Protéger l’environnement nuit peu à l’économie, selon l’OCDE
François Normand|Publié le 09 juin 2021Les gagnants sont les entreprises qui investissent justement dans les nouvelles technologies afin d’être plus efficaces. (Photo: Getty Images)
EFFICIENCE MANUFACTURIÈRE. Contrairement à une idée reçue dans les milieux d’affaires, adopter des politiques environnementales plus strictes pour protéger l’environnement a «peu d’effet global» sur la performance économique de l’ensemble des entreprises, affirme une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’OCDE a publié le 17 mai cette étude («Assessing the Economic Impacts of Environmental Policies: Evidence from a decade of OECD Research»), et l’un de ses économistes, Antoine Dechezleprêtre, en décortiqué les grandes lignes lors du récent congrès annuel de l’Association des économistes québécois (ASDEQ).
En entretien à Les Affaires en marge du congrès, Antoine Dechezleprêtre, économiste principal et chef d’unité, division de la productivité, de l’innovation et de l’entrepreneuriat, a expliqué que les politiques environnementales ont «forcément des effets», mais qu’ils sont «très faibles» par rapport à d’autres politiques publiques.
«Les coûts du travail, les coûts du transport ou les coûts d’infrastructures sont des facteurs qui ont un impact plus important sur la croissance que les politiques environnementales», dit-il.
Depuis 10 ans, l’OCDE a par exemple évalué l’impact de la hausse des prix de l’énergie, provoquée par exemple par l’imposition de taxes sur le carbone dans plusieurs pays, dont le Canada.
Les effets à court terme «ont été modestes», souligne l’organisme dans son étude de 125 pages. Ainsi, une augmentation de 10 % des prix de l’énergie entraîne une diminution de l’emploi manufacturier de moins de 1 %.
En revanche, cette hausse du prix de l’énergie a fait progresser d’environ 1,5 % de l’investissement étranger par rapport à l’investissement total.
Cette situation peut sans doute s’expliquer par des investissements supplémentaires réalisés par les filiales étrangères dans des technologies propres, et ce, afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les gagnants et les perdants
Pour autant, Antoine Dechezleprêtre souligne que les politiques environnementales font des gagnants et des perdants dans l’industrie.
Les gagnants sont les entreprises qui investissent justement dans les nouvelles technologies afin d’être plus efficaces. «Ce sont des entreprises qui revoient leur processus de production afin de réduire leur consommation d’énergie», dit l’économiste.
L’étude note même que ces entreprises augmentent généralement leurs exportations en raison de leurs gains d’efficacité, leur permettant d’être plus compétitives face à la concurrence étrangère.
Sans surprise, les perdants sont les industries très polluantes (la fabrication de produits pétrochimiques, la sidérurgie, etc.) et les entreprises les moins productives.
Dans le cas de ces industries, l’emploi, leurs exportations et leurs investissements sont affectés négativement par les politiques environnementales, selon l’OCDE.
Même si l’impact de ces politiques a peu d’effet sur l’ensemble de l’économie, Antoine Dechezleprêtre estime que les gouvernements pourraient en réduire davantage les impacts en misant sur des politiques fondées sur le marché.
Les taxes sur le carbone en sont un bel exemple, selon lui.
«Contrairement aux normes ou aux standards, les politiques fondées sur le marché envoient un signal de prix aux entreprises, et les incitent à investir», souligne l’économiste.
En France, la taxe sur la carbone n’a pas eu d’impact négatif sur l’emploi entre 2013 et 2018. (Image: OCDE)
De plus, ces politiques procurent de nouveaux revenus aux gouvernements, dont ils peuvent se servir pour aider les industries polluantes à réaliser leur transition énergétique.
Selon l’étude de l’OCDE, une autre manière de réduire l’impact des politiques environnementales est de les «combiner» avec d’autres politiques, et ce, du commerce à l’éducation en passant par la fiscalité.
Par exemple, au chapitre de l’éducation, les gouvernements doivent aider davantage les travailleurs oeuvrant dans les industries polluantes à se recycler afin d’occuper les nouveaux postes dans les secteurs en croissance tels que la production d’énergie verte et les technologies propres.
Les risques futurs
Même si l’étude de l’OCDE note «peu d’effet global» des politiques environnementales sur l’ensemble des entreprises depuis 10 ans, le passé n’est pas nécessairement garant de l’avenir, fait remarquer l’organisation.
Par exemple, si les gouvernements doivent accélérer la cadence pour décarboner l’économie afin de limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 degrés Celsius par rapport au début de l’ère industrielle, l’impact économique pourrait se faire sentir plus fortement, admet l’OCDE.
«Si des changements radicaux étaient nécessaires, les conclusions tirées des études pourraient ne pas être généralement valables, en particulier dans un monde où les pays mettent en œuvre les politiques de changement climatique à un rythme différent.»
Aux yeux d’Antoine Dechezleprêtre, le nerf de la guerre dans les prochaines décennies sera donc la «convergence» des politiques environnementales dans le monde.
D’une part, pour en maximiser leurs impacts planétaires. D’autre part, pour éviter que des entreprises dans certains pays soient pénalisées vis-à-vis leurs concurrentes à l’étranger si leurs gouvernements sont très proactifs.
L’économiste de l’OCDE se dit toutefois optimiste. «J’ai l’impression qu’on se dirige vers une convergence», confie-t-il, en donnant l’exemple des pays G20 qui collaborent de plus en plus sur ces enjeux, même si beaucoup reste à faire.
Le G20 compte entre autres les États-Unis, le Canada, la Chine, le Japon, l’Allemagne, l’Afrique du Sud et le Brésil. Les membres de ce regroupement pèsent pour près de 80% du PIB mondial.
Une convergence à terme de leurs politiques environnementales aurait nécessairement un impact structurant sur la lutte aux changements climatiques, tout en atténuant les impacts négatifs sur les entreprises.