Le laisser-aller des entreprises juridiques pourrait coûter cher
Sophie Chartier|Édition de la mi‑septembre 2024Depuis 2021, la loi 25 oblige les entreprises à faire preuve de transparence sur les manières dont celles-ci recueillent, utilisent et protègent les données personnelles des utilisateurs qu’elles collectent. (Photo: Adobe Stock)
DROIT DES AFFAIRES. L’intelligence artificielle (IA), la collecte de données personnelles et les critères ESG ne sont que quelques-uns des nouveaux défis ayant de nombreuses conséquences sur les entreprises sur les plans juridique et légal. Afin de s’assurer d’éviter tout problème, les experts recommandent aux organisations d’encadrer ces nouveaux usages sans trop attendre.
Imaginons que votre entreprise a compilé des données sur ses clients dans le cadre d’un projet approuvé par la direction. Et disons que ces données, au lieu d’être détruites après l’échéance dudit projet, restent dans les serveurs de l’entreprise. « À l’insu de la direction, une équipe pourrait vouloir utiliser ces données pour autre chose, comme faire de l’entraînement, ou simplement mieux connaître les comportements des usagers, par exemple, dit Me Gaspard Petit, avocat et conseiller technique au sein du groupe de propriété intellectuelle chez Lavery. Et tout d’un coup, une initiative de bonne foi peut devenir une faute grave. Sans bonne gouvernance en place concernant ces usages, il y a des risques juridiques énormes pour l’entreprise ».
Depuis 2021, la loi 25 oblige les entreprises à faire preuve de transparence sur les manières dont celles-ci recueillent, utilisent et protègent les données personnelles des utilisateurs qu’elles collectent.
Un défi nommé IA
Me Éric Lavallée, avocat associé, agent de marques de commerce et responsable du laboratoire d’intelligence artificielle L3IA au sein de Lavery, va au-delà des données personnelles. « Particulièrement avec l’IA, il faut penser à mettre des cadres, des directives, pour s’assurer que les employés suivent les orientations de l’entreprise. Aujourd’hui, il est relativement facile pour les employés d’aller chercher des solutions qui sont en apparence très intéressantes, mais qui peuvent aller à l’encontre des décisions de l’entreprise ».
Les risques juridiques de l’utilisation de l’IA en milieu de travail, Me Kevin Vincelette, associé, et Me Fatme Saleh, tous deux membres du groupe Droit du travail et de l’emploi chez BCF Avocats d’affaires, les connaissent bien. « Dans les milieux de travail, on voit une utilisation à toutes les sauces des ChatGPT de ce monde, dit Me Kevin Vincelette. Que ce soit pour compléter des présentations, pour préparer de la documentation, etc. » Les entreprises ne peuvent plus faire comme si ces outils n’existaient pas, croient-ils. « Ce sont des enjeux qu’on ne peut pas mettre de côté, dit Me Fatme Saleh. Toutes les entreprises, petites ou grandes, de tous les secteurs d’activité de l’économie, si elles ne passent pas à l’action aujourd’hui, elles devront le faire très rapidement. Plus elles attendent et pire ce sera. »
Savoir prouver ses promesses écolos
L’IA et la protection des données personnelles sont loin d’être les seuls domaines qui nécessitent une attention juridique particulière. Le projet de loi C-59, qui vient modifier la Loi canadienne sur la concurrence, afin de faire preuve de plus de sévérité en matière d’écoblanchiment, est entrée en vigueur en juin. « Il existait déjà des éléments dans cette loi interdisant les représentations trompeuses, dit Me Anne-Frédérique Bourret, associée chez Langlois Avocats et spécialisée en droit de l’environnement et en droit administratif. Mais on est venus renverser le fardeau de la preuve : ce sont maintenant les entreprises qui doivent s’assurer qu’elles sont capables de prouver ce qu’elles avancent. »
Pour les entreprises concernées, il est donc de plus en plus urgent d’implanter des mesures garantissant que l’on ne contrevient pas à la loi. « Il sera fort utile de consulter un conseiller juridique dans ce type de cas, surtout si on considère l’abondance de normes environnementales », dit Me Anne-Frédérique Bourret.
Commencer par le début
Me Kevin Vincelette suggère d’amorcer la démarche de gouvernance par la nomination d’une personne-ressource qui agira comme référence. « Cette personne sera responsable de guider les démarches au sein de l’entreprise et va être en mesure d’orienter les employés sur ce qui se fait et ne se fait pas », dit l’avocat. L’étape suivante sera de clarifier les objectifs de chaque mesure. « Cela va nous aider à tracer les lignes de conduite qui seront transmises aux employés. »
Pour Me Éric Lavallée, ces politiques doivent être accompagnées d’une certaine transparence. « Cette gouvernance qu’on veut implanter, il faut lui donner vie au sein de l’entreprise, dit-il. Il faut convier les employés à des discussions et des formations. »
Afin d’augmenter l’efficacité de la démarche, les experts recommandent de s’entourer sans tarder d’experts. « Dans un contexte d’implantation, on suggère à nos clients de communiquer avec des avocats pour s’assurer que les mécanismes en place respectent les lois, dit Me Kevin Vincelette. Les avocats ont une expérience et comprennent les nuances des lois. Ils en ont vu d’autres. »