concernent notamment la répartition des temps de pauses en fonction de l’intensité de la tâche, ou encore la quantité d’eau qui devrait être ingérée toutes les heures.
L’employeur pourrait aussi carrément revoir l’organisation du travail pour réserver aux plus chaudes journées les tâches moins énergivores, quitte à reporter les plus exigeantes.
«À 30 degrés Celsius (oC) [d’après un thermomètre à globe à boule humide (WBGT)], par exemple, 25% du temps doit être consacré au travail, et 75% doit être du repos» pour du travail lourd dans un établissement de 50 employés ou plus, donne en exemple Laurence Bourgeois-Hatto, associée chez Langlois Avocats. Pour un travail léger, le mercure doit dépasser les 32,2 oC WBGT pour réduire ses efforts de la sorte.
Assurer la sécurité au travail est une responsabilité partagée. L’employé doit donc quant à lui suivre les consignes de l’organisation afin de réduire les risques d’être incommodé par la chaleur.
Si malgré tout, le salarié est d’avis que l’exercice de ses fonctions représente un danger, il doit en informer son supérieur immédiat ou son patron. Le comité de santé et sécurité sera alors appelé pour tenter de trouver une solution, quitte à lui faire faire une autre tâche si possible. Si le travailleur juge encore que les mesures ne sont pas suffisantes, un inspecteur de la CNESST sera dépêché rapidement sur les lieux pour rendre sa décision.
Risque ou réel danger?
Le nerf de la guerre pour déterminer si un employé peut exercer ou non son droit, c’est en déterminant si le danger est bien réel.
«S’il pense raisonnablement qu’il y a un danger pour sa santé et sa sécurité, il peut refuser de travailler, illustre Andreea Rusu. Il ne doit pas juste refuser parce qu’il trouve qu’il fait trop chaud et que ça ne lui tente pas.»
Dans la jurisprudence, on retrouve une différence sémantique entre les notions de «danger» et de «risque», indique Laurence Bourgeois-Hatto.
«Le danger correspond à ce qui est appréhendé, le risque c’est la probabilité que le danger se réalise, rapporte l’avocate associée. Je pense que l’enjeu est de déterminer si le danger est effectivement objectivé et non seulement probable.»
C’est à l’inspecteur de la CNESST que reviendra la tâche de trancher. Il évaluera non seulement les conditions de travail, les mesures préventives mises en place, mais aussi l’état de santé de l’employé, précise la CNESST. «C’est du cas par cas», dit Nicolas Bégin, son porte-parole.
Tant que le droit n’est pas exercé de manière abusive par l’employé, celui-ci est «réputé au travail» et doit être rémunéré. Dans le cas inverse, l’employeur peut prendre des recours contre le travailleur.
Rares sont les cas où les tribunaux ont eu à se pencher sur des cas de droit de refus invoqué en raison de la chaleur ambiante, rapporte Laurence Bourgeois-Hatto. «Je crois que les employeurs sont de plus en plus sensibilisés aux mesures de prévention à mettre en place. […] Si l’employé éprouve un malaise, je ne pense pas que la décision du patron sera de tenter de le garder au travail.»
La CNESST déplore toutefois 177 lésions professionnelles et trois décès causés par la chaleur depuis 2019.
D’où l’importance de demeurer vigilants en période de canicule, d’autant qu’elles promettent d’être plus fréquentes dans les années à venir.