Geneviève Dufour, avocate et professeure de droit à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche en droit du commerce durable, responsable et inclusif (Photo: courtoisie)
DROIT DES AFFAIRES. Partout dans le monde, les normes en protection de l’environnement et des droits de la personne et en responsabilité sociale des entreprises (RSE) progressent à la vitesse de l’éclair. Contracter les services d’un expert juridique devient non seulement un atout, mais un essentiel, selon Me Geneviève Dufour, avocate et professeure de droit à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche en droit du commerce durable, responsable et inclusif. Nous l’avons rencontrée.
Les Affaires: Pourquoi est-il dans l’intérêt des entreprises de s’armer des services d’un avocat pour aborder les questions d’environnement et de droits de la personne ?
Me Geneviève Dufour : Beaucoup d’entreprises voient les services d’un expert juridique — avocat ou autre — comme un investissement qui va peut-être rapporter. Ce que je leur réponds, c’est que s’entourer d’un expert, ça rapporte toujours.
Mettre en place des pratiques plus responsables va donner à une entreprise une meilleure réputation, la rendre plus innovante et reconnue à l’international, et donc, lui permettre d’être plus compétitive. Par exemple, si je veux accéder à certains marchés européens, comme celui de la France ou de l’Allemagne, je dois maîtriser les législations de ces pays, qui sont souvent beaucoup plus strictes que chez nous. La dernière chose que l’on veut comme entreprise, c’est qu’un contrat nous échappe parce qu’on ne satisfait pas des normes étrangères ! Un avocat nous donne deux coups d’avance : s’ouvrir à de nouveaux marchés et éviter des pénalités.
L.A. : Les entreprises ne peuvent-elles pas faire ces démarches par elles-mêmes ?
G.D : De nos jours, les entreprises ne peuvent plus seulement maîtriser le droit dans lequel elles évoluent. Même si on produit pour le marché local, c’est presque certain que la chaîne d’approvisionnement passe par d’autres pays. On parle donc de faire un suivi des lois dans tous les pays dans lesquels l’entreprise aurait des fournisseurs et partenaires. Ça peut rapidement devenir très complexe ! Comment une PME, avec seulement quelques employés pourrait-elle suivre ?
De plus, les normes environnementales et de défense des droits des personnes évoluent très rapidement. Si mon entreprise développe un produit, de quoi sera faite la loi lorsque ce produit sera prêt à la marchandisation et à la vente ?
Un avocat peut nous permettre de voir venir les choses. Je donne un exemple : la Suisse a récemment conclu un accord avec l’Indonésie prévoyant que l’importation d’huile de palme respectant certaines normes environnementales et de droits de la personne ne sera pas assujettie aux frais de douane, contrairement à l’huile non certifiée — dont les frais sont très élevés. Une entreprise comme Nestlé, par exemple, a tout intérêt à bien maîtriser la législation. Évidemment, Nestlé est une multinationale qui possède une division juridique interne, mais ce n’est pas le cas pour toutes les entreprises.
L.A. : Au-delà de respecter les lois et les normes, quelles responsabilités ont les entreprises concernant la protection de l’environnement et les droits de la personne ?
G.D : Nous connaissons actuellement un changement de paradigme important. Par le passé, on considérait que la responsabilité des entreprises était de faire de l’argent. Aujourd’hui, on s’entend tous pour dire qu’elles doivent, au minimum, s’assurer qu’elles ne nuisent pas davantage. Et idéalement, participer à l’amélioration de la situation.
La majorité des entreprises que je côtoie dans le cadre de formations que j’anime sont de bonne foi. Elles veulent recourir à des matières plus écologiques, à des produits plus respectueux des droits de la personne, à limiter l’utilisation des GES dans leurs transports, mais c’est difficile. Elles ont besoin d’être accompagnées là-dedans.
Il n’y a pas de loi, actuellement, au Québec ou au Canada, obligeant les entreprises à s’assurer que les produits qu’elles importent ne font pas l’objet d’une violation de l’environnement ou des droits de la personne à l’étranger. Il y a donc très peu d’outils à leur disposition pour les aider à devenir plus écologiques, à verdir leur approvisionnement, bref, à devenir de vrais acteurs du changement. Elles peuvent aller chercher ces outils dans la sphère privée, bien sûr, mais si le gouvernement donnait plus d’encadrement, ça aiderait.
Cela dit, je crois qu’elles ont un rôle d’avant-plan. Elles peuvent être un vrai outil d’avancement. On ne renversera pas la mondialisation, mais on peut faire en sorte qu’elle se fasse mieux, dans le respect des droits des personnes et de l’environnement. On n’a qu’à se rappeler le drame du Rana Plaza, cet effondrement survenu en 2013 au Bangladesh, qui a fait plus de 1100 décès dans une usine textile, pour comprendre l’importance de faire une surveillance des chaînes d’approvisionnement des entreprises.
Qu’est-ce que le green hushing?
Le phénomène appelé green hushing est l’inverse du green washing, connu en français sous le nom d’écoblanchiment. La nouvelle loi C-59, adoptée en juin au Canada, vient mettre sur les organisations le fardeau de la preuve de leurs messages « verts », une mesure qui pourrait augmenter cette tendance, selon Me Anne-Frédérique Bourret, associée chez Langlois Avocats et spécialisée en droit de l’environnement et en droit administratif. « Dans le contexte où des entreprises auraient des doutes quant à leur capacité à prouver leurs représentations pro-environnementales, ou encore d’assumer les coûts de cette conformité, elles vont préférer retirer leurs déclarations publicitaires, dit-elle. Le green hushing, c’est “dans le doute, on se tait” ».