Recrutement: miser sur l’emploi des étudiants et des retraités
Pierre Théroux|Édition de la mi‑mai 2019« Les enjeux de main-d’œuvre remettent en question toute ma stratégie d’expansion dans les prochaines années », affirme Dominique Brown, président de Chocolats Favoris. (Photo: Frédéric Lavoie)
FOCUS CAPITALE-NATIONALE. La région de Québec est confrontée à une pénurie de main-d’oeuvre depuis plusieurs années déjà. Une conséquence directe du faible taux de chômage qui perdure et qui a même atteint un seuil historique de 3,8 % l’an dernier. Dominique Brown, président de Chocolats Favoris, Martin Thériault, président et chef de la direction de Eddyfi Technologies, et Line Lagacé, vice-présidente, Croissance des entreprises et prospection des investissements étrangers de l’organisme Québec International, ont fait part de la situation et offert des pistes de solution lors d’une rencontre organisée par Les Affaires qui a réuni une vingtaine d’invités.
Chocolats Favoris a connu une croissance fulgurante depuis son acquisition, en 2012, par M. Brown, le nombre de ses chocolateries étant depuis passé de 3 à 42. Néanmoins, cette croissance s’accompagne de défis. «Les enjeux de main-d’oeuvre remettent en question toute ma stratégie d’expansion dans les prochaines années», affirme celui qui était auparavant à la tête de Beenox, un studio de jeux vidéo qu’il avait créé en 2000 alors qu’il n’avait que 17 ans. «Ce problème de manque de travailleurs, je l’avais aussi connu il y a au moins dix ans», se rappelle celui qui est aussi devenu un ange investisseur dans l’émission Dans l’oeil du dragon.
La disponibilité de la main-d’oeuvre est un enjeu prioritaire dans la région depuis 2007, note en effet Mme Lagacé. «Il y a très peu de secteurs d’activité où on entend qu’il n’y a pas de problème d’embauche», ajoute-t-elle en soulignant que la situation a un impact certain sur les entreprises.
«On est en retard dans nos livraisons», témoigne d’ailleurs M. Thériault, qui a lancé, en 2009, l’entreprise Eddyfi, spécialisée dans la conception d’équipements technologiques d’inspection de composantes pour plusieurs grandes industries, notamment dans les domaines du nucléaire et de la pétrochimie. L’entreprise, qui emploie quelque 525 personnes, dont 175 dans la région de Québec et cherche notamment des programmeurs, envisage même de recruter en Inde. «On préférerait cependant créer des emplois pour des gens d’ici», précise-t-il, en soulignant que son bureau de Paris cherche six programmeurs depuis six mois.
Recrutement étranger
Dans le secteur des technologies de l’information, la concurrence dans la recherche de travailleurs est effectivement mondiale. «La France, tout comme les pays du Maghreb, a les mêmes problèmes», constate Mme Lagacé.
Comme bien d’autres ailleurs au Québec, les entreprises de la région se tournent vers l’étranger pour remédier à la situation. La région a accueilli 7 000 travailleurs immigrants ces dernières années et a réussi à garder la grande majorité (94 %) d’entre eux. Le gouvernement doit néanmoins «résoudre la question du délai d’approbation et accroître le nombre d’immigrants dans les régions éloignées de Montréal», dit Mme Lagacé.
Québec International, qui a déjà participé à 45 missions de recrutement à l’extérieur du Québec depuis 2007, en a encore 11 à son agenda en 2019. En décembre dernier, 18 entreprises de la région se sont rendues en Tunisie, où elles ont reçu près de 20 000 CV. «Moins de 40 minutes après l’ouverture des inscriptions pour la mission, les places étaient déjà pourvues», indique Mme Lagacé.
Étudiants et retraités
«L’immigration est une solution, mais ce n’est pas la panacée», prévient Pierre Moreau, PDG de Restos Plaisirs, qui exploite une douzaine d’établissements. Il estime que le gouvernement du Québec doit mettre en place des mesures pour favoriser notamment le maintien en emploi des étudiants et des retraités.
«Ce n’est pas normal que les étudiants, qui représentent 80 % de notre effectif, retournent à l’école dès le 15 août. Et, comme ils ont besoin de deux semaines de vacances, je perds la moitié de ma main-d’oeuvre estivale à partir du 1er août. Même si mes commerces sont pleins jusqu’en octobre», déplore M. Moreau, en précisant que ce problème dure depuis 20 ans.
Dominique Brown fait écho à ses propos. «Je perds 300 employés étudiants d’un coup à cause du retour à l’école. Ce n’est pas au siège social que se fait l’argent, c’est aux caisses avec des employés de 16 ans», précise-t-il, en soulignant qu’une majorité des employés dans les chocolateries ont 18 ans ou moins. Chez Chocolats Favoris, qui emploie quelque 1 500 personnes pendant la haute saison, 60 % de la main- d’oeuvre compte moins d’un an d’ancienneté.
Jean Fortin, maire de Baie-Saint-Paul, se réjouit, mais s’inquiète aussi de l’arrivée d’un Club Med dans sa région en 2020. «C’est un défi pour les autres entreprises en tourisme qui ont déjà des problèmes de recrutement», dit-il.
M. Moreau suggère aussi d’adopter des changements au Régime de rentes du Québec et des mesures fiscales pour ne pas pénaliser les travailleurs âgés qui souhaiteraient continuer à travailler deux ou trois jours par semaine. Il fait aussi valoir que le filet social, au Québec, est trop avantageux. Il cite en exemple un employeur qui a reçu plein de CV après avoir passé une fausse annonce offrant des emplois payés au noir à un taux horaire de 15 $, en guise de test. «Il y a des gens qui pourraient travailler, mais ne le font pas», conclut-il.
Autres solutions
Chocolats Favoris a mis en place, ces derniers mois, différentes stratégies qui lui ont permis d’atténuer le problème, comme l’implantation d’horaires qui permettent à des employés qui le souhaitent de travailler dans d’autres chocolateries du réseau. L’entreprise a aussi changé ses façons de recruter les employés non spécialisés. Les tests ou la vérification d’antécédents, par exemple, se font maintenant après l’embauche.
«Un matin, alors qu’on devait accueillir 10 personnes, aucune ne s’était présentée parce qu’elles avaient trouvé un autre emploi après leur entrevue chez nous. Les candidats ont trop de choix pour leur laisser le temps», explique-t-il.
Chocolats Favoris travaille aussi depuis quatre ans avec le Groupe TAQ, une entreprise qui emploie des personnes ayant un handicap physique ou mental, et réalise des contrats de sous-traitance pour diverses entreprises de la région.
Eddyfi a pour sa part amélioré les conditions et l’environnement de travail, en offrant notamment trois semaines de vacances dès l’embauche, un horaire flexible et les lunchs gratuits.
Femmessor, qui compte une quarantaine d’employés, a choisi de «devenir une entreprise nomade, ce qui nous permet de recruter partout au Québec», souligne sa PDG, Sévrine Labelle. Ainsi, son adjointe est à Gatineau, tandis que la directrice des communications de cet organisme est à Trois-Rivières et la directrice des ressources humaines est à Sherbrooke. Elle reconnaît que c’est évidemment plus facile pour une entreprise de service.