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«J’aimais ma profession, mais pas la manière dont je la vivais»

Jean-François Venne|Publié le 29 octobre 2023

«J’aimais ma profession, mais pas la manière dont je la vivais»

En août 2022, Me Stéphanie Auclair quittait un grand bureau pour fonder Altalex, à Québec. (Photo: courtoisie)

DROIT DES AFFAIRES. Beaucoup de jeunes avocats d’affaires ont une vision un peu différente de la façon dont ils souhaitent pratiquer leur profession. Ils s’inquiètent aussi davantage de l’effet de leurs activités sur l’environnement et la société. 

En août 2022, Me Stéphanie Auclair quittait un grand bureau pour fonder Altalex, à Québec. Elle recherchait une manière plus humaine de pratiquer le droit des affaires. « Je m’interrogeais sur le modèle de pratique des cabinets privés, raconte-t-elle. Je trouvais que les attentes en termes de nombres d’heures de travail et d’efficacité n’étaient pas toujours raisonnables et j’étais souvent très fatiguée. »

Pendant un congé de maternité qui a coïncidé avec la pandémie, elle doute. Était-elle vraiment à sa place dans le droit des affaires? « J’ai réalisé que j’aimais ma profession, mais pas la manière dont je la vivais, explique-t-elle. J’ai donc démarré un cabinet avec un modèle d’affaires différent. »

Altalex met les clients, les employés et la communauté sur un pied d’égalité. Ce virage a plusieurs incidences concrètes. Dans un cabinet privé, les associés acceptent beaucoup de contrats et délèguent le boulot aux avocats plus jeunes et aux ressources parajuridiques. Pour sa part, Me Auclair consulte tout le monde avant d’accepter un mandat. Chaque avocat peut indiquer le nombre d’heures qu’il souhaite travailler. Les horaires, tout comme les objectifs d’heures facturables, sont modulés en fonction des besoins de chacun d’entre eux. Des engagements envers des organismes à but non lucratif peuvent, par exemple, être comptabilisés dans la quantité d’heures travaillées.

« Après un an, je vois que ça paie de s’attarder au bonheur et à la santé mentale du personnel, quitte à refuser ou repousser certains mandats, précise-t-elle. Nous connaissons du succès et nous sommes plus heureux. »

 

En quête de bien-être

Le président du Jeune Barreau de Montréal (JBM), Me Joey Suri, avocat chez Gowling WLG, constate lui aussi l’évolution des valeurs et des attentes des jeunes membres de sa profession.

« Le droit n’échappe pas aux réflexions de l’ensemble des milieux de travail sur le bien-être et la santé mentale, avance Me Suri. Ces éléments sont importants afin que les avocats exercent leur métier sainement, mais également pour qu’ils demeurent efficaces dans leurs services aux clients. »

En 2020, le JBM a publié la Déclaration de principe sur la conciliation travail-vie personnelle, basée notamment sur les résultats d’une enquête parue l’année précédente sur la santé psychologique au travail des avocats du Québec. On y constatait que près de la moitié de ceux qui comptaient moins de dix ans de pratique ressentaient de la détresse, qu’un sur quatre souffrait d’épuisement et qu’ils affichaient les niveaux de bien-être les plus faibles. La Déclaration fait entre autres la promotion des horaires variables, du télétravail et des retours au travail progressif après des congés de maternité et de paternité, en plus de s’interroger sur la facturation à l’heure.

« Les jeunes se soucient également beaucoup des valeurs mises de l’avant dans leur milieu de travail et de l’impact de leurs activités », note Me Suri. En 2021, le JBM a adopté la Déclaration pour la diversité ethnoculturelle et l’inclusion et la Déclaration sur l’écoresponsabilité, qui témoignent de ces intérêts. 

 

Les avocats de demain

Charlaine Bouchard, qui enseigne depuis 25 ans le droit des affaires à l’Université Laval, voit elle aussi la mentalité de ses étudiants évoluer. « C’est sûr qu’ils sont moins intéressés à travailler beaucoup d’heures, note-t-elle. Ils privilégient le télétravail et veulent voyager. Ils envisagent leur carrière avec une perspective beaucoup plus internationale. »

Ses classes sont désormais occupées par une majorité de femmes, un autre gros changement par rapport à ses débuts dans l’enseignement. Et ses étudiants partagent les préoccupations de leur génération. « Avant, la responsabilité de l’entreprise consistait à satisfaire les actionnaires, alors que maintenant on lui accorde une responsabilité bien plus large sur le plan environnemental et social, indique la professeure. C’est très important pour les étudiants. »

Par ailleurs, ceux-ci doivent se préparer à exercer un droit des affaires bien différent de celui de leurs prédécesseurs, notamment en raison du virage numérique. « Ces jeunes devront maîtriser les contrats intelligents, les cryptomonnaies et des outils de travail basés sur l’intelligence artificielle », illustre la professeure, qui est en outre titulaire de la Chaire de recherche sur les contrats intelligents et la chaîne de blocs. 

Ainsi, les valeurs des jeunes contribuent à transformer le droit des affaires, mais ceux-ci doivent aussi s’adapter à l’évolution de ce domaine de pratique. En plus de changer la manière de travailler, les nouvelles technologies ouvrent de nouveaux questionnements légaux pour leurs clients, auxquels ils devront savoir répondre.