Les entrepreneurs tardent à mettre en place les démarches pour assurer une bonne transition au moment de prendre leur retraite. (Photo: 123RF)
DROIT DES AFFAIRES. Quatre entrepreneurs canadiens sur dix devraient prendre leur retraite avant 2022, estimait la Banque de développement du Canada (BDC) il y a deux ans. Un moment charnière pour les transferts d’entreprise, mais aussi un grand défi pour les avocats, sachant que 70 % des transferts échouent et que ceux qui fonctionnent peuvent prendre jusqu’à huit ans à se concrétiser.
«Il faut communiquer et sensibiliser [les entrepreneurs], mais pas de la façon dont on le fait actuellement, parce que ça ne fonctionne pas», affirme Patrice Vachon, associé chez Fasken et spécialiste en relève et transfert d’entreprise.
Selon les observations de cet avocat, qui donne une cinquantaine de conférences par année sur le sujet des transferts, le téléphone a beau ne pas dérougir au Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ) et la question être sur toutes les lèvres dans les regroupements patronaux et autres associations sectorielles, les entrepreneurs tardent à bouger.
D’autres chats à fouetter
«Tous les propriétaires d’entreprise veulent savoir comment transférer leur entreprise, et tout le monde le leur explique, mais ils ont des feux à éteindre au quotidien et finissent toujours par remettre ça à demain», résume-t-il.
Une inaction qui peut, de ses propres mots, mener à des conséquences dramatiques.
«Si l’entrepreneur ne fait rien et qu’il décède – ça arrive souvent -, la valeur de l’entreprise fondra de moitié parce que le propriétaire n’est plus là pour assurer une bonne transition, sécuriser les banquiers, et faire en sorte de garder les clients, les employés ainsi que les fournisseurs», affirme Me Vachon.
La menace fiscale
L’inaction des entrepreneurs peut aussi mettre en danger la valeur de leur patrimoine pour des raisons fiscales : un cédant pourrait se retrouver à devoir payer des sommes d’impôt «astronomiques» si la planification du transfert est inadéquate, par exemple. Le vieillissement de la population est un autre défi potentiel, juge-t-il, puisqu’à force d’attendre, il pourrait y avoir moins d’acheteurs, notamment en région. Sans parler des conjoints et des conjointes qui se retrouveront à devoir jongler avec ces problèmes.
«Il faut amener les entrepreneurs à entamer cette réflexion, réitère l’avocat. Si on n’y arrive pas, ils vont fermer leurs portes, donner leur entreprise, ou la liquider. Ou bien mourir avec.»
Comment faire bouger les entrepreneurs et les pousser à préparer leur transfert ? La démarche de M. Vachon – qu’il appelle «trop tard, t’es mort» – consiste à discuter avec les entrepreneurs du «pourquoi» d’une planification d’un transfert, plutôt que de focaliser sur le «comment». Autrement dit, il leur expose en détail les conséquences néfastes de négliger leur transfert plutôt que de réexpliquer comment procéder pour réaliser avec succès la planification et l’exécution d’un bon plan de transfert.
«Ça fait 10 ans, 15 ans, 20 ans que l’on donne des conférences sur « Comment faire un bon transfert », rappelle-t-il. Voyez-vous des changements ? Moi je n’en vois pas. L’entrepreneur assiste à une conférence, il voit un bon spectacle, il rencontre des gens, il retourne chez lui… et ne fait rien.»
Une attitude qui résulte sans doute du tempérament et de l’«ADN» des entrepreneurs, qui les poussent davantage à bâtir et à vouloir continuer d’être actifs plutôt qu’à planifier la relève. Mais planifier son transfert est important, insiste Me Vachon, et il est urgent de convaincre les entrepreneurs de se lancer. «Sinon, nous allons donner des conférences durant encore 10 ans et rien ne changera. Je n’ai pas de recette magique, mais ma formule, qui vise à expliquer les conséquences dramatiques de l’inaction, est la seule solution qui, dans mon expérience, pousse les entrepreneurs à préparer leur transfert.»
Briser les tabous
Un autre grand défi lié au transfert d’entreprise est celui de la mise en contact des cédants avec les acheteurs potentiels, explique Isabelle Toupin, avocate associée chez Dunton Rainville spécialisée entre autres en relève et transfert d’entreprise, ainsi que formatrice accréditée par le CTEQ.
«Les cédants ne veulent pas s’afficher à vendre, notamment parce qu’ils craignent de montrer une faiblesse à leurs compétiteurs», dit-elle. L’avocate se souvient d’avoir donné une formation portant sur le transfert d’entreprise et la recherche d’un repreneur. À la fin du cours, un photographe désirait immortaliser la présence des entrepreneurs qui y participaient, mais 80 % d’entre eux ont refusé d’être photographiés, ne désirant pas laisser savoir qu’ils voulaient transférer leur entreprise.
La bonne personne
Un tabou justifié ? «Je ne crois pas, affirme Me Toupin. Si vous êtes avez 65 ans, c’est sûr que vous allez chercher à vendre bientôt. Ce ne sont pas les repreneurs qui manquent. Ce qui est difficile, c’est de les mettre en contact avec les cédants. Donc, si vous voulez acheter une entreprise, vous partez où pour la trouver ?»
C’est là le vrai défi, estime-t-elle. «Le reste, une fois que le cédant est en contact avec le repreneur et que l’entrepreneur est bien entouré de ses experts, ça se passe comme un charme.»