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10 questions à Virginie Courtin, directrice générale de Clarins

Denis Lalonde|Mis à jour le 09 juillet 2024

10 questions à Virginie Courtin, directrice générale de Clarins

La directrice générale de la société de soins corporels et de cosmétiques Clarins, Virginie Courtin, était de passage au Québec en avril dernier pour visiter l’équipe lavalloise de l’entreprise. (Photo: courtoisie)

La directrice générale de la société de soins corporels et de cosmétiques Clarins, Virginie Courtin, était de passage au Québec en avril dernier pour visiter l’équipe lavalloise de l’entreprise. Les Affaires a pu s’entretenir avec elle de l’avenir de l’entreprise familiale, qui célébrera sous peu son 70e anniversaire.

Est-ce qu’il y a une raison particulière à votre visite au Canada?

Non, c’est vraiment pour visiter l’équipe parce qu’en fait, on a 28 filiales dans le monde. Donc, pour moi, c’est très important de pouvoir aller voir les équipes, voir les filiales, voir les infrastructures. En plus, ici (à Laval), c’est quand même une assez grosse filiale parce qu’on a un entrepôt, mais aussi un spa.

C’est très important pour moi de connaître tout le monde. Et surtout, Clarins, on est une marque française, mais la France, finalement, ça ne représente que 5% de notre chiffre d’affaires.

C’est très important de pouvoir aller sur place, de connaître les habitudes parce que je ne pense pas que c’est en restant à Paris qu’on peut comprendre les besoins de toutes les clientes partout dans le monde.

Du coup, pour moi, c’est très important parce que le Canada est une filiale importante pour nous. Donc, c’est la première fois que je viens, mais ce n’est pas la dernière.

Sur votre site Internet, on lit que 93% de votre production est effectuée en France. Est-ce qu’une petite partie est conçue au Canada?

Non. En fait, on ne produit rien ici. À Laval, nous possédons un entrepôt logistique. On reçoit la marchandise et on la renvoie soit à la cliente directement grâce au commerce électronique, soit aux détaillants partenaires. Les 93%, d’ailleurs, je pense que c’est plus devenu 95%. Les 5% qui restent, c’est le maquillage qui est principalement produit en Italie. Sur des savoir-faire très particuliers, par exemple, dans le pressage des poudres, qui demandent des lignes de production assez complexes.

Du coup, nous faisons comme la majorité de nos concurrents, qui sous-traitent aussi les poudres en Italie.

Votre famille a récemment effectué un investissement dans l’hôtellerie (130 millions d’euros dans le groupe Evok Collection). Est-ce que vous avez l’ambition justement de développer votre propre ligne d’hôtels et de spas équipés de vos lignes de produits de soins corporels?

Alors, c’est vrai que l’hôtellerie est vraiment une adjacence qu’on a toujours regardée, parce que c’est très intéressant. On vient de l’univers du spa. Clarins est née dans un institut à Paris, donc on a vraiment ce savoir-faire du spa qui est important. On travaille avec des hôteliers depuis 70 ans, et on est très sensibles à l’expérience hôtelière que peuvent avoir les clients.

Dans certains hôtels avec lesquels on travaille, il y a le spa, mais aussi, on explore le volet de la nutrition. On développe un protocole ou des menus et des recettes qu’on peut trouver dans différents restaurants. On essaye d’avoir une vision un peu holistique de la beauté.

Donc évidemment, pour nous c’est assez naturel de s’être tourné vers l’hôtellerie. Pour l’instant on est rentré avec un partenaire où on n’est pas majoritaire. C’est un investissement pour l’instant, où on est minoritaire. Ce n’est pas encore notre expertise. On verra dans le futur si ça devient quelque chose qu’on développe et sur lequel on devient majoritaire.

Il y a vos produits Clarins, mais il y a aussi MyBlend, votre marque un peu plus haut de gamme et personnalisée dans les soins du visage. Quelle est la vision que vous avez pour ces deux marques?

Il y a vos produits Clarins, mais il y a aussi MyBlend, votre marque un peu plus haut de gamme et personnalisée dans les soins du visage. Quelle est la vision que vous avez pour ces deux marques?

Les deux marques, elles sont très intéressantes parce qu’en fait, elles sont complémentaires. C’est-à-dire que chez Clarins, on a vraiment la «culture de la main», de se dire qu’en fait, rien ne peut remplacer le pouvoir de la main, qu’en fait en fonction de la pression qu’on met avec des gestes, on arrive vraiment à personnaliser un soin et on croit beaucoup à ça.

Tous nos soins sont faits avec une formation très importante. On est une des entreprises qui passe le plus de temps à former toutes nos esthéticiennes pour qu’elles aient le geste parfait, qu’elles aient la pression parfaite et qu’elles puissent s’adapter au visage de chacune.

