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Le projet de loi 69, un signal «clair» pour la transition énergétique

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑septembre 2024

Le projet de loi 69, un signal «clair» pour la transition énergétique

Avec le projet de Loi 69, le gouvernement Legault pose un cadre pour, d’une part, «assurer une gouvernance responsable des ressources énergétiques» (titre du projet), et d’autre part, «soutenir, de stimuler et de promouvoir la production d’énergie ainsi que le développement de nouvelles filières énergétiques». (Photo: Ryan Remiorz / La Presse Canadienne)

EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE. Après avoir baigné dans l’abondance hydroélectrique pendant plusieurs décennies, le Québec entre dans une ère de rationnement et d’optimisation énergétique avec l’annonce du projet de Loi 69, à l’étude à l’automne, et le Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec. Saluées par les acteurs du secteur des énergies renouvelables, les deux pièces maîtresses de ce virage durable n’en soulèvent pas moins des inquiétudes dans le monde des affaires. Analyse.

Pour atteindre la carboneutralité, il apparaît désormais illusoire de penser pouvoir « tout électrifier » avec de l’énergie renouvelable provenant des barrages d’Hydro-Québec. Les entreprises québécoises ont eu un reality check en février 2023, avec l’adoption de la loi 2 limitant l’accès aux blocs d’énergie de 5 MW et plus. Avec le projet de Loi 69, le gouvernement Legault pose un cadre pour, d’une part, « assurer une gouvernance responsable des ressources énergétiques » (titre du projet), et d’autre part, « soutenir, stimuler et promouvoir la production d’énergie ainsi que le développement de nouvelles filières énergétiques » (article 14).

L’objectif est donc double : le Québec doit produire plus d’énergie renouvelable tout en utilisant mieux celle disponible. Un objectif par ailleurs pleinement partagé par Hydro-Québec, qui a déjà montré sa volonté de diversifier son portefeuille énergétique en s’engageant à devenir le maître d’œuvre de grands projets éoliens.

Frédéric Côté, directeur général du centre de recherche Nergica, se « réjouit » de voir le gouvernement et la société d’État afficher de telles ambitions. Il trouve particulièrement pertinent le fait de retirer à Hydro-Québec « l’obligation de procéder par appels d’offres » la négociation de ses contrats d’approvisionnement. « Si on regarde ce qui s’est passé dans la filière de l’éolienne en mer aux États-Unis, plusieurs projets [octroyés par appel d’offres] ont été abandonnés parce qu’ils n’étaient plus viables lors de la mise en chantier, en raison de l’inflation et de la pression sur la chaîne d’approvisionnement. Je crois que ça prend plus de souplesse et de flexibilité pour réaliser ces projets. »  

Le projet de loi 69 élargit le cadre dans lequel les entreprises privées peuvent autoproduire et vendre de l’énergie, ce que le directeur de Nergica voit aussi d’un bon œil. « On pourra voir davantage de projets de parcs solaires ou éoliens, comme ça se fait en Europe, où par exemple on trouve des éoliennes sur des ports de mer, pour alimenter leurs besoins industriels. »

Plus largement, le coup d’accélérateur donner pour la transition énergétique amènera des occasions d’affaires pour nombre d’entreprises technologiques des secteurs éolien, solaire, des gaz naturels renouvelables, de la filière batterie et des technologies de stockage. « Il reste maintenant à voir comment le gouvernement compte opérationnaliser ce virage, prévient Frédéric Côté. Car on ne sait pas encore comment Hydro-Québec établira ses partenariats avec les joueurs du secteur. »

Conséquences sur les entreprises

Au mois d’août, l’ex-ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon avait reconnu que le Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec entraînera « des hausses importantes » des tarifs d’hydroélectricité. Quelques mois plus tôt, en mai, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur le sujet, en dénonçant le « choc tarifaire » que risquent de subir les PME à l’application du plan d’Hydro-Québec. Selon les estimations de la FCEI, les PME accuseront des hausses tarifaires annuelles de 8,6 % de 2025 à 2035, faisant bondir leur facture électrique de 2,47 fois durant cette période. « Ce nouveau choc tarifaire (…) va limiter la capacité des PME à investir, à innover, et à rivaliser avec les grands acteurs industriels », s’est inquiété François Vincent, vice-président québécois à la FCEI, dans le communiqué de l’étude. 

Cendrix Bouchard, porte-parole d’Hydro-Québec, n’adhère pas à cette vision alarmiste. « L’étude comparative des tarifs d’électricité en Amérique du Nord [avril 2023] démontre clairement la compétitivité de nos tarifs. Ensuite, dans notre plan d’action 2035, nous nous engageons à conserver la compétitivité des tarifs commerciaux et industriels grâce à des offres bonifiées en efficacité énergétique. » La société d’État compte effectivement aider les PME à diminuer leur consommation de 10 % grâce à de l’accompagnement et des appuis financiers, ce qui se traduira « par une réduction proportionnelle de leur facture énergétique », estime le porte-parole.

Finalement, le projet de Loi 69 ouvre la porte à une modulation des tarifs en fonction du coût de l’énergie. Pour Anne-Josée Laquerre, directrice générale de Québec Net Positif, il s’agit d’une bonne nouvelle. « Pour accélérer la transition énergétique, nous avons besoin d’avoir des signaux forts de transition. Et l’accroissement des tarifs en est un. Ça permettra aux entreprises de mieux comprendre la valeur réelle de l’énergie. » Questionné à savoir si les inquiétudes de la FCEI étaient fondées, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie nous a quant à lui répondu que des programmes étaient déjà en place à Investissement Québec, Hydro-Québec et au ministère de l’Environnement pour aider les entreprises à se décarboner.