Entre 2013 et juin 2023, « seule une stratégie active sur quatre a survécu et a battu sa contrepartie passive », soulignent les analystes de Morningstar dans un rapport. (Photo: 123RF)
Paris — Adieu, gérants d’actifs ? Plutôt que de choisir soigneusement les entreprises en Bourse, les investisseurs préfèrent de plus en plus miser sur des paniers pré-définis, avec une répercussion conséquente sur le fonctionnement des marchés financiers.
Les courbes ne cessaient de se rapprocher, elles ont fini par se croiser: au 31 décembre 2023, les encours gérés de manière « passive » dans le monde étaient supérieurs à ceux gérés de manière « active », a annoncé le spécialiste des données financières Morningstar.
Un fonds relève de la gestion active quand sa composition est déterminée par des prises de position d’un gérant d’actifs, en fonction de ses recherches. À l’inverse, un fonds passif est sélectionné pour suivre automatiquement un indice ou une partie du marché. Le produit phare de cette gestion est le FNB (fonds négocié en Bourse).
Par l’exemple, l’argent est investi dans un fonds pour répliquer le plus fidèlement possible le CAC 40 alors qu’un gérant d’actif va chercher, par sa sélection d’entreprises, à dégager une meilleure performance que l’indice phare français.
Problème: les gérants échouent la plupart du temps dans cette mission.
Entre 2013 et juin 2023, « seule une stratégie active sur quatre a survécu et a battu sa contrepartie passive », soulignent les analystes de Morningstar dans un rapport.
Une des raisons à cette contre-performance est la présence des frais pour les gestions actives, pour financer la recherche et les choix des gérants, bien plus élevés que pour des fonds passifs, où aucune intervention n’est nécessaire, détaille à l’AFP Lionel Melka, associé chez Swann Capital. La concurrence dans ce secteur est aussi très rude pour des produits similaires, contribuant à des prix bas.
Les géants mondiaux de la finance proposent une large gamme de produits passifs, notamment aux États-Unis où la pratique s’est d’abord développée. Chez BlackRock, le plus gros gestionnaire de fonds du monde, gestion indicielle et ETF représentaient 6,620 milliards de dollars d’encours fin 2023, contre 2,620 milliards de dollars pour la gestion active.
« Un autre avantage du produit est sa lisibilité: on sait ce qu’on achète, comment le produit doit se comporter, il est facile d’en acheter ou d’en vendre. Les produits sont aussi très diversifiés géographiquement et thématiquement », explique Olivier Malteste, directeur des investissements de Yomoni, groupe d’épargne en ligne qui propose des ETF et compte plus d’un milliard d’euros sous gestion.
« Pire que le marxisme »
Mais la gestion passive n’est pas neutre pour le fonctionnement des marchés. En 2016, une équipe du cabinet de recherche Bernstein avait même estimé que cette méthode d’investissement était « pire pour la société que le marxisme ».
Par définition, l’investissement passif ne fait pas de choix entre les entreprises, même après la publication de nouvelles informations ou des événements extérieurs, alors que la raison d’être des marchés financiers est précisément de répartir l’argent disponible là où il sera le plus efficace, justifiaient-ils alors. Dans une société marxiste, « au moins, il y a quelqu’un qui planifie l’allocation des capitaux », écrivaient-ils.
De fait, l’essor de la gestion indicielle a « réduit les réactions des actions aux informations pertinentes » sur les entreprises du S&P 500, l’indice le plus représentatif du marché américain, ont mesuré dans un article de recherche publié en janvier 2024 les économistes Randall Morck et Deniz Yavuz.
La gestion indicielle tend aussi à accentuer la concentration des indices boursiers autour de quelques entreprises, les plus importantes valeurs continuant de s’accaparer la plus grande part des flux d’argent, a aussi estimé une étude publiée par la Banque centrale américaine en 2018.
Pour les entreprises, la présence d’investisseur passif à leur capital est aussi « du pain bénit » car ces actionnaires « n’interviennent pas dans la gouvernance » et ne font pas d’activisme, explique aussi Lionel Melka.
Le gérant imagine de plus en plus « un marché à deux vitesses », avec une majorité de fonds passifs et une minorité d’activistes ou de militants qui « seront payés » pour influer sur la stratégie des entreprises.
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