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Isabelle Hudon: la BDC avec un grand «D»

Catherine Charron|Édition de la mi‑mars 2024

Isabelle Hudon: la BDC avec un grand «D»

Isabelle Hudon (Photo: Martin Flamand)

Le tête-à-tête. Arrivée à la tête de la Banque de développement du Canada (BDC) en 2021, Isabelle Hudon a tour à tour mené ce paquebot à travers une pandémie, une relance économique et une période trouble pour les PME. Voici comment cette dirigeante audacieuse compte encore aider les entrepreneurs à traverser ce ralentissement économique.

 

À votre entrée en poste, l’un de vos principaux objectifs était de rendre l’économie inclusive. Comment cela se manifeste-t-il concrètement dans vos activités, deux ans plus tard ?

À mon arrivée, deux commentaires revenaient fréquemment. D’abord, on voulait que je donne un « D » majuscule à BDC. Est-ce que je comprenais alors dans le fin détail ce que ça voulait dire ? Pas vraiment, mais j’aimais cette aspiration-là.

Le deuxième, c’était la fierté ressentie d’avoir doublé la base de clients en cinq ans, elle qui atteignait désormais 65 000 entreprises. Je reconnaissais que ça avait dû représenter un travail extrêmement exigeant, mais je me demandais si on devait célébrer ça. Je comparais alors injustement ce chiffre aux 1,2 million de PME au Canada. Je me disais que ce n’était pas assez.

Or, toutes les PME ne sont pas des clientes potentielles pour nous. On doit être là en complémentarité avec les institutions financières.

On a quantifié à 400 000 le nombre d’entrepreneurs au Canada qui peinaient à avoir accès au soutien financier. En servant 65 000 PME, on était autour de 20 % de ce chiffre. Aujourd’hui, on en atteint 40 %.

En qualifiant ce bassin, on s’est aperçu que plus de 60 % sont des femmes, issues de communautés noires, des Autochtones, de nouveaux arrivants et des entrepreneurs en région. C’est là où j’ai commencé à comprendre ce que ça voulait dire, de donner un « D » majuscule.

C’est à nous d’aller vers eux et vers elles, ou lorsqu’elles viennent vers nous, ces personnes, d’avoir l’ouverture d’esprit et la curiosité de faire plus et mieux avec ces clientèles.

 

Il semble qu’il y ait eu un choc de culture au sein de la BDC à votre arrivée. Comment avez-vous fait pour rallier l’organisation à votre vision ?

Je pense que c’est une plus grosse affirmation que la réalité, que de parler de choc de culture. J’ai l’ambition de faire croître la BDC, pas pour en faire la plus grosse banque, mais pour aider davantage d’entrepreneurs.

Ce qui a surpris, c’est que dès mon arrivée, j’ai lancé une revue stratégique. Il n’y avait rien de brisé dans l’organisation, mais je souhaitais profiter de cet alignement de planètes à la sortie de la pandémie qui nous obligeait à évoluer.

Au début, ça dérangeait. La BDC est une organisation qui promeut l’écoute consensuelle. C’est sûr qu’une organisation qui s’embarque dans l’évolution, puis la transformation, ça ne va pas toujours de pair avec le consensus. Nos sondages d’engagement ont toutefois été révélateurs : on a gagné des points.

Ce n’est pas le premier endroit où j’ai créé de la surprise et de l’émoi. Quand on fait ça, il faut savoir trouver le ton, la manière, mais aussi retenir son impatience à certaines occasions. Ça, j’ai dû l’apprendre. Il faut savoir être à l’écoute des équipes. Je suis extrêmement fière de ce qu’on a fait.

 

Maintenant, le contexte est un peu moins en ébullition qu’il ne l’était au moment de votre arrivée. Comment votre approche a-t-elle changé pour bien accompagner les entrepreneurs ?

Ma première année a été plus facile, car il y avait encore beaucoup de capitaux dans l’économie. On avait encore ce respirateur artificiel qui fonctionnait presque à plein régime, puis on n’avait pas encore détecté où étaient les difficultés les plus sévères. En 2023, c’est là qu’on a commencé à voir poindre les vents de face que les PME à travers le Canada devaient gérer.

Cette année est très complexe. La demande des clients est encore là, mais le coût de faire des affaires a explosé. Il n’y a pas de playbook. Tous les facteurs habituels à une récession ne sont pas au rendez-vous, mais on est dans une récession technique. Quand c’est difficile dans l’économie, habituellement, les institutions financières se retirent du marché parce que les risques sont trop élevés. BDC prend donc un plus grand rôle, et ça se manifeste présentement.

C’est quand c’est exigeant qu’on détermine si la réflexion stratégique et les choix qui ont été faits étaient les bons, et c’est notre cas. Ils n’ont certes pas fait l’unanimité, mais quand tu les exécutes et que tu livres la performance, les sceptiques sont confondus. Je ne dis pas ça de façon arrogante : j’étais la première à avoir hâte de voir si l’organisation avait pris la bonne direction.

