La filière batterie ontarienne est une sérieuse concurrente au Québec
François Normand|Édition de la mi‑septembre 2024Le futur complexe industriel de l’usine de cellules de batteries de Volkswagen à St.Thomas. À lui seul, le complexe aura la superficie de 210 terrains de football (850 terrains pour l’ensemble du site). (Photo: François Normand)
ST. THOMAS, ONT. — Le terrain nivelé par la machinerie est immense et s’étend à perte de vue. La superficie démesurée est à la hauteur des ambitions de PowerCo Canada, une division de Volkswagen, qui est train d’y construire une méga-usine de cellules de batteries pour voitures électriques dont l’entrée en production est prévue en 2027.
Le site sur lequel nous circulons abritera bientôt un complexe industriel composé de six blocs. Il s’agit d’un projet de 7 milliards de dollars (G$) — excluant les subventions de 13 G$ —, qui créera jusqu’à 3000 emplois.
À lui seul, le complexe aura la superficie de 210 terrains de football. Si l’on tient compte de l’ensemble du parc industriel qui abritera des fournisseurs et un terminal de trains, on parle de 850 terrains !
Le chef de la direction financière de PowerCo, Brent Hinson, explique que plusieurs facteurs ont convaincu Volkswagen de s’établir dans cette municipalité située au cœur de l’Ontario. Il mentionne la présence des infrastructures ferroviaires, la disponibilité de la main-d’œuvre et l’aide des gouvernements, sans parler de la proximité de Détroit, au Michigan, bastion historique de l’industrie automobile.
Toutefois, un autre facteur évoqué par Brent Hinson devrait interpeller le gouvernement de François Legault : la présence d’énergie propre en Ontario, car il s’agit de l’un des deux atouts mis de l’avant par le Québec pour attirer des entreprises de la filière batterie. « Il est vraiment important pour nous d’avoir une énergie neutre en CO2. Le Canada et l’Ontario sont parmi les plus grands acteurs dans ce domaine », dit-il.
Énergie propre et minéraux critiques
En fait, l’Ontario a peu d’énergie renouvelable ou verte. Cela représente 36 % de sa production totale d’électricité, selon la Régie de l’énergie du Canada.
En revanche, si l’on tient compte de l’énergie nucléaire (55 %, non renouvelable en raison des déchets radioactifs), la province produisait 91 % d’électricité propre en 2021 — qui n’émet pas des gaz à effet de serre (GES). Dans le cas du Québec, c’était 94 %.
En entrevue, Vic Fedeli, ministre du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce de l’Ontario, confirme que sa province mise aussi sur l’énergie propre et les MCS, sans parler de son industrie automobile, de ses centres de R-D et des coûts compétitifs pour les entreprises.
« Nous avons identifié 33 minéraux critiques sur notre territoire. C’est un point important de notre discours à l’étranger à savoir que nous avons tous les minéraux qu’il faut ici [pour développer la filière batterie] », affirme-t-il.
Pour sa part, le Québec a identifié 28 MCS. Dans les deux provinces, de nouvelles mines entreront en production dans les prochaines années, notamment de lithium.
Les Affaires reprend la route en direction de Windsor, en face de Détroit, où Stellantis et LG Energy sont en train d’y construire une usine de batteries lithium-ion.
Danies Lee, PDG de Nexstar Energy, coentreprise formée par LG (51 %) et Stellantis (49 %) pour ce projet, nous attend pour nous expliquer la stratégie de croissance de cette grande usine qui mesure 400 mètres sur 590 mètres.
Là aussi, on parle de gros montants : un investissement de 20 G$, incluant 15 G$ de subventions, qui créera 2500 emplois. La production des modules débutera cet automne, suivie par la fabrication de cellules en 2025.
Stellantis lancera la production à son usine de batteries lithium-ion de Windsor cet automne. (Photo: François Normand)
La proximité des clients est importante
Nexstar Energy a aussi considéré plusieurs facteurs pour installer son usine de batteries à Windsor.
Outre l’aide des gouvernements, Danies Lee évoque la proximité des usines du principal acheteur (le constructeur automobile Stellantis) et le bassin de main-d’œuvre qualifiée. Il souligne aussi la présence de MCS en Ontario.
« La production minière n’est pas encore au rendez-vous, mais il y a un bon potentiel. C’est l’une des raisons qui nous a attirés ici », dit-il, en ajoutant que l’énergie propre de l’Ontario a aussi été un critère de localisation important. « C’est logique d’avoir de l’énergie propre pour fabriquer des batteries pour les voitures électriques », souligne-t-il.
Nous entendons le même type de discours à Alliston, au nord de Toronto, où nous allons interviewer Jean-Marc Leclerc, président et chef de la direction de Honda Canada. Le constructeur automobile y fabrique des voitures depuis 1986, en partie des voitures hybrides depuis cette année.
Son nouveau projet en Ontario annoncé en avril, avec son partenaire Posco Future M (qui a aussi un projet d’usine de cathodes avec General Motors au Québec) est gigantesque.
C’est un investissement de 15 G$, incluant 5 G$ de subventions, pour construire deux usines à Alliston (une usine rééquipée et une usine de batteries) et deux usines de pièces de rechange ailleurs en Ontario. Leur mise en service s’effectuera en 2028‑2029 et créera 1000 emplois.
Honda Canada, qui a été courtisée par le Québec pour cet investissement, a d’abord choisi l’Ontario en raison de l’intégration de l’entreprise dans la communauté et son industrie automobile. « Il y a une familiarité qui est importante », insiste Jean-Marc Leclerc.
En plus de la collaboration des gouvernements, il ajoute la proximité du marché américain et l’offre d’énergie propre, mais aussi la présence de MCS, et ce, en raison de la nécessité d’avoir « un approvisionnement qui est sécure ».
La production du CR-V Hybrid à l’usine déjà existante de Honda, à Alliston, représente actuellement plus de 25 % de la production totale du CR-V. (Photo: Honda)
Sécuriser les approvisionnements en MCS
Jean-Marc Leclerc dit que Honda a tiré une leçon d’une mauvaise expérience avec des puces électroniques, il y a quelques années, quand « certaines compagnies » n’ont pas pu livrer la marchandise. « Ç’a été une leçon pour nous. Quand ça arrive à des batteries qui représentent 40 % du véhicule, c’est critique. Qu’est-ce qu’on peut faire pour sécuriser cet approvisionnement-là ? », dit-il.
Tout comme au Québec, la filière batterie en Ontario pâtit aussi de la demande moins forte que prévu pour les voitures électriques dans le monde, ce qui retarde certains projets, comme Umicore et son usine de matériaux pour batteries à Kingston.
Volkswagen, Stellantis-LG et Honda Canada — trois multinationales bien établies — nous ont confirmé qu’elles maintiennent leurs échéanciers.
Cela dit, la création de la filière batterie au Québec pourrait être plus difficile que prévu à terme. Car les deux atouts mis de l’avant par le gouvernement Legault — notre énergie renouvelable et nos MCS — ne sont finalement pas si uniques qu’il n’y paraît à première vue.