Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Guilbeault: l’économie circulaire avant la fin des exportations

La Presse Canadienne|Publié le 20 octobre 2023

Guilbeault: l’économie circulaire avant la fin des exportations

On ne sait pas exactement comment des déchets plastiques canadiens se sont retrouvés dans les montagnes d’ordures qui polluent les rues de Shwepyithar. (Photo: La Presse Canadienne)

EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE. Ottawa — Les montagnes de déchets provenant de pays étrangers qui s’accumulent autour des maisons et des temples au Myanmar réalimentent les appels au Canada et aux autres pays riches pour qu’ils s’occupent de leurs propres déchets plastiques chez eux, au lieu de les exporter vers les pays en développement.

Bien qu’il y ait quelques déchets locaux dans les tas de plastiques partout dans la localité de Shwepyithar, au nord de Yangon (anciennement Rangoun), il existe également des preuves évidentes de la présence d’emballages en plastique de marques étrangères, notamment du Canada.

Kathleen Ruff, militante pour les droits de la personne de Colombie-Britannique, indique que plus de 100 pays ont désormais convenu d’interdire complètement l’exportation de déchets plastiques. Mais pas le Canada. «Pourquoi le Canada se bat-il pour avoir le droit d’exporter et de déverser ses déchets dans les pays en développement? Ça n’a aucun sens», estime-t-elle.

Plus tôt cette année, des journalistes de Frontier Myanmar, un magazine anglophone publié à Yangon, se sont rendus à plusieurs reprises à Shwepyithar pour documenter le problème. Les journalistes Allegra Mendelson et Rachel Moon ont partagé leurs observations et leurs images avec La Presse Canadienne dans le cadre d’un partenariat avec la salle de rédaction d’investigation Lighthouse Reports et d’autres médias en Thaïlande, en Pologne, au Royaume-Uni et en Belgique.

Parmi les plastiques qu’ils ont pu identifier se trouvaient des marques canadiennes de pâtes et de yogourts. Sur une autre pile, ils ont trouvé un sac en plastique contenant autrefois des pièces de plomberie en PVC, étiquetées «fabriquées au Canada», dans une usine de Milverton, en Ontario. Aucune de ces marques n’est vendue au Myanmar.

Le Myanmar (ex-Birmanie), un pays d’environ 54 millions d’habitants, a «accueilli» un plus grand nombre de déchets étrangers ces dernières années, alors que d’autres pays d’Asie, notamment la Chine et la Thaïlande voisines, interdisent maintenant, ou limitent sévèrement, tout déchet plastique importé.

Le Myanmar en a également interdit la plupart, mais un coup d’État militaire dans ce pays en 2021 a limité l’application de cette interdiction. Le régime militaire a également laissé les citoyens locaux impuissants à empêcher que les déchets soient déversés devant leur porte.

 

Des montagnes de plastiques

Dans certains endroits de Shwepyithar, les amoncellements de déchets sont si hauts qu’ils atteignent le sommet des maisons à un étage. Ils bordent les étangs et recouvrent des terrains vagues censés devenir des parcs et des terrains de jeux. Ils remplissent les ruelles derrière les maisons d’un quartier informel, où de petites structures avec des murs en tissu reposent sur des poteaux de bambou pour les protéger de l’eau stagnante en contrebas.

Une photo fournie à La Presse Canadienne montre de jeunes enfants de ce quartier pataugeant jusqu’aux genoux dans une eau bordée de chaque côté de morceaux de plastique gris délavé, de restes de ce qui semble être des bandes de caoutchouc et de quelques touches de couleur vive provenant du plastique.

L’année dernière, le Canada a exporté 183 millions de kilos de déchets plastiques. Sur papier, 90 % de ce plastique était destiné aux États-Unis et environ 4800 kilos au Myanmar. Mais le Canada ne suit pas la trace de la majeure partie de ces expéditions et ne peut pas dire ce qui s’est passé une fois que le plastique a quitté ses côtes.

Mme Ruff fait partie de ceux qui exigent que le Canada accepte un amendement à la Convention de Bâle sur les déchets dangereux, qui interdirait purement et simplement l’exportation de déchets dangereux vers les pays en développement. Cela inclurait la plupart des plastiques, même ceux destinés au recyclage. Le Canada n’a jamais accepté cet amendement et n’a toujours pas l’intention de le faire.

Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a soutenu dans une récente entrevue que la réduction des déchets plastiques nécessitait la création d’une économie circulaire pour leur recyclage et leur réutilisation. Et il croit qu’interdire les exportations nuirait à ce cycle.

«Si nous voulons une économie circulaire qui inclurait le plastique, ça n’a pas beaucoup de sens d’imposer des barrières commerciales ou des barrières physiques à la circulation de ce bien, a-t-il expliqué. Mais je pense que nous devons faire un meilleur travail pour garantir que ce qui est expédié est bien du plastique qui peut être recyclé.»

 

Les plastiques dits «propres et triés»

En 2021, le Canada a accepté un amendement à la Convention de Bâle qui a ajouté certains déchets plastiques à la liste des produits nécessitant «un consentement préalable et éclairé». Mais cela n’inclut pas le plastique prétendument propre, trié et destiné au recyclage. Et les exportations de plastique du Canada ont augmenté de plus de 30 % au cours des quatre dernières années, pour atteindre 183 millions de kilos en 2022.

Le Canada a au demeurant une industrie du recyclage très limitée. Un rapport de 2019 a documenté moins d’une douzaine d’entreprises de recyclage au pays; moins de 10 % des déchets plastiques produits au Canada sont recyclés en fin de compte. Le plus souvent, le recyclage coûte plus cher que la fabrication de nouveaux plastiques, notamment pour les emballages, et le marché de l’utilisation du plastique recyclé est limité.

On ne sait pas exactement comment des déchets plastiques canadiens se sont retrouvés dans les montagnes d’ordures qui polluent les rues de Shwepyithar. Le Canada n’a délivré aucune licence d’exportation pour envoyer ces déchets au Myanmar ou en Thaïlande, d’où sont importés une grande partie des déchets étrangers au Myanmar. Sans permis, il est impossible de savoir ce qui leur est arrivé.

Le ministre Guilbeault reconnaît également que les affirmations selon lesquelles le plastique est «propre et trié pour le recyclage» ne sont pas toujours exactes. 

«Je pense que, dans l’ensemble, les entreprises canadiennes sont responsables de ce point de vue et si elles disent qu’elles exportent des plastiques recyclables, c’est vrai, a-t-il déclaré. Mais nous avons malheureusement vu des cas où ce n’est pas le cas et je pense que nous devons faire un meilleur travail pour appliquer ces règles au Canada. Et le ministère et moi cherchons des moyens d’y parvenir.»

M. Guilbeault a admis lors d’une récente entrevue que son gouvernement n’avait toujours pas trouvé comment résoudre ce problème, mais il a ajouté que la solution pourrait résider dans une autre mise à jour de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Le ministre Guilbeault, qui était un militant écologiste avant de devenir député libéral en 2019, tente personnellement de jouer un rôle de leadership, aux côtés du Canada, pour négocier un nouveau traité mondial sur les plastiques, qui réduirait notamment les déchets plastiques en encourageant, voire en exigeant leur recyclage et leur réutilisation.

Certains, dont le président français Emmanuel Macron, plaident pour que cela inclue une réduction de la production de plastique, même si M. Guilbeault a exprimé des réserves à ce sujet.

Le Canada accueillera la prochaine série de négociations en juin 2024.


Par Mia Rabson