En 2019, un peu plus de six entreprises sur dix (67,4 %) ont fait appel aux services de cabinets d’avocats au sujet de la PI, indique l’Institut de la statistique du Québec. (Photo: 123RF)
DROIT DES AFFAIRES. On a déjà vu des entrepreneurs passionnés, se démenant depuis deux ans à lever des fonds et à faire connaître leur bébé d’une ronde de financement à une autre, recevoir une mise en demeure… une fois qu’ils connaissent enfin le succès. Ce qu’on leur reproche ? D’avoir utilisé un nom ou un logo trop similaire à celui d’un concurrent, qu’ils doivent alors modifier.
« C’est catastrophique, et c’est arrivé à beaucoup d’entrepreneurs québécois, explique Me Vincent Bergeron, associé du cabinet ROBIC, spécialisé en propriété intellectuelle (PI). Si vous n’avez pas enregistré votre marque de commerce auprès de l’Office de la propriété intellectuelle, le risque est que quelqu’un qui en détient déjà une vous réclame des dommages et intérêts et veuille faire cesser vos activités sous le nom que vous utilisez. »
En plus de lui accorder les droits exclusifs de sa marque partout au Canada, une marque de commerce permet à l’entrepreneur de protéger ses produits et services contre les imitations, ainsi que de porter plainte, s’il y a lieu, pour contrefaçon en vertu de la Loi sur les marques de commerce.
Malheureusement, beaucoup d’entre eux tiennent encore pour acquis qu’une inscription au Registraire des entreprises suffit à les protéger. « Quand on leur dit qu’ils ne le sont pas, ils tombent de leur chaise », constate Me Bergeron.
Au-delà de la marque de commerce, d’autres « branches » de la PI sont tout aussi importantes : le droit d’auteur, qui vise à préserver l’intégrité des œuvres originales, le brevet d’invention, qui assure l’exclusivité d’une invention pour une durée limitée, ou encore le dessin industriel, qui protège des représentations visuelles originales d’objets. Pour chacun de ces domaines, une utilisation judicieuse de la PI dépendra du contexte et du plan d’affaires de l’entreprise.
C’est là que les avocats entrent en scène.
L’essentielle stratégie PI
En 2019, un peu plus de six entreprises sur dix (67,4 %) ont fait appel aux services de cabinets d’avocats au sujet de la PI, indique l’Institut de la statistique du Québec.
En plus de jouer un rôle d’accompagnateur et de vérificateur juridique, un avocat fera bénéficier un entrepreneur d’une stratégie en PI sur mesure et évolutive. « Je ne dissocie pas le travail de conseil de celui de stratège », indique Me Chantal Desjardins, associée et agente de marques de commerce chez Lavery.
Elle souligne que l’avocat doit avoir une conversation approfondie avec le client à ce sujet. « Quelles sont ses activités ? Sur quel territoire va-t-il opérer ? Sera-t-il sur Internet ? Qu’est-ce qu’il a sur la table dans trois, cinq, six ans ? On essaie de voir ce qui est porteur en matière d’actifs pour l’entreprise, explique-t-elle. De mettre le doigt sur ses “bijoux” et de déterminer comment on peut les protéger. »
Malheureusement, plusieurs entrepreneurs sacrifient cette étape stratégique, véritable levier vers une croissance rapide. « Ce qu’on voit souvent, ce sont des entreprises qui connaissent un beau succès local, mais éprouvent des difficultés à l’exporter à l’international, observe pour sa part Me Bergeron. L’absence de stratégie de PI les limite ; les fondateurs vont être bloqués dans certaines juridictions ou se feront copier. »
Certains attendent de voir si leurs produits ou services seront un succès avant de se protéger. La question des coûts élevés sert d’excuse à d’autres. Pourtant, devoir faire la preuve de ses droits ou se défendre en cour peut en fin de compte coûter dix fois plus cher.
« Dépenser de l’argent pour protéger sa PI, c’est un investissement, estime Me Chantal Desjardins. Dans le cadre d’une vérification diligente, lorsqu’une institution financière détermine la valeur d’une entreprise, mieux elle est protégée en matière de PI, plus cela sera sécurisant pour de potentiels investisseurs. Ça montre qu’elle a fait ses devoirs. »
La PI va donc jouer un rôle de création de valeur et permettre d’obtenir des financements plus importants, de retarder l’arrivée de compétiteurs sur le marché ou encore de monnayer les technologies grâce à l’octroi de licences à des tiers.
« Les revenus ou la marge de profits, ce sont de bons indicateurs objectifs, mais la valeur subjective de la PI pour un acheteur précis, qui est à la recherche d’une technologie spécifique pour complémenter son offre et la faire croître, peut faire décupler la valeur d’une entreprise », avance Me Bergeron.
Le tout d’une manière qui ne répond à aucune formule mathématique ou norme comptable en matière d’évaluation, dit-il. C’est encore là que les avocats entrent en scène. « Il faudra faire affaire avec des gens spécialisés dans le domaine, qui pourront regarder la portée précise d’un brevet d’invention ou la facilité de celui-ci à être contourné. »