La start-up d’ici qui développe un système de pêche sans cordage
Émilie Parent-Bouchard|Publié le 26 janvier 2024Devocean, qui a déjà enregistré quelques ventes et amassé un financement de plus de 1,5 million de dollars, dit travailler à la recherche et au développement de nouveaux produits avant de solliciter d’autres investisseurs. (Photo: Facebook)
FOCUS RÉGIONAL. L’industrie des pêcheries représente près de 2 milliards de dollars pour la région atlantique, selon Services Canada. Mais la filière manque d’air, conséquence de la protection d’espèces en péril. Installés à Rimouski, les ingénieurs de Devocean espèrent l’oxygéner grâce à de nouvelles technologies.
Depuis 2018, aucune semaine ne passe sans que des zones de pêche ne soient fermées en raison de la présence de baleines noires de l’Atlantique nord. La raison ? La navigation maritime et la pêche avec cordage sont les premières causes de mortalité de cette espèce en péril, dont le nombre ne serait plus aujourd’hui que de 336 selon le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).
« Les baleines noires font parler, mais presque toutes les populations de grands mammifères marins sont surveillées, indique Carl-Philippe Cyr Mercier, PDG de Devocean, start-up technologique lancée en 2020 qui développe un système de pêche sans cordage. Ça coûte énormément au pays d’avoir une pêche comme celle-là. On parle d’avions qui surveillent les baleines pendant toute la saison. Quand on aperçoit des baleines, on ferme des quadrilatères. Et des zones fermées à la pêche, c’est un gros frein pour les pêcheurs. »
Un « écart technologique » à combler
C’est sur les bancs d’école, à l’Université de Sherbrooke, que le jeune entrepreneur qui dirige aujourd’hui une équipe de 11 employés commence à s’intéresser à ce problème. À propos d’une industrie où les « méthodes datent de 50 à 100 ans », il devient vite évident qu’il devra développer un produit adapté à la réalité des pêcheurs : « Dès qu’on a commencé à discuter avec [le président de l’Association des crabiers de la Gaspésie, Daniel Dubois], le premier réflexe qu’il a eu, c’est de dire “OK les jeunes, vous avez des idées, plein d’ambitions, mais venez sur les bateaux avec nous voir ce qu’est la pêche pour vrai” », se souvient-il.
C’est ainsi que la petite équipe de Devocean a quitté en mars dernier les terres enclavées de l’Estrie pour s’établir à Rimouski, « un point central pour travailler avec les Maritimes, la Gaspésie, la Côte-Nord » et « près des fournisseurs ». La proximité avec les pêcheurs et avec l’écosystème entrepreneurial qui s’organise autour de l’économie bleue — on attend d’ailleurs la création par Québec d’une zone d’innovation en 2024 — permet à l’entreprise de développer une technologie de remontée sur demande déclenchée par un signal acoustique qui la distingue sur le marché.
« On a une méthode assez innovante, explique Carl-Philippe Cyr Mercier. Contrairement à la compétition, on a un cordage qui va se rembobiner automatiquement. On enlève des manœuvres qui ont besoin d’être faites sur différents systèmes. On pousse un levier, on appuie sur un bouton vert et le système automatisé fait le reste. »
Le défi de la commercialisation
Si Devocean peut compter sur l’attribution de « permis scientifiques » aux pêcheurs avec qui elle travaille pour continuer à tester son produit — et ainsi accéder à des zones de pêche fermées —, elle demeure impatiente de découvrir le plan de match de Pêches et Océans Canada pour l’adoption de ces nouvelles technologies. Ces lignes directrices, initialement attendues pour fin 2023, début 2024, se font toujours attendre.
« La ligne de production est prête à fournir de façon assez considérable et on a mis en place beaucoup de choses, comme notre chaîne d’approvisionnement, pour être prêts à alimenter le marché », explique Carl-Philippe Cyr Mercier. Il précise être en mesure de livrer une cinquantaine de systèmes comprenant l’unité de pont, la bouée sans cordage et le système de remontée automatisée par mois.
En attendant, Devocean, qui a déjà enregistré quelques ventes et amassé un financement de plus de 1,5 million de dollars, dit travailler à la recherche et au développement de nouveaux produits avant de solliciter d’autres investisseurs.
« On a beaucoup de pas de faits pour une ronde de financement en capital de risque, mais on attend le bon « timing » pour faire un bon boom dans la production, dit-il. On veut avoir quelque chose de solide à offrir aux investisseurs. ».
Le dirigeant estime que le développement technologique est la force de Devocean.
« On reste à l’affût et on a des projets qui s’en viennent pour les prochaines années », assure l’entrepreneur. En attendant le déblocage réglementaire canadien, les équipements performants en eaux très froides et l’intérêt des États-Unis, où Devocean prévoit « quelques ventes cette année », devraient tenir son équipe occupée.
Cet article a initialement été publié dans l’édition papier du journal Les Affaires du 8 novembre 2023.