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L’abondance du financement privé combinée à la lourdeur administrative et au coût d’une présence en Bourse ont considérablement réduit le nombre de premiers appels publics à l’épargne des firmes québécoises. D’autres méthodes de financement gagnent désormais la faveur de nos entrepreneurs.
La méthode traditionnelle d’entrée en Bourse, le premier appel public à l’épargne (PAPE), est en baisse dans plusieurs pays occidentaux et ce déclin est particulièrement marqué au Québec. Aucune société québécoise n’y a eu recours depuis Stingray, en 2015, alors que 54 entreprises canadiennes l’on fait en 2018, comme 28 autres l’avaient fait l’année précédente.
Il ne faut pas croire pour autant qu’aucune entreprise québécoise n’est entrée en Bourse depuis. Ecolomondo, Goodfood, Hexo et Alithya l’ont aussi fait, mais en concluant toutefois des transactions qui s’apparentent à des prises de contrôle inversées, plutôt qu’en réalisant un PAPE. Faut-il s’en inquiéter ?
Pierre Lussier, président de la division Actions québécoises pour Gestion de placements Eterna, gère un fonds d’actions québécoises comprenant une quarantaine de titres. Il relativise la situation actuelle en rappelant, chiffres à l’appui, qu’elle n’est pas unique au Québec. Le nombre de PAPE a chuté de 676 en 1996 à moins de 120 en 2016 aux États-Unis, où le nombre d’entreprises publiques a presque fondu de moitié. Au Canada, il y a eu 54 PAPE en 2018, en hausse de 42 % par rapport à 2017, selon PwC.
M. Lussier rappelle qu’en définitive, il n’est pas si important pour une entreprise d’être privée ou publique. «L’essentiel est d’avoir le meilleur mode de financement en fonction de son plan d’affaires et de sa stratégie de croissance», avance-t-il. Selon lui, les gestionnaires de portefeuille seraient d’ailleurs devenus de plus en plus exigeants quant au plan d’affaires mis de l’avant par une entreprise souhaitant faire un PAPE, compliquant d’autant la réalisation de ce dernier.
Un risque pour le secteur financier québécois
«Qu’il y ait moins de PAPE qu’il y a vingt ans au Québec, c’est normal, c’est le cas aussi au Canada, aux États-Unis et même en Europe, mais qu’il n’y en ait pas du tout, c’est un problème», croit pour sa part Louis Doyle, directeur général de Québec Bourse. Il est d’avis que cette absence d’activité réduit l’expertise québécoise dans ce domaine, notamment dans les grands cabinets d’avocats et de comptables. Si le capital privé, abondant présentement, devait s’atténuer, les entreprises d’ici souhaitant entrer en Bourse pourraient devoir se tourner vers des experts torontois pour les accompagner.
Une analyse que partage M. Lussier, tout comme Michel Magnan, professeur à l’École de commerce John-Molson de l’Université Concordia. «Une entreprise qui entre en Bourse crée tout un écosystème autour d’elle, composé de banquiers, de comptables, d’avocats, de courtiers, etc.», rappelle le professeur. En l’absence d’une masse critique de telles transactions, l’expertise québécoise tend à se raréfier.
C’est donc surtout pour favoriser la vigueur du secteur financier montréalais que certains souhaitent voir relancer les PAPE. Mais comment y arriver ? M. Magnan admet que ce ne sera pas facile, car la diminution des PAPE tient à une dynamique propre au marché.
Attaquer le problème sur plusieurs fronts
M. Magnan évoque la possibilité, pour les commissions de valeurs mobilières canadiennes, d’alléger le fardeau réglementaire des entreprises cotées en Bourse. Il pourrait aussi développer certains avantages ciblés dans différents secteurs innovants, comme un programme d’actions accréditives semblable à celui offert aux sociétés minières, par exemple. «Un programme très général, comme l’ancien régime d’épargne-actions (REA), coûte très cher à l’État, croit M. Magnan. Une démarche ciblée, par exemple sur les secteurs innovants ou les entreprises innovantes, coûterait moins cher et encouragerait l’innovation.»
De son côté, M. Doyle soutient que l’objectif de Québec Bourse n’est pas de faire en sorte que le PAPE devienne la première méthode de financement pour toutes les entreprises, mais simplement qu’elle redevienne une option lorsque la situation le justifie. Lui aussi encourage les autorités réglementaires à revoir l’encadrement. «Aujourd’hui, un prospectus compte plus de 200 pages, et au Québec, il faut le produire en deux langues, illustre-t-il. Y a-t-il beaucoup d’investisseurs qui tiennent à ce que leur document d’information soit aussi volumineux ?»
Dans un marché où le financement de capital de risque privé se multiplie, il souhaite aussi que les conventions de souscription incluent le PAPE comme hypothèse de sortie, ce qui n’est pas toujours le cas. M. Doyle verrait également d’un bon oeil l’instauration d’un crédit d’impôt pour aider les entreprises à couvrir les coûts d’un PAPE. Ce crédit ne devrait pas être généreux au point de convaincre de faire un PAPE des entreprise pour lesquelles ce n’est pas la meilleure solution, mais suffisant pour aider celles qui privilégient cette option.
L’État pourrait aussi contribuer à rendre plus accessible aux Québécois l’investissement dans les entreprises d’ici. «Investir dans une action de PME québécoise en ce moment n’est pas nécessairement concurrentiel avec l’investissement dans des parts de fonds de travailleurs ou dans des actions accréditives de sociétés minières, par exemple, donc on pourrait imaginer un avantage fiscal pour favoriser ce type d’investissement», avance M. Doyle.
Lui non plus ne souhaite pas retourner au REA d’antan ; il favoriserait plutôt un crédit d’impôt non remboursable. «Il n’y a pas juste un remède à ce problème ; il vaudrait mieux mettre en place un ensemble de mesures», conclut-il.
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