Après, la marque MyBlend est très différente parce qu’elle vient un peu de l’univers de la synergie avec des technologies. Par exemple, pour un soin MyBlend, on utilise des machines en fonction du besoin de la cliente. On a de la DEL (diode électroluminescente), on a de la radiofréquence, il y a pas mal de choses différentes.

Mais on utilise aussi la main parce qu’on croit toujours que c’est très important.

Pour les ingrédients des produits MyBlend, on fait la part belle aux peptides, qui sont un type d’ingrédients très spécifiques. On a aussi des compléments alimentaires. Donc c’est vraiment une synergie des trois axes, très différente de chez Clarins.

Chez Clarins, on met plus en avant la naturalité, soit le recours aux plantes et aux pouvoirs des plantes dans nos formules.

On travaille typiquement avec des spas d’hôtels qui vont être heureux de pouvoir proposer à leurs clientes les deux marques. Parce que parfois, il y a des clientes qui ont vraiment envie d’avoir la machine pour des effets ou des besoins très spécifiques.

D’autres clientes qui aiment vraiment la nature, la main, le toucher, opteront pour la gamme Clarins. Donc ces deux marques se répondent, je dirais, très bien.

Vous êtes directrice générale de Clarins depuis un peu plus de deux ans. Quel bilan faites-vous de ces deux dernières années?

Le but pour moi en tant que troisième génération à la direction de l’entreprise familiale, c’est vraiment de faire grandir Clarins, de continuer d’être sur une trajectoire de croissance importante, de pouvoir développer aussi des projets qui me tiennent vraiment à cœur, notamment du côté du développement responsable.

Donc je dirais que sur les deux années, tous les investissements qu’on a faits et tous les paris qu’on a faits ont été des succès.

Typiquement, je vous parlais des cosmétiques. On a vraiment décidé il y a deux ans d’accélérer sur le maquillage parce qu’on s’est dit on est très fort en soins. Vous voyez par exemple, on est numéro un en soins prestiges sur le marché canadien.

On ne peut pas continuer à ne pas avoir de maquillage, alors que nos produits sont tellement efficaces. Ça représentait moins de 10% de notre chiffre d’affaires dans le monde.

On avait envie d’avoir vraiment un deuxième pilier de croissance. On a donc investi sur le maquillage. Et l’année dernière, on a enregistré une croissance de 40% de ce côté. On a aussi pris des engagements pour la planète, avec des emballages recyclables.

Et vous avez l’ambition de devenir autant des agriculteurs qu’une entreprise de cosmétiques?

Je me permets d’en parler parce que je suis très contente. On accorde une part très importante à l’approvisionnement responsable et 80% de nos formules sont faites à base de plantes.

On a une charte d’approvisionnement responsable qui est très exigeante. On travaille depuis toujours avec nos partenaires pour avoir les standards de récolte des plantes les plus hauts, les plus exigeants pour tous nos fournisseurs.

C’est vrai qu’en 2016, on a acheté un terrain dans les Alpes françaises, le Domaine Clarins, où on a décidé de cultiver des plantes avec un double objectif. Un, de faire de la recherche et développement, donc de trouver des nouvelles innovations avec les plantes. Et deux, de pouvoir inclure certains ingrédients qu’on fait pousser nous-mêmes dans nos produits.

C’était encore un petit domaine, on a six plantes qui sont déjà dans des produits, comme des démaquillants ou des produits pour hommes aussi. On a aussi une trentaine de plantes en culture qui sont en recherche et développement.

On pratique là-bas l’agriculture régénérative. C’est-à-dire qu’en fait, on rend la terre meilleure que quand on est arrivé. Donc il y a des contraintes très importantes, mais qui rendent la terre meilleure et les ingrédients encore meilleurs.

Du coup, on a décidé de monter d’échelle sur cet approvisionnement responsable. On vient d’acquérir un second domaine, toujours en France, qui va être 50 fois plus grand que le premier.

Du coup, à terme, on va pouvoir produire un tiers de nos plantes dans nos domaines. On devient nous-mêmes agriculteurs, ce qui est pour nous un nouveau métier. On est d’ailleurs la première marque de cosmétiques à faire ça à cette échelle et à vraiment maîtriser la verticalité de notre approvisionnement. À vraiment pouvoir faire la traçabilité des plantes qu’on met dans nos produits, du champ jusqu’à la peau.

Je trouve que ça répond très bien à tous les engagements qu’on prend et surtout à l’esprit pionnier qu’on a chez Clarins puisqu’on a toujours voulu faire les choses différemment.

Clarins fête son 70e anniversaire, où voyez-vous la société dans cinq à dix ans?

