Pour croître, les TPE suivent un parcours parsemé d’obstacles
Kévin Deniau|Édition de la mi‑octobre 2019(Photo: 123RF)
ENTREPRENEURIAT: L’APPORT DES TPE. Même si elles n’ont pas toutes la vocation de croître, seulement six entreprises sur dix qui comptent de un à quatre employés ont connu une croissance positive entre 2012 et 2014, d’après l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Alors que pour l’ensemble des PME canadiennes comptant entre 1 et 499 employés, cette donnée dépasse plutôt les 70 %.
Qu’est-ce qui explique cette disparité ? Les statistiques de l’ISQ semblent faire émerger une corrélation positive entre croissance économique et jeunesse de l’entreprise, et le fait que celle-ci s’insère dans les industries des services professionnels, scientifiques et techniques, ainsi que sa capacité d’innovation et d’exportation.
«La littérature montre que l’âge, la scolarité et l’ambition du dirigeant sont des déterminants clés de la croissance d’une entreprise», précise Stéphane Pronovost, chef de la recherche à la Direction de l’intelligence économique de Développement économique Canada.
«La plus grande barrière au développement des très petites entreprises (TPE), c’est la perception du risque et de l’incertitude», indique pour sa part Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME). «Souvent, les chefs d’entreprise vont psychologiquement surestimer les risques et sous-estimer leurs capacités. Comme ils sont très occupés, ils ne vont pas prendre le temps de développer des manières de contourner ces barrières.»
D’après un sondage de la Banque CIBC dont les résultats ont été publiés fin septembre, 39 % des propriétaires canadiens de PME prendront en effet moins d’une semaine de vacances cette année, et 65 % d’entre eux déclarent travailler plus d’heures depuis qu’ils se sont lancés en affaires. D’ailleurs, selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), plus de 40 % des entrepreneurs de 25 à 64 ans travaillent 50 heures ou plus par semaine, comparativement à 6 % des employés de ce groupe d’âge.
«On parle souvent d’hommes-orchestres ou de femmes-orchestres. Il faut tout faire et tout apprendre», relate Simon Gaudreault, directeur principal de la recherche nationale à la FCEI. M. Pronovost préfère l’image de la pieuvre : «Dans une petite entreprise, les opérations sont tentaculaires et prennent beaucoup de place, au détriment de la réflexion stratégique. Le défi, c’est d’aller chercher des services de l’écosystème et du réseau.» Que ce soit auprès des chambres de commerce, des associations sectorielles, des organismes d’aide au développement… ou encore de l’École des entrepreneurs du Québec.
«Notre mission est d’aider les entrepreneurs à éveiller leurs compétences, explique Juliana Zerda, coordonnatrice de projets internationaux à l’École des entrepreneurs du Québec. Ces derniers sont souvent isolés et ont besoin de développer des compétences autres que celles de leur métier de base, notamment en gestion. La pérennisation d’une petite entreprise passe par ce renforcement personnel.»
Petites entreprises, grands enjeux
Difficulté supplémentaire pour la petite entreprise : la méfiance à l’égard de sa fiabilité et sa viabilité. «Du point de vue d’une grande entreprise, la TPE est vue comme un risque. Autant par rapport à sa survie à moyen terme qu’à sa capacité à hausser sa production», confirme M. Pronovost.
Autre enjeu majeur : la pénurie de main-d’oeuvre. Selon la FCEI, le taux de postes vacants dans les microentreprises a atteint 5,4 % en 2019, un sommet historique. C’est plus du double de celui des entreprises de plus de 100 employés au pays. «C’est le premier de nos combats politiques présentement, devant la numérisation et les changements technologiques», indique Stéphane Forget, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ). «Les grandes entreprises ont plus de marges à l’interne pour pourvoir des postes vacants, et plus de ressources pour recruter», soulève M. Gaudreault. Il estime que les entreprises de moins de cinq salariés au Canada dépensent chaque année 6744 $ par employé pour se conformer à la réglementation, contre 1253 $ pour les entreprises d’au moins 100 employés.
N’oublions pas l’obstacle du financement. Entre 2012 et 2015, 41 % des microentreprises ont fait des demandes de financement bancaire et ont essuyé 22,3 % de refus, selon un sondage de la FCEI globalement corroboré par les données de l’ISQ. Dans le cas des entreprises de 50 à 499 employés, ces taux sont respectivement de 69 % et de 3,7 %.
«Le projet doit être clair – que ce soit le montant, la destination et les retombées économiques du financement – et comporter des prévisions réalistes qui assument de potentiels aléas. On donnera plus de crédibilité à un entrepreneur qui se prévoit une marge de manoeuvre», fait valoir Julien Canieau, directeur du Centre de l’entrepreneurship de la Banque de développement du Canada (BDC), à Laval. Cette dernière a d’ailleurs mis en place une procédure simplifiée en ligne pour les petites entreprises, qui permet d’obtenir un prêt allant jusqu’à 100 000 $ en seulement quelques jours.
Une mesure sans aucun doute bienvenue. Autre signe encourageant : entre 2012 et 2014, près de une microentreprise québécoise sur vingt (4,8 %) a tout de même réussi à enregistrer une croissance supérieure à 20 %.