 

Depuis 2018, la BDC s’attaque aux problèmes de santé mentale des entrepreneurs. Vous avez lancé dernièrement un projet pilote pour offrir à 500 dirigeants de PME trois heures de séances de psychothérapie. Pourquoi est-ce encore important aujourd’hui de vous atteler à ce chantier ?

Depuis 2018, dans nos sondages, on remarquait de petites variations, mais rien comme ce qu’on a observé dans les 18 derniers mois. Les entrepreneurs reconnaissent davantage leur charge mentale, ce qui est un grand pas en soi, et le nombre d’entre eux qui demande de l’aide a doublé.

Quand on sait, on a l’obligation d’agir. Notre projet-pilote s’est fait challenger. J’en conviens, c’est un premier pas. La BDC à elle seule ne pourra pas tout régler, mais on souhaite mettre l’épaule à la roue. On veut apprendre de ce projet.Ça ne nourrit pas nos revenus ni nos bénéfices nets, mais on prend soin des entrepreneurs.

 

La date de tombée du remboursement du « prêt COVID » a miné la confiance de plusieurs entrepreneurs si on se fie à la Fédération cana-dienne de l’entreprise indépendante. Comment vos membres ont-ils été affectés ? Comment les avez-vous accompagnés là-dedans ?

Peu de nos clients y ont eu recours. La majorité de ceux qu’on a sondés dit être capable d’absorber ce remboursement, mais je n’en diminue pas l’importance. On n’est pas reconnu pour être la banque au capital le moins cher, mais nous sommes patients et flexibles.

On a une très grande ouverture et créativité à refinancer des projets, à écouter nos clients, puis à trouver des solutions. C’est sûr qu’on ne peut pas dire oui à tout le monde, mais je suis très admirative de la bienveillance de mes collègues. Nos clients me soulignent que ce qui nous différencie, c’est justement cet élément de bienveillance. C’est très rare que dans d’autres institutions financières, on trouve la bienveillance comme premier critère. Cela dit, on n’est pas tenus de livrer du 18 %, 20 %, 25 % de rendement pour nos actionnaires. Ça change la donne.

 

Dans des périodes plus difficiles pour les organisations, les belles initiatives d’inclusion et d’équité sont mises de côté. Comment faites-vous pour les maintenir en place à la BDC, vous pour qui élever les femmes a toujours été une priorité ?

Ça doit être non négociable. Au deuxième jour de mon arrivée, j’ai rassemblé virtuellement tous les 3000 employés pour leur annoncer mes couleurs. Je leur ai parlé de ce sur quoi j’étais intransigeante, comme l’équité et l’égalité.

Il y a une différence entre les deux. L’équité, c’est de donner aux minorités une voix plus forte. Quand on me dit que s’occuper des femmes, c’est s’occuper de la diversité, je ne suis pas d’accord. Elles composent 51 % de la population mondiale.

Quand tu verbalises tes intentions, habituellement, tu les accomplis. Je rappelle constamment à nos leaders que s’ils baissent le moindrement leur garde, ça percole dans l’organisation en une fraction de seconde.

 

Bien qu’il ne soit pas encore au pouvoir, Donald Trump inquiète les exportateurs québécois depuis qu’il a entre autres annoncé son intention d’imposer une taxe de 10 % sur les produits importés aux États-Unis. Comment comptez-vous préparer vos clients à ce retour ?

Peu de nos clients exportent tout court. Toutefois, celles et ceux qui le font, c’est majoritairement de l’autre côté de la frontière. La « bonne nouvelle », c’est qu’on l’a vécu il y a cinq ans. J’ose croire que tous les efforts des différents ordres de gouvernement pour convaincre les entreprises à continuer d’exporter, mais de diversifier leur marché auront porté leurs fruits.

Quand on arrive à convaincre nos clients, particulièrement par les services-conseils dans les plans d’affaires, que l’exportation fait partie d’un vecteur de croissance, on l’encourage aussi. C’est ça qui est important.

 

Qu’est-ce que vous espérez qu’on se souvienne de votre passage à la BDC à la fin de votre mandat ?

J’aimerais que le legs de mon mandat soit celui d’avoir donné un « D » majuscule à BDC. Qu’on ait livré là où les autres institutions financières ne livrent pas.

C’est la première fois que j’ai un mandat qui a une fin. Je ne sais pas si j’aurais bien vécu avec ça plus jeune, mais j’aime beaucoup.

J’ai toujours voulu que la transformation ou la croissance générée durant mon passage dans une organisation soit pérenne. Quand je quitterai la BDC, si l’équipe est très solide, si la stratégie a été bien définie, ce sera difficile à détricoter.