Une pénurie de travailleurs touche le Bas-Saint-Laurent
Pierre Théroux|Édition de la mi‑février 2019«Notre carnet de commandes est à 120 % de la capacité de l’usine. Pourtant, par manque de soudeurs, on produit seulement à 65 %», selon Jean Pouliot, président de Produits métalliques PMI (à droite sur la photo). [Photo: Roland Thériault]
FOCUS RÉGIONAL: BAS-SAINT-LAURENT — La pénurie de main-d’oeuvre se fait sentir partout au Québec, et la région du Bas-Saint-Laurent ne fait pas exception. Une trentaine de dirigeants d’entreprises, d’élus municipaux et d’intervenants économiques de la région en ont témoigné lors d’une rencontre organisée en novembre dernier à Rimouski par Les Affaires.
Le manque de travailleurs a un impact majeur chez Produits métalliques PMI, une entreprise de Rimouski fondée en 1951 qui se spécialise dans la conception, fabrication, et installation de structures d’acier. «Notre carnet de commandes est à 120 % de la capacité de l’usine. Pourtant, par manque de soudeurs, on produit seulement à 65 %», déplore son président Jean Pouliot, l’un des trois panélistes ayant participé à cette rencontre. Pour s’en sortir, ce dernier doit donner des contrats en sous-traitance.
«Ça nous pose un enjeu important d’expansion», s’inquiète également Line Lamarre, vice-présidente principale, Développement organisationnel chez Premier Tech, qui manque de personnel technique, mais aussi professionnel. L’entreprise qui emploie 4 500 personnes cherche à pourvoir 85 postes à son siège social de Rivière-du-Loup dans les domaines de la comptabilité, de la gestion de production, de l’ingénierie, de même que des employés à la production.
«C’est très difficile d’avoir accès à des ressources qualifiées», note également la panéliste Marie-Christine D’Amours, vice-présidente, Solutions consommateurs et petites entreprises et Expérience client au Québec, chez Telus, qui exploite le plus important centre de relation client de l’est du Canada, à Rimouski. C’est là que fut fondé la Corporation de téléphone et de pouvoir de Québec, devenu Québec-Téléphone en 1955, puis Telus Québec en 2001.
Pendant que Telus continue de déployer ses réseaux sans fil et de fibre optique fiables, l’entreprise peine notamment à recruter des techniciens pour en faire l’installation chez les clients. «Il y a aussi de nombreux emplois vacants dans les domaines du marketing, des ressources humaines et de l’informatique», ajoute Mme D’Amours.
Denis Bérubé, PDG de l’entreprise Bois d’oeuvre Cedrico, située à Price, s’inquiète pour sa part de l’impact du manque de travailleurs en usine sur le personnel cadre qui doit prendre la place d’un ouvrier manquant. «Pendant qu’il fait le travail d’un opérateur, il ne fait pas sa job. Il risque de s’écoeurer et de partir», explique-t-il.
L’industrie touristique, importante dans cette région du Québec, fait aussi les frais du manque de personnel. «La croissance du secteur est limitée à cause du manque d’employés», constate Alexander Reford, directeur des Jardins de Métis, qui emploie jusqu’à 50 personnes pendant la saison estivale. Or, ce sont principalement des étudiants qui, avant de retourner sur les bancs d’école, souhaitent prendre des vacances. «Les 12 semaines de travail sont aujourd’hui devenues 8. On a fait des représentations auprès du ministère pour modifier le calendrier scolaire, mais on nous dit que c’est impossible», précise-t-il.
Des pistes de solution
Les dirigeants d’entreprises se penchent évidemment sur diverses solutions pour remédier à la situation.
Le virage vers l’usine 4.0, qui vise notamment à automatiser les processus de gestion et de production, est incontournable. «On a fait beaucoup d’efforts ces dix dernières années pour automatiser nos opérations», fait valoir André Boucher, président et fondateur du fabricant de meubles Verbois, à Rivière-du-Loup. L’entreprise mise aussi sur une bonification de la rémunération salariale qui tient compte de la performance des employés pour attirer ou retenir des travailleurs.
Le travail à domicile est aussi valorisé afin d’attirer ou de garder des employés. «Les sondages de satisfaction auprès des employés nous indiquent que, pour 90 % d’entre eux, c’est un facteur important pour rester chez Telus», note Mme D’Amours. Évidemment, le télétravail n’est pas une solution pour les entreprises manufacturières qui manquent de travailleurs sur le plancher. Autre problème : «sur mon territoire, 10 municipalités sur 19 n’ont pas accès à Internet haute vitesse ou à la téléphonie cellulaire. C’est un problème majeur qui ne facilite pas le travail à domicile», constate Guylaine Sirois, préfet de la MRC de Témiscouata.
Certains font appel à une main-d’oeuvre étrangère pour combler leurs besoins. Premier Tech, qui vient de participer à une mission de recrutement en France et en Tunisie, a embauché une vingtaine de personnes en provenance de ces pays ces dernières années. Depuis mai dernier, Produits métalliques PMI compte huit soudeurs tunisiens parmi ses effectifs.
Premier Tech a aussi effectué une tournée du Québec, l’automne dernier, en se déplaçant dans neuf villes pour se faire connaître davantage et pour rencontrer des travailleurs potentiels. «On se met en mode marketing», indique Mme Lamarre, en précisant que l’entreprise mise aussi depuis trois ans sur une équipe de 12 personnes affectées essentiellement au recrutement de la main-d’oeuvre.
L’Université du Québec à Rimouski (UQAR), qui accueille cette année plus de 430 étudiants étrangers, se veut aussi «une autre porte d’entrée pour le recrutement d’immigrants», souligne sa directrice du service de la formation continue, Louise Bolduc. D’autant, ajoute-t-elle, qu’une très grande majorité (93 %) de l’ensemble des diplômés reste dans la région.
Des entreprises disent travailler avec les maisons d’enseignement pour remédier à la situation. Mais «ce n’est pas suffisant, parce qu’il nous faut aussi des travailleurs d’expérience», souligne Mme Lamarre de Premier Tech. Il semble toutefois y avoir un manque d’arrimage. «On est capable de répondre aux besoins des entreprises, mais celles-ci doivent venir frapper à notre porte», note Louise Bolduc de l’UQAR.
Produits métalliques PMI se tourne même vers des étudiants, en leur offrant de travailler jusqu’à un maximum de 20 heures par semaine. «Ça leur permet de savoir si c’est le métier qu’ils veulent faire et, de notre côté, de détecter les meilleurs talents», explique M. Pouliot. La PME a aussi mis en place un système de jumelage avec une douzaine de travailleurs d’expérience «pour transmettre leur savoir aux plus jeunes et les aider à mieux comprendre le métier».