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Northvolt: pas assez risqué!

Louis-Félix Binette|Publié le 13 octobre 2023

Northvolt: pas assez risqué!

La batterie ne résout qu’une partie de l’équation énergétique, celle du stockage. (Photo: Facebook / Northvolt)

EXPERT INVITÉ. C’est la rentrée des grandes annonces. Avec Northvolt, la valse des millions fait place à celle des milliards.

Mais, de loin, on dirait plus une danse en ligne qu’une valse: tout le monde fait à peu près la même chose en même temps. Le Canada veut sa part du gâteau américain. Le Québec veut autant de miettes que l’Ontario. Le dada de l’heure? La fameuse «filière batterie» et ses promesses de retombées «en amont de la chaîne de valeur». Ça me rappelle 2017 et la grande séduction (ratée) pour le second QG d’Amazon.

Une grenouille n’est pas un bœuf

Je vais être plate, mais… un investissement de sept milliards de dollars, pour une sixième méga-usine de surcroît, ce n’est pas un bien gros risque. C’est une partie du prix à payer pour honorer un carnet de commandes de 55G$ où trônent de modestes clients comme BMW, Volvo, Volkswagen, pour la plupart également investisseurs dans l’entreprise.

En fait, le plus gros du risque, dans cette aventure, ce sont les fondateurs de Northvolt qui l’ont pris, puis digéré graduellement, entre 2017 et 2020, pour convaincre leurs premiers investisseurs et clients du bien-fondé de leur approche, empruntée à Tesla avec une couche de vert en plus. Il y a fort à parier que ce sont eux, d’ailleurs, qui empocheront, à dollar égal, le plus grand retour sur investissement. Beaucoup plus que l’État québécois, en tout cas, et ce, malgré l’achat d’actions dans l’entreprise.

Sept milliards, c’est aussi une goutte d’eau dans la marée de milliards qui redessinent actuellement à vitesse grand V le paysage manufacturier dans le secteur automobile à l’échelle mondiale. Parce que la transition à l’électrique est maintenant inéluctable, et ne fera que s’accélérer. Les grèves qui ont lieu actuellement dans cette industrie laissent d’ailleurs entendre que les leaders syndicaux de l’automobile en ont pris acte.

Dans les circonstances, les ministres Champagne et Fitzgibbon ont bien pris le temps d’expliquer sur toutes les tribunes que cet investissement sans précédent faisait partie d’une stratégie visant à implanter le Québec bien fermement dans le développement de la filière batterie mondiale. En misant notamment sur l’hydroélectricité, qui permet de réduire le bilan environnemental de la fabrication même de la batterie. Après tout, alors que le monde entier s’apprête à passer aux véhicules zéro émission à l’horizon 2035, pourquoi ne pas les fabriquer en partie ici si nous en avons la capacité? Chapeau!

Laissons aux économistes le loisir de se crêper le chignon à savoir si ce genre d’investissement de deniers publics peut se rembourser par lui-même, en retombées fiscales directes ou bien indirectement, sur cinq, dix ou vingt ans. Ou pas du tout. Et aux écologistes, celui de faire la liste de toutes les raisons pour lesquelles la batterie, même la plus verte, reste un cul-de-sac environnemental. Pendant ce temps, certains pronostics prévoient qu’à elle seule, la loi Inflation Reduction Act, adoptée aux États-Unis en 2022, injectera autour de mille milliards (un billion!) de dollars américains d’argent public pour la transition énergétique et la lutte aux changements climatiques… et que, selon le Brookings Institution, ce sera rentable!

La batterie n’est pas le nouvel or noir

La batterie ne résout qu’une partie de l’équation énergétique, celle du stockage. Les batteries fabriquées à Saint-Basile-le-Grand seront plus «vertes» parce qu’elles seront fabriquées avec de l’hydroélectricité et des matériaux plus «éthiquement sourcés», «à proximité», pour peu qu’on considère le trajet entre le Nord-du-Québec et le Centre-du-Québec comme un circuit court.

Cependant, une fois installées dans des véhicules utilisés pour déplacer marchandises et individus sur des centaines de milliers de kilomètres au sud du 45e parallèle, elles seront rechargées à maintes reprises avec des électrons dopés au charbon, au gaz ou au pétrole.

En passant de l’essence aux batteries, on ne fait que changer d’industrie extractive, au grand dam des pays connus surtout comme producteurs et exportateurs de pétrole. Mais on n’aborde pas l’enjeu de la production énergétique et celui, plus fondamental, de la facture (énergétique, sociale, urbanistique, etc.) démesurée du transport routier et en particulier de l’auto solo. Il y a là encore tout un potentiel d’innovation inexploité.

Le pétrole et le moteur à explosion ont régné en maîtres sur l’industrie automobile pendant près d’un siècle et demi, avec les conséquences environnementales et socioéconomiques qu’on connaît. Je serais surpris que le règne des batteries à base d’ions métalliques soit aussi total et aussi long. Dans la prochaine décennie, la batterie sera assaillie de toute part, par des solutions de rechange du point de vue du stockage, de la production. Peut-être même, pour reprendre un adage cher au ministre québécois de l’Énergie, que la batterie la moins chère sera celle qu’on n’achètera pas, parce qu’on aura trouvé des solutions de remplacement au transport routier et à l’auto solo!

Savoir couvrir ses positions

Des projets potentiellement «disruptifs» de la filière batterie, qui commence à peine à se déployer, voient déjà le jour. Aucun ne commencera sa vie avec de généreux chèques de sept chiffres, cependant. Ils naîtront, par centaines chaque année, dans des laboratoires ou des garages avec quelques économies personnelles, des bourses de recherche, et beaucoup de passion. Il en mourra chaque année presque autant. Ceux qui réussiront à franchir graduellement des étapes de prototypage et de validation susciteront des investissements de plus en plus conséquents, à mesure que la perception du risque technologique ou du coût d’expérimentation diminuera.

Éventuellement, on se battra à nouveau, et on promettra des sommes faramineuses, pour attirer les usines qui fabriqueront ces nouvelles technologies. Ou pour (re) bâtir des villes entières sur des modèles de quartiers où la voiture n’est plus reine.

Dans le contexte, je suis prêt à accepter qu’il est probablement plus risqué de ne pas utiliser nos atouts et nos charmes pour attirer ici les Northvolt et compagnie, que de les laisser s’implanter n’importe où. Mais je me demande si, en prenant ce risque très calculé, on ne devrait pas s’assurer d’être aussi systématique dans notre soutien à ces projets qui remplaceront éventuellement la batterie. Histoire de couvrir notre risque, et de s’assurer qu’au prochain «très gros investissement» du genre, le Québec soit de l’autre côté du grand jeu de séduction. Et que ce soient nos entrepreneurs qui encaissent les chèques.

 

 

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