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Miser sur la construction en accéléré

Isabelle Delorme|Édition de la mi‑mars 2023

Miser sur la construction en accéléré

Le nouveau pont Samuel-De Champlain, mise en service à l'été 2019, a été bâti selon la méthode ABC. (Photo: 123RF)

CONSTRUCTION. Peu de Montréalais savent que le Stade olympique et le nouveau pont Samuel-De Champlain ont un point commun : ils ont tous les deux été bâtis avec la technique de la « construction accélérée », que l’on appelle pour les ponts la « méthode ABC » (Accelerated Bridge Construction). La préfabrication d’éléments en usine permet de gagner du temps sur les chantiers, en particulier dans les villes au climat rigoureux. 

Lorsque Montréal obtient l’organisation des Jeux olympiques de 1976, la Ville attend plus de trois ans avant d’entreprendre la construction du Stade olympique, paralysée dès le début par des grèves. « Heureusement, le projet a été sauvé par la construction accélérée : tous les éléments avaient été préfabriqués et mis de côté. Lorsque la grève a pris fin, les ouvriers ont pu construire le stade très rapidement », raconte Munzer Hassan, professeur au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ETS).

 

Des gains de temps

Pratiquée depuis de nombreuses années en Europe, en Asie et aux États-Unis, la méthode ABC permet d’éviter la longue étape consistant à couler le béton sur place. Les délais de réalisation sont réduits de moitié en moyenne, grâce à la préfabrication en usine de plusieurs éléments (de 30 % à 40 % environ, pouvant aller jusqu’à 80 %) de l’ouvrage. « Au Québec, la période de construction de ponts en béton selon les méthodes traditionnelles est limitée à six à huit mois en raison du climat », souligne Bruno Massicotte, professeur titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines à Polytechnique Montréal. En mode accéléré, on peut fabriquer des pièces toute l’année et ainsi optimiser le travail de la main-d’œuvre. 

On a recours aux mêmes outils numériques que pour les méthodes de construction traditionnelles, notamment pour concevoir les éléments composant la structure. Cependant, certains logiciels de gestion de projet de la méthode de travail collaboratif BIM (Building information modeling) sont particulièrement utiles en construction accélérée. « Le béton a besoin de temps (un mois en moyenne) pour atteindre le mûrissement qui lui permettra d’être robuste. Ces outils permettent de mieux synchroniser les différentes interventions et étapes de fabrication des pièces, de transport et d’installation de la structure », précise Bruno Massicotte.

 

Un effet réduit en milieu urbain 

« En ville, on ne peut pas construire nos ponts sans dévier la circulation et donc affecter tout le voisinage », souligne Munzer Hassan. La réduction du temps de construction sur le site et des conséquences sur le trafic urbain permet de faire baisser de nombreux coûts liés aux chantiers. Souvent plus chère que les méthodes de construction traditionnelle, la méthode ABC se révèle plus économique en prenant en compte ces coûts indirects. « On peut généralement estimer à 15 % les coûts additionnels de construction des ponts liés au maintien de la circulation. Ces coûts peuvent atteindre et même dépasser 30 % dans le cas des projets de réhabilitation des ponts en ville », indique le professeur. 

La Ville de Montréal a d’ailleurs choisi la méthode ABC pour son projet de réfection du passage inférieur Christophe-Colomb/Des Carrières, dans le quartier de Rosemont. « Nous allons préfabriquer les éléments de tablier, ainsi que la pile centrale. L’utilisation de cette technique permettra de réduire de façon significative les entraves de la voie publique », explique Hugo Bourgoin, relationniste à la Ville de Montréal.

 

Une qualité renforcée 

Certains ingénieurs ou décideurs québécois ont encore des réticences quant à la méthode ABC en raison de problèmes d’assemblage rencontrés dans le passé. « Différentes techniques ont été utilisées, comme la précontrainte, qui fait tenir les morceaux ensemble avec des câbles d’acier, un peu comme une pile de livres qu’on tiendrait avec les mains », décrit Bruno Massicotte. Mais une méthode européenne plus efficace est offerte commercialement depuis une dizaine d’années en Amérique du Nord. « On utilise du béton fibré à ultrahautes performances (BFUP) pour joindre les éléments. L’assemblage qui était auparavant le point faible de la technique de construction accélérée en est devenu le point fort », observe-t-il. Le projet de pont dans Rosemont sera le premier du Québec entièrement préfabriqué à utiliser du BFUP pour joindre les pièces. 

La préfabrication des éléments en usine, dans des conditions contrôlées, permet aussi d’améliorer leur qualité par rapport aux approches traditionnelles. Pour Munzer Hassan, la durabilité de ces structures est meilleure qu’il y a 30 ans (avant le BFUP), mais il faudra attendre de 10 à 20 ans pour la comparer de façon précise.