Clarins fête son 70e anniversaire, où voyez-vous la société dans cinq à dix ans?

Normalement, on passera l’année prochaine le cap des 2 milliards d’euros (environ 2,94 milliards de dollars canadiens [G$]) de chiffre d’affaires.

Si on parle un peu de chiffres, pour le maquillage, on est à presque 200 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel (294 millions de dollars (M$)). On a envie dans les cinq prochaines années d’atteindre les 500 millions d’euros (735M$) dans ce secteur spécifiquement.

Après, j’ai envie de vous dire que tout est possible (sky is the limit). L’important est de rester sur une dynamique de croissance et surtout de se dire qu’on est leader en Europe notamment, ou on est premier en soins à peu près dans tous les pays.

En Asie, nous sommes encore challenger, notamment en Chine, qui est notre premier marché.

On a aussi décidé d’investir pas mal aux États-Unis, parce que c’est un marché qui est très volatil. On pourrait aussi aller chercher 300 millions d’euros de chiffre d’affaires aux États-Unis en combinant les soins et le maquillage.

Dans 10 ans, on aura peut-être développé de nouvelles sources de croissance interne ou exploré de nouveaux marchés. Dans la beauté, il y a encore des aspects qu’on ne touche pas, que ce soit par exemple les soins des cheveux ou les fragrances.

Donc, il y a pas mal d’adjacences. On ira ou on n’ira pas, mais en tout cas, le but est de continuer à grandir et à être dans une dynamique de forte croissance.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur vos activités de recherche et développement?

On a un laboratoire où on a 150 chercheurs. Donc évidemment, ils testent des milliers de choses toute la journée.

Au labo, on fait vraiment ce qu’on appelle aussi de l’innovation permanente. C’est-à-dire que par exemple, sur un produit qui va exister depuis très longtemps, si on arrive à trouver un ingrédient naturel pour remplacer un ingrédient de synthèse, si on arrive à trouver une nouvelle plante, un nouveau principe actif, on va garder le même produit, mais en améliorer la formule.

En plus de votre nouveau domaine dans le Sud de la France, vous avez aussi annoncé la construction d’une seconde usine de 150 millions d’euros. Quel est le plan pour cette nouvelle installation?

L’année 2024 est une année très importante pour nous parce qu’on a un gros lancement qui va arriver en août dont je ne peux pas encore parler.

On ouvre une nouvelle usine aussi en 2024 en France. Notre première usine est à Pontoise depuis 40 ans, mais nous arrivons au maximum de sa capacité.

Nous ouvrirons donc une seconde usine à Troyes en fin d’année. C’est vrai que c’est une année avec les 70 ans qui est très riche en nouveautés. La nouvelle installation nous permettra de fabriquer jusqu’à 100 millions d’unités de produits par année.

Si vous êtes en croissance pour Clarins, est-ce que vous pourriez vouloir aller un petit peu plus vite en ouvrant le capital de l’entreprise?

Alors, vraiment, la réponse est très claire. Elle a toujours été la même. Le capital n’est ouvert à personne. C’est une entreprise familiale depuis toujours.

Depuis 70 ans, on a toujours eu beaucoup de propositions et on n’a jamais voulu, et c’était très important pour mon grand-père qu’on reste une entreprise privée, familiale.

On a été en Bourse de 1986 à 2008, parce qu’à l’époque, la Bourse aidait vraiment l’économie réelle à pouvoir aller chercher des capitaux.

Ça nous avait permis à l’époque de pouvoir développer les parfums Mugler et en fait, vers 2008, on se rendait compte que finalement, on passait plus de temps à faire des rapports financiers et qu’on avait perdu la liberté de pouvoir investir pour le futur.

Quand on est une vraie entreprise familiale, sans connaître exactement le chiffre d’affaires que je veux faire dans dix ans, je pense à ce que sera Clarins dans 20 ou 30 ans. Quand on a des investisseurs extérieurs, on ne peut pas penser comme ça, on peut aller à cinq ans maximum.

On doit penser à des objectifs de rendement à court terme. Le fait d’être une entreprise 100% familiale nous permet de faire des investissements à long terme qui n’ont pas forcément un rendement sur le capital investi très important sur le moment.

Par exemple, en 2020, on a investi plusieurs millions d’euros pour pouvoir refaire nos moules à l’usine, pour rendre nos emballages recyclables. C’est un investissement qu’on n’aurait pas pu faire si on avait eu des investisseurs extérieurs, parce que ça coûtait juste beaucoup d’argent et ça ne rapportait pas de bénéfices. On a quand même investi en se disant qu’on croyait que l’avenir était aux emballages recyclables.

C’est une conviction qui est très forte et qui est portée par toute la famille.