Le ministre de l’Économie et de l’Énergie lors d’une journée de conférence organisée par Les Affaires à Montréal en mai dernier. (Photo: Josée Lecompte)
EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE. Quand il est question d’énergie, certains croient qu’on peut changer les habitudes de consommation à l’aide d’incitatifs (la carotte), alors que d’autres pensent que la solution passe plutôt par des contraintes réglementaires ou tarifaires (le bâton). Pierre Fitzgibbon, lui, a choisi son camp.
« Il y a deux écoles de pensée, a affirmé le ministre de l’Économie et de l’Énergie lors d’une journée de conférence organisée par Les Affaires à Montréal en mai dernier. Je pense que les comportements peuvent être modifiés sans bâton. »
À son avis, c’est d’abord aux gouvernements — y compris celui dont il fait partie — de « mieux communiquer ». « Avant d’y aller avec le bâton, travaillons pour bien expliquer aux Québécois ce qui se passe, travaillons avec des incitatifs pour réduire la facture [d’électricité] », a-t-il expliqué en mêlée de presse à la suite de son discours, en référence à la tarification dynamique mise en place par Hydro-Québec pour récompenser financièrement les clients qui consomment moins d’électricité lors des périodes de grands froids hivernaux. « Commençons comme ça, et quand les gens auront bien compris ce qui se passe, on verra peut-être pour le bâton, mais on n’en est pas là », a-t-il ajouté.
Des bâtons svp
Le professeur et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, n’est pas du même avis. « Malheureusement, ça ne peut pas fonctionner seulement avec des carottes. Il faut provoquer des changements très importants, donc nous aurons besoin de bâtons, a-t-il réagi en entrevue après l’allocution du ministre Fitzgibbon. Je ne suis pas en faveur de l’imposition de contraintes dont les gens ne veulent pas, mais il faut expliquer à la population que sans contrainte, on n’y arrivera pas. »
À son avis, tout le monde doit être « secoué » : les clients résidentiels, mais également les entreprises et les industries. Il imagine plusieurs « bâtons » possibles, comme l’introduction d’une réglementation qui décourage l’utilisation d’un véhicule polluant ou d’un tarif d’électricité plus élevé lors des périodes de pointe pour inciter les clients à diminuer le chauffage (plutôt qu’un rabais pour récompenser ceux et celles qui réduisent leur consommation, comme ce qui est en place actuellement).
D’ailleurs, le professeur Pineau juge que l’une des principales « carottes » actuellement en place (la tarification dynamique d’Hydro-Québec) ne donne pas toujours les effets escomptés, puisque certains clients ont volontairement surconsommé avant les périodes de pointe pour simuler une baisse de consommation et toucher des rabais. « Si les carottes encouragent à tricher, ça ne fonctionne pas », tranche-t-il.
Peu importe les outils qui seront privilégiés pour convaincre les Québécois de modifier leurs habitudes de consommation, le député de Québec solidaire et porte-parole de son parti en matière d’économie et d’énergie, Haroun Bouazzi, ne veut pas d’une contrainte universelle. « Je suis contre une augmentation linéaire [des tarifs d’électricité], a-t-il dit lors d’un panel au sujet de l’avenir énergétique du Québec. « Les personnes qui paient le plus cher pour chauffer leur logement à 20 degrés Celsius sont celles qui sont moins nanties et qui habitent dans des passoires énergétiques, a-t-il illustré. On ne peut pas se retrouver dans une situation où on demande les mêmes efforts à tout le monde. Il faut qu’il y ait un sentiment de justice sociale. »
Marché du carbone à améliorer
En attendant la réforme du secteur énergétique promise par le ministre Pierre Fitzgibbon, le Québec a déjà un bâton : il s’agit du marché du carbone mis sur pied en 2013 et lié à celui de la Californie l’année suivante. Ce système qui prévoit le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre des émetteurs et l’échange de droits d’émission — en quelque sorte des « droits de polluer » — fait présentement l’objet d’échanges entre le Québec et la Californie afin d’y apporter de « possibles ajustements », indique le site Internet du ministère québécois de l’Environnement. Les plafonds d’émission et les crédits compensatoires — que peuvent obtenir des promoteurs après avoir développé un projet qui réduit ou retire des GES de l’atmosphère, pour ensuite les vendre à des entreprises polluantes — font notamment partie des discussions.
« En théorie, le marché du carbone devait être une contrainte qui nous amène à nos objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de 2030. Or, on a une surabondance de droits d’émissions », constate le professeur Pineau. Ce spécialiste des questions énergétiques croit non seulement que les responsables du marché du carbone devraient réduire le nombre de droits d’émission en circulation (pour augmenter le prix de chaque droit d’émission et, par conséquent, inciter les émetteurs à moins polluer), mais aussi que chaque tonne d’émission de CO2 devrait pouvoir être compensée par deux crédits compensatoires (plutôt qu’un, comme c’est le cas actuellement).
Il faut resserrer le marché, sans jeter le bébé avec l’eau du bain, dit-il. « C’est comme avec une ceinture. Ce n’est pas parce qu’elle est trop grande qu’il s’agit d’un mauvais accessoire vestimentaire. Il faut simplement resserrer la ceinture. »