La présidente de Bâtiment passif Québec, Mahnaz Nikbakht (Photo: courtoisie)
CONSTRUCTION. En matière de construction durable et des défis qui attendent l’industrie, la PDG de la Commission de la construction du Québec (CCQ), Audrey Murray, sait de quoi elle parle. La présidente de Bâtiment passif Québec, Mahnaz Nikbakht, aussi. Les Affaires a profité de ce dossier pour les questionner à ce sujet.
Les Affaires (L.A.) : Quel est l’état des lieux en ce qui a trait à la construction durable au Québec ?
Audrey Murray (A.M.) : On n’a pas de vision articulée encore. Il y a des initiatives importantes en cours en ce moment, comme le laboratoire sur l’économie circulaire de l’ETS, qui a priorisé le secteur de la construction. Il travaille vraiment en mode expérimentation. Bien sûr, les ministères et les organismes, comme la CCQ, sont tenus d’avoir des plans en développement durable qui demandent des actions concrètes.
Ça fait partie des éléments que je veux mettre de l’avant. De l’émission de gaz à effet de serre à la gestion des déchets, on connaît les grands thèmes sur lesquels on doit plancher. Je veux m’assurer que nous avons une vision commune, partagée par toute la chaîne de valeur, de notre point de départ et de nos objectifs.
L. A. : Qu’en est-il des bâtiments passifs ?
Mahnaz Nikbakht (M.N.) : La norme Passivhaus est une norme internationale. Au Québec, il n’y a personne qui l’exige. Il y a seulement deux bâtiments certifiés et quelques-uns en élaboration, dont un projet de 134 logements à Sherbrooke et l’hôtel de ville de La Pêche. Encore aujourd’hui, ce sont des gens qui poussent en ce sens par conviction. Il n’y a aucune exigence dans le Code de construction.
L.A. : Quels sont les principaux défis de la construction durable et passive au Québec ?
A.M. : Le défi, à la CCQ, c’est d’avoir une vue proactive des changements qui sont en train de s’opérer pour qu’on puisse offrir du perfectionnement et de la formation qui sont connectés sur les besoins du marché. Ça nous permettra de diminuer notre empreinte environnementale, de gérer nos déchets et de construire des bâtiments durables. On doit aller plus loin pour saisir les compétences vertes du futur pour les différents corps de métier.
La CCQ réunit les dirigeants patronaux et syndicaux. On travaille aussi avec le milieu de l’éducation. On doit s’assurer de former notre gouvernance pour qu’ils comprennent ce qui s’en vient pour les calorifugeurs ou les frigoristes.
Avec la pénurie de main-d’œuvre et le niveau d’activité en construction, on a accueilli beaucoup de travailleurs non diplômés. On compte maintenant trois personnes non diplômées pour une diplômée. C’est un autre défi majeur.
M.N. : Le Code du bâtiment ne motive pas les développeurs immobiliers à faire mieux. Il n’y a pas vraiment de subventions disponibles pour les bâtiments passifs à part Novoclimat, qui offre de l’aide financière pas si substantielle. Je crois qu’il n’y a pas assez d’initiatives pour faire avancer l’industrie dans la bonne direction. La règle du plus bas soumissionnaire nuit aussi. On ne peut pas continuer comme ça.
Ce qui manque également, ce sont des inspections sur le chantier. Personne ne contrôle les normes. L’étanchéité à l’air, un élément clé de la norme Passivhaus, est par exemple exigée dans le Code, mais elle n’est pas testée. Or, une étanchéité continue est essentielle pour réduire les fuites d’air et pour assurer la durabilité de l’enveloppe.
L.A. : Quels sont les avantages de bâtir durable pour l’industrie de la construction ?
A.M. : Les nouveaux matériaux et les pratiques qui émergent peuvent aider à contenir les déficiences postconstruction. Ça favorise des projets de plus grande qualité. Les entrepreneurs ont de plus en plus une responsabilité sociale, ils sont amenés à contribuer à la carboneutralité. Je sens une volonté des différents acteurs. En plus, un entrepreneur qui fait sa part dans l’urgence climatique peut être un facteur attrayant pour la main-d’œuvre.
L.A. : Pourquoi devrait-on miser sur des bâtiments passifs ?
M.N. : À long terme, pour éviter les pics de consommation, on devra utiliser de façon économe notre électricité. La norme Passivhaus s’inscrit tout à fait dans cette vision. On cherche à atteindre une consommation maximum de 15 kilowatts/heure par mètre carré par année. La maison traditionnelle au Québec consomme en moyenne 10 fois plus. C’est énorme comme différence. On ne peut pas jeter toute cette énergie par la fenêtre.
Dans un contexte urbain, l’isolation performante du bâtiment passif coupe beaucoup le bruit. On entend moins les chantiers de construction ou la circulation automobile. La qualité de l’air est aussi meilleure grâce au système de ventilation.