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ENTREPRENEURIAT: L’APPORT DES TPE. C’est l’histoire d’une région qui a appris à travailler de manière collective. En Mauricie, beaucoup d’entreprises sont nées pour répondre aux besoins des grands donneurs d’ordre locaux, comme les papetières ou les alumineries. Toutefois, l’«ancienne mentalité, c’était de ne pas se parler, car on était tous des adversaires», témoigne Joaquim Blanchette, directeur général de l’entreprise familiale Hydrexel, spécialisée dans la fabrication d’équipements industriels sur mesure.
Un modèle qui semblait être à bout de souffle. «Une quinzaine d’indicateurs socioéconomiques classaient la Mauricie dans les derniers rangs du Québec», raconte Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME), après avoir compilé différentes statistiques. Pourtant, la région ne manque pas d’atouts : située à mi-chemin entre Québec et Montréal, elle dispose d’universités, de centres de recherche, d’un port en eau profonde… «Il fallait développer la composante orgware, c’est-à-dire avoir une vision régionale intégrée», poursuit M. Laurin.
Selon le chercheur, le développement régional repose en effet sur des politiques de type hardware, qui touchent les infrastructures de transport, les communications et l’éducation, ainsi que sur le type software, qui concerne entre autres la compétitivité, la formation et l’accès au capital. La croissance repose aussi sur le type orgware, une notion qui implique notamment l’existence de réseaux forts ou de logiques de coopération, d’entraide et de partage d’expériences ainsi que d’informations entre les différents acteurs d’une même région.
Mutualisation des projets
Ainsi est né, en 2015, sous l’impulsion d’une quinzaine d’entrepreneurs locaux, GROUPÉ Mauricie + Rive-Sud. Ce regroupement de gens d’affaires locaux souhaitait favoriser les liens et les maillages. «On compte aujourd’hui plus de 150 dirigeants membres, dont les entreprises sont parmi les plus influentes et dynamiques de la région», affirme Alexandre Ollive, le directeur général du regroupement. À l’image du tissu économique local, 80 % des entreprises membres comptent moins de 20 salariés.
Organisé en sept tables sectorielles – technologies vertes, transformation alimentaire, transport et logistique, tourisme, arts et cultures, technologies de l’information, design d’ameublement et services industriels -, GROUPÉ réunit chacune d’entre elles de trois à cinq fois par année pour des activités de réseautage, mais aussi de développement de projets. Cela peut aller de formations mutualisées à l’organisation d’un colloque sur la main-d’oeuvre, en passant par la création d’une marque sectorielle destinée à se positionner à l’international (Force TI) ou encore la participation à des foires commerciales.
«Tout part des besoins des entreprises. Nous, on les centralise et on s’occupe de la mise en oeuvre. Ce ne doit jamais être l’inverse», explique M. Ollive, à la tête d’une équipe de huit personnes.
Six entreprises mauriciennes en transport se sont justement rendues au Texas, en octobre, pour tenir un kiosque commun à la foire Breakbulk Americas sous la bannière «Saint-Lawrence Gateway».
De telles actions permettent inévitablement une réduction des coûts. Annuellement, chaque entreprise verse à GROUPÉ une cotisation minimale de 550 $ ainsi qu’une part du financement de chaque projet mené en commun. «Depuis le début, plus de 1 million de dollars a été investi au total dans ce type de projets», calcule M. Ollive.
S’agit-il d’une nouvelle forme de concurrence aux chambres de commerce ? «Je dirais plutôt qu’on est complémentaires, nuance-t-il. Nous fonctionnons par secteurs, donc nous visons volontairement moins large qu’elles.»
Partenaires soudains
«Sans GROUPÉ, c’est sûr que je ne serais pas arrivé là où je suis présentement», assure M. Blanchette, d’Hydrexel. L’entreprise d’une trentaine d’employés, située à Bécancourt, s’est par exemple fait prêter des soudeurs pendant deux mois par la trifluvienne Fab3R lors d’un pic d’activité. «On s’est rencontré chez GROUPÉ et on a bâti une relation de confiance, donc on savait qu’on ne se les volerait pas», précise M. Blanchette.
Dans le cadre de la démarche Action concertée de coopération régionale de développement (ACCORD), Hydrexel s’est également associée à trois entreprises de même taille : Métaux DT, Hyco et AGT. Ensemble, elles ont pu embaucher une firme de ressources humaines qui dépêche un employé une journée par semaine dans chacune des sociétés.
Hydrexel a aussi pu aller chercher de nouveaux contrats, que ce soit avec la firme d’ingénierie Johnston-Vermette ou l’entreprise d’automatisation Neksys-Excelpro, toutes deux de Trois-Rivières. «C’est la force du réseau. Quand tu es petit, des occasions sont parfois trop grosses pour les prendre seul, donc, au lieu de les laisser passer, il faut travailler à plusieurs», indique M. Blanchette.
«On voit aussi des entreprises qui font des politiques d’approvisionnement local, ce qui n’existait pas il y a cinq ans», se félicite M. Ollive, fier de ce changement de mentalité.
Même l’adversité initiale n’est plus considérée comme un problème. «C’est sûr qu’il y a de la concurrence entre les entreprises d’un même secteur que l’on rassemble pour la main-d’oeuvre, le financement, les contrats… Mais il faut briser les barrières de pensée : elles peuvent être concurrentes sur un projet A, mais partenaires sur un projet B», fait valoir le directeur général.
Le modèle de GROUPÉ, unique en son genre, est scruté de près dans d’autres régions de la province. «Cela semble donner des résultats prometteurs et pourrait éventuellement s’étendre au reste du Québec», affirme Stéphane Pronovost, chef de la recherche à la Direction de l’intelligence économique de Développement économique Canada.
L’exemple de GROUPÉ Mauricie + Rive-Sud illustre plus largement l’importance du maillage pour les petites entreprises qui, par définition, manquent de ressources, qu’elles soient humaines, financières ou techniques. «On sait depuis longtemps que le succès d’une PME tient dans sa capacité à aller chercher dans son réseau les compétences, les informations, les expertises, les encouragements, voire le financement dont elle a besoin», soutient le professeur Laurin. «Elle n’a pas le choix, si elle veut survivre, de s’inscrire dans un réseau de collaboration, ajoute M. Ollive. C’est un facteur clé d’accélération économique.»