Des avantages à la tonne pour les investisseurs immobiliers
Emilie Laperrière|Édition de la mi‑mars 2024La professeure Andrée De Serres remarque également une pression montante de la part des locataires, désireux d’occuper des écoconstructions. (Photo: 123RF)
CONSTRUCTION. Économies à long terme, meilleure réputation, gestion du risque simplifiée : les bâtiments verts représentent aujourd’hui une bonne affaire. Alors que Québec s’efforce de décarboner les bâtiments, les investisseurs ont tout intérêt à adopter sans plus attendre les modes de construction durable.
Construire vert tombe sous le sens pour Julie-Anne Chayer, présidente de Bâtiment durable Québec. « On y croit fermement, dit-elle. La notion d’énergie a toujours été présente dans les pratiques que l’on souhaite mettre en place pour réduire les impacts sur le climat. Ç’a toujours été au cœur de notre mission. »
L’organisme souhaite évidemment améliorer la performance énergétique des bâtiments, mais il se préoccupe également de la question du transport ainsi que de la consommation des ressources, que ce soit les matériaux ou l’eau.
La gestion du risque climatique fait désormais partie de la conversation, remarque Julie-Anne Chayer. « C’est un enjeu qui est de plus en plus normé. C’est donc important de s’assurer que son portefeuille immobilier est résilient à tous les risques possibles, comme les inondations. »
Les certifications durables, dont LEED est sans doute la plus connue, ont d’ailleurs servi d’éclaireuses en la matière, en s’attardant par exemple à la gestion des eaux pluviales. « C’est pourquoi plusieurs investisseurs se sont tournés vers ces systèmes de certification pour leurs bâtiments. Ça leur permet entre autres d’avoir un langage commun avec l’ensemble de la chaîne de valeur, des concepteurs aux entrepreneurs », estime-t-elle.
Les facteurs ESG changent la donne
Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) bousculent les façons de faire des entreprises depuis quelques années. Cette transformation affecte aussi l’industrie de la construction.
« Un propriétaire immobilier du secteur privé, s’il est une société cotée en Bourse ou assujetti à la réglementation de l’Autorité des marchés financiers (AMF), doit déjà répondre à des règles en matière d’investissement responsable », souligne Andrée De Serres, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. En Californie, au sein de l’Union européenne et dans plusieurs régions du monde, on a soumis les investisseurs à des exigences environnementales très sévères. On s’attend à l’implantation d’un cadre réglementaire semblable cette année au pays, selon elle.
« Non seulement les investisseurs devront s’intéresser à la qualification environnementale de leurs immeubles, ils devront rapidement prendre en compte la qualité et la provenance des matériaux et les équipements à changer durant tout le cycle de vie du bâtiment », dit Andrée De Serres.
La professeure remarque également une pression montante de la part des locataires, désireux d’occuper des écoconstructions. On les comprend : selon le Conseil du bâtiment durable du Canada, les personnes qui vivent et qui travaillent dans des bâtiments durables comptent moins de jours de maladie et souffrent moins d’asthme. Ils profitent également de meilleures nuits de sommeil.
« L’étau se resserre, résume Andrée De Serres. Tous les acteurs de l’industrie du bâtiment, que ce soit le prêteur, l’assureur, les villes ou les locataires, poussent dans la même direction. »
Voir plus loin
Guillaume Houle, responsable des affaires publiques à l’Association de la construction du Québec, est catégorique : la construction durable est la construction de l’avenir. « Plus un entrepreneur adapte rapidement ses pratiques, plus il a de la crédibilité dans le milieu. Ceux qui adopteront les nouvelles normes pour gagner en efficacité énergétique dès le jour un seront à l’avant-garde lorsque ces normes deviendront obligatoires pour tous. »
« Même si on dit que la rénovation des bâtiments existants coûte cher, reste qu’il y a des économies qui viendront sur les frais d’exploitation, que ce soit le chauffage, la climatisation ou le conditionnement de l’air, et sur l’entretien », souligne pour sa part Andrée De Serres.
Un immeuble qui respecte ou qui devance les normes devient attirant pour les investisseurs, croit-elle. Les propriétaires de bâtiments durables perçoivent généralement des loyers plus élevés et obtiennent de meilleurs taux d’occupation.
Marco Lasalle, directeur du Service technique à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), avance que la construction durable favorise également l’économie locale. « Le développement durable est une bonne nouvelle pour le Québec. Le transport est l’un des éléments qui génèrent le plus de CO2 dans la construction d’un bâtiment. En minimisant cet aspect et en privilégiant des matériaux locaux, on devrait en produire moins. »
Il ajoute que les usines au Québec fonctionnent pour la plupart à l’hydroélectricité. « Ça favorisera les produits d’ici si on impose une fiche de déclaration des gaz à effet de serre. C’est un outil économique pour la province. »
Si les entrepreneurs québécois ont pris du temps à s’intéresser à la construction durable, la question devient maintenant incontournable. « L’APCHQ a commencé à offrir des ateliers LEEP (partenariat local pour l’efficacité énergétique). La réaction a été aussi surprenante qu’unanime. À performances égales et à coûts semblables, les entrepreneurs choisiront des matériaux écoénergétiques. »