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Le potentiel éolien des Îles-de-la-Madeleine

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑septembre 2020

Le potentiel éolien des Îles-de-la-Madeleine

(Photo: 123RF)

ÉNERGIE. Fin octobre – si la pandémie n’interrompt pas à nouveau les travaux –, le Parc éolien de la Dune-du-Nord sera en mesure d’activer deux éoliennes blanches et filiformes dans un paysage sablonneux verdi par du corème de Conrad. Deux turbines qui produiront une puissance combinée de 6,4 mégawatts (MW), soit une contribution de près de 15 % des besoins énergétiques du réseau autonome des Îles-de-la-Madeleine. Encore aujourd’hui, celui-ci repose principalement sur une centrale thermique au mazout située sur l’île du Cap aux Meules. 

Si on exclut un projet expérimental d’éolienne verticale installée par Hydro-Québec en 1977, c’est la première fois que les Madelinots pourront compter sur une énergie éolienne produite localement. 

Une situation incongrue, considérant le profil « venteux » des Îles. Lorsqu’on regarde une carte des vents, on voit des zones de vents de classe 7 (le plus haut échelon de la classification de Battelle) d’un bout à l’autre de l’archipel. Le vent fait non seulement partie du quotidien de la région, il s’intègre aux chansons – La valse des vents de Didier Turbide –, à la toponymie – la Butte du Vent – et aux sports pratiqués — la planche à voile et la planche aérotractée (kitesurf). 

L’absence d’exploitation éolienne est d’autant plus frappante que, lorsqu’on y arrive par bateau, en provenance de l’Île-du-Prince-Edouard, on traverse la province maritime qui figure parmi les pionnières de l’éolien au Canada, avec huit parcs éoliens d’une puissance totale de 204 MW. 

La valse-hésitation d’Hydro-Québec

 

La « pétrodépendance » des Îles-de-la-Madeleine est un souci de longue date, partagé aussi bien par sa population que par Hydro-Québec. Dans les années 1980, la société d’État a exploré une première fois l’idée de raccorder l’archipel à son réseau principal avec un câble sous-marin, sans aller de l’avant. 

L’éolien a aussi fait partie des scénarios. En 2004, un rapport interne de la société d’État recommandait d’installer un système jumelé éolien-diesel de 18 turbines générant 29,7 MW de puissance, capables de répondre à 80 % de la demande énergétique d’alors. Il demeure également sans suite. 

C’est que, bien qu’efficace en théorie, l’éolien comporte plusieurs défis en contexte madelinot. L’archipel est extrêmement exigu ; une superficie de 205,5 km², comparativement aux 5 660 km² de l’île du Prince-Edouard. « Aux Îles, le potentiel de vent est excellent partout, reconnaît Marianne Papillon, présidente de l’Association madelinienne pour la sécurité énergétique et environnementale. Toutefois, lorsqu’on cherche un site qui n’est pas un habitat protégé, qui n’est pas proche de l’aéroport ou d’une zone résidentielle, le choix est beaucoup plus limité. » 

Ensuite, intégrer une énergie « intermittente » à un réseau alimenté par une centrale thermique pose un défi technique. « Les moteurs de la centrale ont un délai de démarrage plus grand que ce qu’on peut connaître avec une centrale hydro-électrique », explique Geneviève Cloutier, conseillère en relations avec le milieu chez Hydro-Québec. Il y a donc un équilibre à trouver entre la production et la consommation. 

Au fil des ans, la société d’État a poursuivi une valse-hésitation qui, de consultations en projets avortés, a eu pour conséquence immédiate de retarder la transition énergétique de l’archipel. Après avoir fait miroiter un projet éolien d’envergure, elle a lancé un appel de projets de 6,4 MW — menant à l’actuel parc éolien de 8,2 MW. Ensuite, elle a annoncé qu’elle compléterait la transition énergétique vers des énergies renouvelables en raccordant les Îles à son réseau principal avec un câble sous-marin.  

Or, cet été, Hydro-Québec a annoncé qu’elle remettait ce projet à l’étude, en raison de coûts plus élevés qu’anticipés. Résultat : les Madelinots se retrouvent à la case de départ, toujours dépendant du mazout. La municipalité des Îles-de-la-Madeleine tient une consultation le 9 septembre dans le but de définir une stratégie énergétique pour 2020-2023. Hydro-Québec doit aussi consulter le milieu madelinot en octobre et en novembre avant de déterminer un scénario final de transition énergétique, confirme Geneviève Cloutier. 

De nouveau à la table à dessin

Dans un complément de preuve fourni à la Régie de l’énergie le 3 septembre, Hydro-Québec annonce que, cette fois-ci, tous les scénarios énergétiques sont sur la table. Avant d’arrêter son choix, la société d’État devra donc comparer les coûts et bénéfices du raccordement sous-marin avec cinq scénarios alternatifs : la production éolienne avec stockage, la production solaire avec stockage, la conversion de la centrale thermique existante au gaz naturel, la production thermique à la biomasse forestière et l’utilisation d’un combustible carboneutre. 

Le maire des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre, salue cette décision. « Nous, depuis le début, on demande à Hydro-Québec de regarder d’autres alternatives plus structurantes que de simplement passer un câble sous-marin. On privilégie un bouquet énergétique composé d’énergies éolienne et solaire, du stockage, des biocarburants et de la biomasse. » 

Jonathan Lapierre y voit une manière de diversifier l’économie de l’archipel, qui repose sur la pêche et le tourisme. « En s’affranchissant du pétrole et en devenant autonome sur le plan énergétique, on devient un modèle pour le Québec, pour le Canada et pour le monde. On peut développer du savoir et des connaissances, on peut structurer notre milieu avec du développement économique. » 

Pour ce qui est du potentiel éolien, le maire des Îles n’envisage pas un parc éolien à grande puissance, principalement en raison du territoire exigu et de la faible densité de population. « Est-ce qu’on est capable d’ajouter deux à quatre éoliennes ? Peut-être. Est-ce qu’on peut avoir un parc éolien de 25 à 30 MW ? Assurément. Mais c’est avec un bouquet d’énergies renouvelables que l’on va pouvoir réaliser notre vision », affirme-t-il. 

Parmi les scénarios à l’étude, notons qu’Hydro-Québec évoque pour une première fois la possibilité de bâtir des éoliennes offshores. La société d’État fera en effet une « évaluation préliminaire des impacts techniques et économiques d’un scénario d’installation d’éoliennes en mer ». Elle détaillera également les modifications à apporter à la centrale thermique afin de concrétiser un scénario de jumelage éolien-diesel. 

Cette annonce indique que l’avenir énergétique des Îles-de-la-Madeleine demeure indéterminé à bien des égards. Et que l’éolien… n’a pas dit son dernier mot !