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La politique industrielle du Québec est un «échec»

François Normand|Mis à jour le 13 juin 2024

La politique industrielle du Québec est un «échec»

L’importance des crédits d’impôt de toutes sortes au Québec entraîne des répercussions dans le processus de destruction créatrice d’entreprises, en maintenant en vie des organisations à croissance faible qui auraient dû quitter le marché, c’est-à-dire les entreprises dites «zombies». (Photo: courtoisie de Clé en main industriel Québec / CEMIQ)

La politique industrielle du Québec est un «échec» et «nuit à la croissance économique» de la province, notamment en raison de crédits d’impôt trop nombreux et inefficaces, voire totalement inutiles.

Voilà la principale conclusion de la 14e édition de Productivité et prospérité au Québec, un rapport que publie ce mardi matin le Centre sur la productivité et la prospérité — Fondation Walter J. Somers à HEC Montréal, une semaine avant le dépôt du budget du gouvernement du Québec.

«La propension des entreprises à investir demeure particulièrement faible, les retombées de leurs activités d’innovation sont marginales, et leur productivité est nettement inférieure à celle de leurs homologues occidentales. Au bout du compte, elles peinent à s’imposer sur les marchés étrangers, avec les conséquences qui s’ensuivent sur le plan de la croissance économique», souligne le rapport.

En entrevue à Les Affaires, Robert Gagné, directeur du CPP et coauteur de l’étude (avec Jonathan Deslauriers et Jonathan Gagné) affirme que son équipe suit de nombreux indicateurs économiques, dont l’historique oscille de 30 à 40 ans.

«Or, ces indicateurs ne sont pas très performants», dit-il.

L’économiste donne entre autres l’exemple des crédits d’impôt que les gouvernements du Québec accordent à différentes entreprises dans plusieurs secteurs depuis des décennies.

 

Trois problèmes structurels

Trois éléments sont particulièrement préoccupants au chapitre des crédits d’impôt, fait remarquer Robert Gagné.

1. Québec accorde de moins en moins celui à la R-D aux jeunes entreprises. En 1997, 21,5% des PME de trois ans ou moins recevaient ce crédit d’impôt visant à stimuler l’innovation, la commercialisation de nouveaux produits et la croissance des revenus. Or, en 2019, cette proportion avait chuté à 8,2%.

2. Les crédits d’impôt en R-D versés aux grandes entreprises sont inutiles. Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on note que les crédits d’impôt à la R-D permettent aux PME d’innover, mais pas ceux versés aux grandes entreprises, selon une étude européenne, dont le CPP fait écho dans son rapport.

Comme on peut le constater sur ce tableau, un euro d’aide en R-D induit une valeur d’innovation de 1,50 euro auprès des petites entreprises (de 10 à 49 salariés) et de 1 euro pour les moyennes entreprises (de 50 à 249 salariés). En revanche, l’incidence est pratiquement nulle pour les grandes entreprises (de 250 salariés et plus).

«C’est un coup d’épée dans l’eau, c’est de l’argent gaspillé», affirme Robert Gagné.

 

Les crédits d’impôt en R-D versés aux grandes entreprises sont inutiles, selon la 14e édition de Productivité et prospérité au Québec (Tableau: HEC Montréal)

 

3. Des crédits d’impôt favorisent le maintien des entreprises «zombies». L’importance des crédits d’impôt de toutes sortes au Québec entraîne aussi des répercussions dans le processus de destruction créatrice d’entreprises, en maintenant en vie des organisations à croissance faible qui auraient dû quitter le marché, c’est-à-dire les entreprises dites «zombies».

Ainsi, le taux de renouvellement des entreprises au Québec est non seulement inférieur à celui de l’Ontario et de la moyenne canadienne, mais il est aussi en déclin depuis 20 ans. En 2020, il s’établissait à 10% comparativement à 12,5% en Ontario et à 11,5% dans l’ensemble du Canada.

Robert Gagné fait remarquer que ces entreprises zombies minent la croissance dans l’ensemble de l’économie.

«Une économie prospère lorsque les entreprises les moins innovantes disparaissent. Ce processus permet l’émergence de nouvelles entreprises plus innovantes, qui peuvent bénéficier d’une réallocation des ressources dans l’économie», explique-t-il.

Or, le maintien en vie d’entreprises non performantes nuit à cette réallocation des ressources en capital et en ressources humaines.

Selon le rapport du CPP, la politique industrielle québécoise «nuit désormais au développement économique du Québec», car elle interfère dans le processus de réallocation des ressources au sein de notre économie.

«À terme, la stratégie de l’État tend à favoriser la survie d’entreprises qui cannibalisent des ressources qui pourraient contribuer à l’accroissement de la productivité de la province si elles étaient employées à bon escient», soulignent les trois auteurs.

Par conséquent, le secteur des entreprises est «moins dynamique et peu enclin» à entreprendre les activités nécessaires pour accroître la productivité de l’économie québécoise, soulignent-ils.

 

Baisses d’impôt et cohérence industrielle

Que faire pour corriger le tir et améliorer la politique industrielle du Québec? Robert Gagné estime que le gouvernement peut faire trois choses.

Premièrement, Québec doit réduire les impôts des entreprises et diminuer essentiellement dans les mêmes proportions les crédits d’impôt qu’il leur verse.

Deuxièmement, le gouvernement doit être plus cohérent dans l’attribution des crédits d’impôt qu’il gardera, et ce, en les accordant aux entreprises qui en ont vraiment besoin et qui créent de la valeur en innovant.

Troisièmement, Québec doit délaisser le «dirigisme économique» et faire davantage confiance aux entrepreneurs et aux chefs d’entreprise. Ils sont les mieux placés pour prendre les meilleures décisions dans leur intérêt économique.

Et, en grande partie, dans l’intérêt de l’ensemble de l’économie du Québec.

 

 

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