Entre conjoints de fait, la partie qui se trouve souvent dans la position de perdant en cas de rupture est la femme. (Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Il est assez fréquent dans les PME du Québec de constater la participation d’une ou d’un conjoint de fait dans l’entreprise de l’autre, et parfois même les conjoints sont partenaires officiellement dans l’entreprise. Au Québec, le droit civil, familial et des affaires encadrent cette dynamique, mais la frontière entre l’apport personnel et la contribution professionnelle peut parfois être floue.
Je constate aussi qu’il est malheureusement fréquent de voir exploser des litiges lorsque ces conjoints de fait se séparent, et cette situation peut carrément mettre en péril l’entreprise. Je traite fréquemment ce type de dossier dans ma pratique du droit.
La question se pose donc: comment limiter le potentiel litigieux de la participation des conjoints dans une entreprise? Comment protéger son entreprise, son conjoint et son patrimoine en cas de rupture ou de mésentente?
Aborder l’apport d’un conjoint d’un point de vue commercial
Les conflits découlent souvent d’un différend d’interprétation des événements et d’un défaut de communication entre les attentes de l’un et de l’autre.
Dans les relations de couple, tout n’est pas dit et écrit: c’est normal. Chacun a sa perception de l’un et de l’autre, et ses attentes, quelquefois communiquées ou non. Cependant, cette situation peut se révéler particulièrement problématique quand il y a une implication active d’un ou d’une conjointe de fait dans l’entreprise de l’autre.
Le danger survient lorsque le conjoint qui n’a pas de part dans l’entreprise s’implique activement en travaillant, que ce soit sur la base de promesses mutuelles, bénévolement, ou en échange d’une rémunération inférieure aux normes du marché.
En cas de rupture, la question de l’équité dans l’implication du ou de la conjointe dans l’entreprise de son ex peut revêtir une importance capitale, surtout lorsque le conjoint propriétaire de l’entreprise s’est enrichi grâce au travail de l’autre qui se retrouve sans part dans l’entreprise.
Les tribunaux se sont penchés plusieurs fois sur ces cas de figure au fil des dernières années. Des indemnités substantielles, allant parfois à plus d’un million de dollars, ont été accordées au conjoint de fait s’étant impliqué activement dans l’entreprise de son autre conjoint sans juste indemnité.
C’est sur la base du recours en enrichissement injustifié que les tribunaux peuvent indemniser les conjoints de fait qui se trouvent dans une situation d’iniquité face à l’autre conjoint alors qu’il s’est impliqué activement dans l’enrichissement de l’autre conjoint en s’appauvrissant.
L’enrichissement injustifié existe lorsque les six critères suivants sont rencontrés:
- Enrichissement d’une partie;
- Un appauvrissement de l’autre partie;
- Une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement;
- Absence de justification à l’enrichissement;
- Absence de fraude à la loi;
- Absence d’autres recours.
Dans les cas où il y a eu une intégration économique importante entre les conjoints dans leur vie privée et dans le cadre d’une participation dans l’entreprise, les tribunaux ont accordé des indemnités basées sur l’accroissement de la valeur du ou de la conjointe qui s’est enrichie. C’est le concept de «coentreprise familiale» qui a donc été reconnu en jurisprudence au Québec pour les conjoints de fait, sur la base des facteurs suivants:
- «Une volonté de collaboration entre les parties pour la réalisation d’objectifs communs importants»;
- «Un niveau élevé d’intégration des finances des parties»;
- «L’intention de partager la richesse créée ensemble»;
- «Que l’une des parties s’est appuyée sur l’autre à son détriment personnel pour le bien-être de leur famille».
À cela s’ajoutent les concepts juridiques de société en participation (dite société «tacite») entre conjoints de fait lorsqu’il est jugé que ces derniers ont exploité une entreprise commune.
À titre d’exemple, dans l’affaire importante «Droit de la famille — 201878, 2020 QCCA 1587», il a été accordé une indemnité de plus de deux millions de dollars liée à un pourcentage de la richesse accumulée par l’ex-conjoint établi en fonction de la proportion de l’apport de la conjointe à cette richesse. Dans cette affaire le juge a fixé l’indemnité à 20% de la valeur nette des actifs du conjoint visé par la procédure, le tout calculé au moment de la séparation du couple.
Historiquement, et cela se reflète dans la jurisprudence entre conjoints de fait, la partie qui se trouve souvent dans la position de perdant en cas de rupture est la femme. Ces recours existent donc afin de rétablir l’équilibre.
Alors quelles sont les solutions?
Pour éviter de se retrouver dans des situations d’iniquité qui peuvent engendrer des sagas judiciaires, il existe quelques pistes de solution pour des conjoints de fait qui s’impliquent ensemble en affaire ou dans les affaires de l’autre. En voici quelques-unes:
- Séparer la question du couple et les questions de l’entreprise dans les discussions sur l’implication de chacun, il est important d’avoir des discussions claires et nettes comme si chacun était de potentiels associés;
- Lorsque la participation d’un conjoint est clairement précisée dans une convention et dans l’actionnariat, tout potentiel litige pourra être beaucoup mieux encadré;
- Une bonne convention entre actionnaires peut être une bonne solution;
- Une convention globale entre conjoints de fait est aussi une bonne solution pour encadrer la vie juridique du couple;
- Les ententes écrites et négociées au début de l’implication d’un conjoint permettent de clarifier la situation;
- Si le conjoint qui ne détient pas de part dans l’entreprise s’implique toutefois dedans, rémunérer ce ou cette dernière à sa juste valeur et éviter toute situation d’exploitation;
- Ne pas laisser traîner de sous-entendus concernant l’implication dans l’entreprise au fil de la relation et clarifier les attentes de chacun.
L’on oublie souvent que les conjoints de fait au Québec peuvent malgré tout avoir des droits importants dans les actifs de chacun lorsqu’il y a une grave situation d’iniquité au moment de la rupture.
Les entreprises familiales peuvent donc se retrouver très à risque lorsqu’une rupture houleuse survient avec un propriétaire et que les impacts de cette rupture n’ont pas été prévus au sein de l’entreprise.
Il est à noter que la réforme législative qui est à venir au Québec pour les conjoints de fait sera aussi importante, à voir comment cela se développera avec la jurisprudence concernant les entreprises familiales.
L’aventure entrepreneuriale en couple ou en famille est toutefois souvent couronnée de succès, pour ceux et celles que cela concerne, je vous souhaite tout le bien, et surtout de ne pas avoir besoin de me rencontrer dans le futur!