Bicha Ngo, vice-présidente exécutive aux placements privés à Investissement Québec (Photo: courtoisie)
FINANCEMENT. Avant de contracter un prêt coûteux, il vaut mieux se demander si le projet qu’on s’apprête à lancer est véritablement nécessaire et s’il existe d’autres manières d’avoir accès à des liquidités.
C’est la réflexion qui anime bien des entrepreneurs par les temps qui courent, affirme Simon Gaudreault, économiste en chef et vice-président de la recherche à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). Il constate que plusieurs dirigeants adoptent des stratégies pour se dégager une marge de manœuvre financière. Il peut s’agir de retarder des projets, de laisser partir des employés saisonniers plus tôt qu’à l’habitude pour économiser en charges salariales, de réduire la superficie des bureaux pour limiter les coûts de location ou encore de renégocier des contrats avec des fournisseurs, énumère-t-il.
Pour les entrepreneurs en construction, en agriculture ou en foresterie qui dépendent en bonne partie de leur équipement pour générer des revenus, la question se pose encore plus concrètement, explique Vincent Lacasse, président de Versa Capital, une firme qui accompagne notamment les entreprises à la recherche de financement d’équipement. Il y a quelques années, au moment où les taux d’intérêt étaient au plancher, un entrepreneur en construction aurait peut-être décidé de financer cette nouvelle excavatrice qui coûtait 400000$, illustre-t-il. Mais si cette même machine se vend aujourd’hui 550000$ en raison de l’inflation et que les coûts d’emprunt ont explosé, la décision se corse. «Certains entrepreneurs vont décider de réparer leur machinerie actuelle», observe-t-il.
«Les entreprises doivent trouver le bon timing pour aller de l’avant avec leurs projets dans un contexte économique plus volatil, soutient Bicha Ngo, vice-présidente exécutive aux placements privés à Investissement Québec. Mais si les entreprises nous approchent pour évaluer des opportunités, on va être au rendez-vous, c’est certain.»
Se lancer malgré tout
Si, après un régime minceur et une révision des objectifs, le besoin de financement se fait toujours sentir, le PDG de Connect&Go, Dominic Gagnon, conseille aux entreprises à la recherche de capital de risque de ne pas voir trop grand. «Plusieurs entrepreneurs ont obtenu trop de financement au cours des dernières années, dit-il en pensant surtout à des entreprises du secteur technologique. Je crois que c’est un danger d’obtenir trop d’argent. La plupart des entrepreneurs ne savent pas quoi faire avec et le dilapide de manière assez rapide.»
Pour ce qui est des prêts offerts par la Banque de développement du Canada (BDC), la directrice des comptes majeurs, Audrey Beauchemin, offre à ses clients de gonfler le financement au besoin afin qu’ils conservent davantage de liquidités, «quitte à leur offrir des modalités de remboursement additionnelles s’ils ont des liquidités excédentaires».
Elle pourrait par exemple proposer à un client de financer à 100% un immeuble acheté 1 million de dollars, plutôt que de lui octroyer un financement à 80% en lui demandant d’injecter une mise de fonds de 200000$. Sa logique: si, dans un an, ce même client veut obtenir un prêt de 200000$ pour financer un nouveau projet, il aura l’argent nécessaire. Sans compter le fait que le taux d’intérêt d’un prêt immobilier est généralement plus bas parce qu’il est garanti par un actif tangible (l’immeuble).
«Dans un contexte économique défavorable, des opportunités vont se présenter. Il faut être prêt à les saisir», ajoute Audrey Beauchemin. L’immeuble voisin est à vendre parce que son propriétaire est étouffé par les coûts de financement? L’entreprise concurrente fait faillite et se départit de son équipement à bas prix? Ce sont toutes des occasions qui peuvent se présenter et pour lesquelles l’argent à disposition est crucial, soutient-elle. «Ce sont ces décisions-là qui vont déterminer l’entreprise qui va franchir la ligne d’arrivée en premier.»
De la même façon, elle encouragerait un entrepreneur qui veut construire une nouvelle usine à bâtir les 100000 pieds carrés prévus au départ, plutôt que de retrancher 20000 pieds carrés pour réduire le montant du financement et, par conséquent, le coût des intérêts. «Le coût d’opportunité lié au fait de ne pas avoir les 20000 pieds carrés supplémentaires est potentiellement plus élevé que le fait de payer l’intérêt de plus pour construire les 100000 pieds carrés.»