Beaucoup d’énergie peut être récupérée des systèmes de climatisation de bâtiment. (Photo: La Presse Canadienne)
Regroupées au sein du Conseil québécois des entreprises en efficacité énergétique (CQ3E), 24 entreprises, parmi lesquelles des gestionnaires d’immeubles, des firmes de construction, des firmes d’ingénierie et des fournisseurs de produits électriques, présentent un «Manifeste sur la décarbonation des bâtiments du Québec».
Les recommandations de ces entreprises ont pour objectifs d’aider le Québec à réduire les coûts liés à l’électrification, maximiser le potentiel d’utilisation et minimiser les impacts environnementaux. Elles reposent sur «trois piliers»: la réduction de la consommation, l’électrification judicieuse et la gestion de la demande de puissance.
«Les trois piliers sont complètement indissociables, on ne peut pas simplement décarboner par l’électrification en remplaçant une technologie de combustible fossile par une technologie électrique, et penser que le tour est joué», car «après ça, on contribue à un autre problème qui est celui du manque éventuel de disponibilité sur le réseau électrique», a précisé François Dussault, président du CQ3E.
Réduction de la consommation
Le CQ3E a souligné que le Québec consomme 3,5 fois plus d’énergie par habitant que la moyenne mondiale et que la province a la plus haute consommation d’électricité par habitant au Canada.
Selon le manifeste, la réduction de la consommation passe en partie par la récupération d’énergie perdue dans les bâtiments, qu’ils soient résidentiels, industriels, commerciaux ou institutionnels, et plusieurs solutions existent.
Par exemple, beaucoup d’énergie peut être récupérée des systèmes de climatisation de bâtiment.
«Quand on climatise, on soustrait de l’énergie dans l’air, alors cette énergie qu’on retire, plutôt que simplement l’expulser à l’extérieur, on peut la ramener à l’intérieur du bâtiment vers quelque chose d’utile», comme «un secteur du bâtiment qui a besoin d’être chauffé», a expliqué M. Dussault.
Il a souligné que la récupération d’énergie est courante, mais elle doit l’être davantage si le Québec veut atteindre la carboneutralité.
«On n’est pas en train de réinventer la roue, on est en train simplement de dire qu’il faut accélérer la roue. Il faut que toutes ces solutions-là soient encouragées et expliquées aux propriétaires et aux gestionnaires immobiliers… parce que le temps pour atteindre les cibles (de réduction de GES) commence à manquer.»
Le manifeste appelle également à l’amélioration des enveloppes de bâtiments, soit les murs, les fenêtres et les toitures, en imposant notamment «des seuils minimums de performance énergétique» et des taux maximums d’émission de GES par bâtiment.
«Le suivi de performance (énergétique) des bâtiments devrait être une pratique obligatoire», peut-on lire dans le manifeste des 24 entreprises.
L’électrification judicieuse
Multiplier les thermopompes et bonifier considérablement les appuis financiers pour leur installation, et particulièrement pour les thermopompes géothermiques, fait également partie des recommandations pour optimiser l’utilisation de l’énergie, faire des gains économiques et éventuellement atteindre la carboneutralité, selon le groupe d’entreprises.
«Au Québec, nous chauffons la plupart de nos édifices résidentiels ou commerciaux avec la même technologie que celle du grille-pain, parce que la plinthe électrique, c’est l’équivalent, l’image est un peu forte, mais c’est l’équivalent d’un grille-pain, parce qu’on chauffe un filament», a indiqué François Dussault.
«Un kilowattheure d’électricité injecté dans une plinthe électrique va me donner un kilowattheure de chauffage, mais si on utilise la thermopompe, un kilowattheure à l’entrée de la thermopompe produit trois, quatre et même cinq kilowattheures utiles en chauffage. C’est beaucoup plus performant, mais ce n’est pas suffisamment répandu. Il faut vraiment que la thermopompe devienne le standard, et non pas la plinthe électrique», a expliqué le président du CQ3E.
Les entreprises signataires du manifeste demandent que soit créé «un contexte favorable à l’importation ou la fabrication au Québec de certaines technologies de thermopompes disponibles ailleurs dans le monde, mais absentes du marché québécois, par exemple les thermopompes à ultrahaute température et les thermopompes air-eau pour le secteur résidentiel».
Gestion de la demande de puissance
Selon le gouvernement Legault, Hydro-Québec devra produire significativement plus d’électricité pour répondre à la demande dans un contexte de transition énergétique.
Et selon le plan stratégique 2022-2026 déposé l’an dernier par Hydro-Québec, le Québec aura besoin de 100 térawattheures (TWh) additionnels d’énergie si la province veut atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Dans ce contexte, le manifeste «recommande notamment de modifier les tarifs d’électricité et accroître l’accès aux tarifs dynamiques afin que les frais de pointe électrique soient plus étroitement liés à la pointe du réseau plutôt qu’à la pointe du bâtiment».
Appuyer le développement de la filière du gaz naturel renouvelable (GNR) pour certains usages, stimuler le développement d’une filière québécoise dans les technologies de stockage d’énergie pour les bâtiments et «développer la littératie et les compétences des gestionnaires immobiliers et des entrepreneurs et professionnels du secteur de la construction» sur les technologies, la gestion de la pointe d’énergie et le stockage, font également partie des recommandations.
En publiant ce manifeste, «on veut représenter la voix des acteurs sur le terrain, ceux qui réalisent les projets», a expliqué le président du CQ3E.
Ces entreprises, a-t-il expliqué à La Presse Canadienne, «font face à des enjeux de faisabilité techniques et des enjeux d’objectifs qui ne sont pas toujours concomitants entre les donneurs d’ouvrage, les gouvernements, les organismes qui octroient des aides financières et les distributeurs d’énergie».
Le manifeste s’adresse au gouvernement du Québec, à Hydro-Québec, Énergir, aux promoteurs, aux constructeurs et aux gestionnaires immobiliers.
«Et comme on est au carrefour de toutes ces parties prenantes, on croit que c’est important d’amener notre voix», a ajouté François Dussault.
Le secteur des bâtiments représente environ 10% des émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec et un peu plus de la moitié de ces GES proviennent des énergies fossiles comme le mazout.
«Même dans des bâtiments qui consomment peu de combustibles fossiles, le potentiel de l’efficacité énergétique contribue à libérer des kilowatts et des kilowattheures électriques qui deviennent disponibles pour les autres filières, les autres secteurs. Donc on veut ramener l’intérêt sur le secteur du bâtiment», car «il y a encore énormément à faire», a expliqué François Dussault.
La liste des entreprises signataires comprend Aedifica, Ainsworth, Akonovia, Ambioner, Bouthillette Parizeau, Ciet, C-Nergie, Dunsky, Econoler, Ecosystem, Energénia, Énergère, Enero solutions, Honeywell, Johnson Controls, Krome, Lemay, Master, Nordexco, Pomerleau, Siemens, Sofiac, Trane et TST.
Par Stéphane Blais