(Photo: Nik Shuliahi pour Unsplash)
COMPTABLE ET LITTÉRATIE FINANCIÈRE. Le 9 juin dernier, le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance envers les personnes majeures vulnérables. L’Ordre des CPA croit toutefois que des changements devront y être apportés avant son adoption pour améliorer les conditions de détections de la maltraitance financière.
« Sans être révolutionnaire, ce projet de loi apporte quelques modifications intéressantes, en particulier une clarification de la définition de la maltraitance et l’ajout explicite de la maltraitance financière », souligne Me Christine Morin, professeure titulaire et chercheuse associée à la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés à l’Université Laval.
Éclaircissements nécessaires
Le projet de loi, numéroté 101, élargit la portée de l’article 21 de la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité, qui définit l’obligation de signalement. En effet, il est clairement indiqué dans le projet de loi qu’à l’exception des notaires et des avocats, tout professionnel qui, dans l’exercice de sa profession, a un motif raisonnable de croire qu’une personne âgée vivant dans une ressource intermédiaire, un CHSLD ou même une résidence privée pour aînés (RPA) est victime de maltraitance, doit le signaler sans attendre.
« Il est très clair également dans ce projet de loi que cette obligation ne s’adresse pas seulement aux professionnels du secteur de la santé, puisqu’on y mentionne explicitement la dimension de la maltraitance financière, précise Me Morin. Les CPA, par exemple, y sont donc assujettis. »
L’impératif de signalement vise aussi davantage d’individus, puisqu’il se limitait auparavant aux aînés vivant dans des CHSLD et à ceux qui étaient l’objet d’un régime de curatelle ou de tutelle, ou pour lesquels un mandat de protection avait été homologué. Le mémoire présenté à la consultation de la Commission des relations avec les citoyens par la Chaire de recherche Antoine-Turmel comportait d’ailleurs des réserves quant à l’élargissement aux personnes âgées qui habitent dans des RPA, car plusieurs de celles-ci sont autonomes et ne peuvent être considérées comme vulnérables. Ces personnes devraient donc pouvoir décider de dénoncer ou non les cas d’abus, tout en pouvant compter sur le fait que ceux qui les servent respecteront le secret professionnel.
Des situations délicates
Selon Geneviève Mottard, présidente et cheffe de la direction de l’Ordre des CPA du Québec, les CPA sont bien placés pour identifier des cas de maltraitance financière. « Souvent, nos membres servent leurs clients depuis plusieurs années, donc quand ils constatent des changements suspects — des actifs financiers qui diminuent soudainement ou des sommes importantes retirées du compte de banque, par exemple —, ils peuvent sonner l’alarme », illustre-t-elle.
Elle admet toutefois que ces situations restent délicates. Les professionnels doivent parfois jouer les équilibristes entre le devoir de signaler les abus et le respect du consentement de leurs clients. Puisque la maltraitance vient régulièrement des proches des victimes, celles-ci hésitent à les dénoncer.
Les CPA ne sont pas non plus des professionnels de la santé, à même de déterminer si une personne a trop perdu d’autonomie pour bien gérer ses avoirs ou pour résister à des pressions extérieures. « Mais ils savent faire preuve de jugement et effectuer un signalement en cas de doute », note la présidente.
D’ailleurs, l’Ordre des CPA travaille actuellement à l’élaboration d’une formation pour ses membres, en collaboration avec le Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale, afin de les aider à prendre les bonnes décisions et à bien gérer ces situations.
La contribution de tous
Geneviève Mottard déplore toutefois que la levée du secret professionnel proposé dans le projet de loi ne s’applique pas de manière égale à tous les professionnels — les avocats et les notaires en sont exclus. Elle ne comprend pas que l’on accorde en quelque sorte à certains professionnels le droit de fermer les yeux sur des abus aussi graves. C’est pourquoi l’Ordre des CPA souhaite que les planificateurs financiers, les professionnels du conseil financier et les employés d’institutions financières, bien placés pour détecter des situations de maltraitance financière, aient eux aussi l’obligation de les signaler.
Par ailleurs, l’Ordre des CPA a également conseillé le Curateur public dans la rédaction d’une nouvelle loi qui entrera en vigueur en 2022 et qui vise à mieux protéger les personnes en situation de vulnérabilité. « Nous avons collaboré à l’encadrement de la reddition de compte que les individus désignés pour gérer les avoirs financiers d’une personne inapte doivent effectuer à ses tuteurs, afin qu’elle devienne encore plus transparente, exhaustive et régulière », précise Geneviève Mottard.
Quant au projet de loi 101, il devrait normalement entrer en vigueur au printemps, mais doit encore être étudié en commission parlementaire. Des amendements pourraient donc venir en modifier la version définitive, comme le souhaite notamment l’Ordre des CPA.