La filière batterie, un casse-tête digne de «Tetris»
Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑septembre 2022Jean-François Béland, vice-président de Ressources Québec de Investissement Québec (Photo: courtoisie)
ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS. Antidote définit le mot «filière» comme étant «une suite de formalités à remplir, d’étapes à franchir avant d’arriver à un résultat». Quand on sait que la production de batteries de véhicules électriques en sol québécois nécessite l’établissement d’une chaîne d’approvisionnement local, qui s’étend de l’extraction et de la transformation des minerais à la production d’anodes, de cathodes, puis de cellules, jusqu’à l’assemblage du bloc de batterie final, on se dit que cette filière-là est loin d’être une «formalité»!
«Nous sommes en train de faire une sorte de Tetris industriel», résume Jean-François Béland, vice-président de Ressources Québec de Investissement Québec, qui, pour illustrer la complexité du dossier, compare la fabrication de batteries et le célèbre jeu vidéo de puzzle. «Pour produire une batterie, il faut du lithium et du nickel de qualité supérieure, indique-t-il. Pour obtenir le premier, il faut une usine de conversion en hydroxyde de lithium. Pour le second, il faut une usine de sulfate de nickel». Par la suite, ces matières entrent dans la fabrication des anodes et des cathodes qui, elles, forment une cellule.
«Notre volonté est claire, poursuit Jean-François Béland. Nous voulons transformer le minerai au Québec, puis nous rendre jusqu’à la production de cellule. Ça tombe bien: 70% de la valeur d’une cellule se situe dans la cathode. Et nous en produirons dans la province.»
Les annonces des derniers mois portent à croire que ce rêve est possible. En mars, le géant allemand BASF a confirmé son intention de bâtir une usine de matériaux de pièces de batteries dans le parc industriel de Bécancour. Le même mois, un partenariat entre Posco et General Motors (GM) a signifié son intention de construire sa propre usine de production de matériaux actifs de cathode, aussi à Bécancour. En amont, les minières québécoises Nouveau Monde Graphite, Sayona Québec et Nemaska Lithium mènent des projets pour extraire et transformer les minerais clés.
La création d’une zone d’innovation dédiée à la filière batteries est une autre pièce du puzzle. L’année dernière, Shawinigan, Bécancour et Trois-Rivières avaient chacune déposé un projet de Zone d’innovation, sans obtenir la désignation convoitée. «Comme les trois dossiers avaient énormément de complémentarité», il a été souhaité par le cabinet du ministre que les trois municipalités unissent leur effort dans le dépôt d’un projet commun, explique Alain Lemieux, récemment nommé directeur général de la Vallée de la transition énergétique (VTE). «Nous nous attendons à obtenir la désignation de Zone d’innovation à l’automne, après les élections», poursuit-il. Le MEI n’a pas voulu confirmer ces propos, se limitant à dire qu’un «processus d’analyse et d’accompagnement rigoureux» suit son cours.
Sur le papier, la candidature «tripartite» a des atouts indéniables. Alain Lemieux vante l’attrait du parc industrialo-portuaire de Bécancour, qui donne accès au marché américain, du pôle du savoir à Trois-Rivières et du savoir-faire industriel lié aux batteries à Shawinigan. «Nous allons créer un écosystème qui fait une place à la créativité, en développant un incubateur et des bancs d’essai, dit-il. De jeunes pousses pourront y mener leurs projets de recherche et approfondir certaines questions. Nous pourrons les aider à créer de la valeur tangible pour le Québec.»
Une batterie verte, «c’est fondamental»
En évoquant la stratégie québécoise, Jean-François Béland revient sur un élément qu’il qualifie de «fondamental»: notre capacité à fabriquer une batterie «verte» ici même au Québec. «Une batterie verte, c’est une batterie dont on peut établir la traçabilité, explique-t-il. Son lithium a été produit dans une usine respectant les critères ESG [ndlr : environnementaux, sociaux et de gouvernance], et dont l’ensemble des composantes sera réintégré dans la chaîne d’approvisionnement.»
Pierre-Luc Marcil, directeur général du Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ), confirme que chercheurs et industriels se penchent déjà sur les différentes façons de récupérer les batteries désuètes de véhicules électriques. «Broyer une masse noire de batteries et en extraire les composantes est plus compliqué qu’il n’y paraît, prévient-il. Il faut d’abord neutraliser l’énergie qui s’en dégage.»
L’IREQ a développé des procédés novateurs pour le recyclage du lithium-fer-phosphate, ajoute-t-il, tout en saluant également le travail de l’entreprise Recyclage Lithion, établie à Anjou, qui a mis au point un procédé pour recycler 95% des batteries au lithium-ion. Une autre pièce du casse-tête qui se met en place.