(Photo: Add Weed pour Unsplash)
FOCUS RÉGIONAL: MONTÉRÉGIE. Jamais la construction d’une usine destinée à la production et à la transformation de cannabis n’aura été aussi désirée qu’à Huntingdon.
Le 9 octobre 2018, l’entreprise québécoise Rose ScienceVie dévoilait qu’elle irait de l’avant avec un tel projet sur le territoire de la ville de 2 500 âmes de la Montérégie. Dans l’assistance, le maire André Brunette était visiblement enchanté de se faire complice de cette bonne nouvelle. «Enfin ! On l’aura voulu, ce projet-là», a-t-il lancé au représentant de l’hebdomadaire local Le Reflet. L’échevin avait de quoi se réjouir ; ces investissements de l’ordre de 80 millions de dollars (M$) signifiaient la création d’une centaine d’emplois pour sa municipalité. La fermeture des usines de textile Cleyn and Tinker et Huntingdon Mills, en 2004, était loin dans les mémoires.
Un an et demi après cette annonce, une usine de 55 000 pieds carrés, première phase du projet, est bel et bien sortie de terre. À l’intérieur, 49 employés s’activent entre les milliers de plants en croissance, tous destinés à des usages médicinaux (cannabis séché, huiles et extraits) encadrés par Santé Canada. Même la pandémie de la COVID-19 ne saurait interférer avec la production. «Des plantes, ça pousse tous les jours. Nous avons été reconnus comme un service essentiel», explique François Limoges, cofondateur de Rose Sciencevie. D’ici la fin de l’année, 100 000 pieds carrés seront ajoutés à l’immeuble, ce qui permettra à l’entreprise d’atteindre sa pleine vitesse de croisière – et à Huntingdon de prospérer.
Huntingdon n’est pas la seule municipalité de la Montérégie à bénéficier du développement des activités liées au cannabis. Dans son survol des prévisions économiques de la région publié en 2019, Desjardins fait état de la création de plusieurs centaines d’emplois dans les prochaines années par cette industrie encore naissante. «Plus de 150 travailleurs seront embauchés par The Green Organic Dutchman [à Valleyfield], qui injectera 180 M$ pour la mise en service de trois serres d’ici 2021. Le producteur de cannabis Cannara Biotech investira pour sa part environ 100 M$ d’ici 2021 pour de la culture en serre à Farnham», peut-on y lire.
Et ce n’est que la pointe de l’iceberg. Sur les 36 membres de l’Association québécoise de l’Industrie du cannabis (AQIC), environ une dizaine d’entreprises sont en exploitation en Montérégie. Toutes ne font pas de la production, comme l’atteste la présence de Bis Solutions (Longueuil), de Tetra Bio-Pharma (Longueuil) et de Lareau Courtiers d’assurances (Napierville) dans cette liste. Cette concentration d’entreprises liées au cannabis en Montérégie s’explique par de nombreux facteurs, dit Larry Baxer, chef de l’exploitation chez Cannara Biotech. «On peut penser à la relative proximité avec Montréal, aux loyers relativement bas, à la main-d’oeuvre plus abondante que dans la métropole…», énumère-t-il.
La plus importante variable est néanmoins celle de l’accès à de l’électricité et à de l’eau en quantité abondante. Ces deux ressources doivent être facilement accessibles pour rendre possible la culture d’une plante qui en nécessite beaucoup. Par leur riche passé industriel, des villes comme Huntingdon et Farnham sont dotées des infrastructures nécessaires à cet égard. «Les producteurs ont par exemple besoin de lignes triphasées capables d’acheminer jusqu’à 5 MV de courant. Ce n’est pas possible partout au Québec», affirme François Limoges, aussi porte-parole de l’AQIC.
Ouverture d’esprit
Sans une réelle volonté des autorités locales, il est par contre impossible pour la filière du cannabis de prendre racine dans certaines municipalités. C’est notamment ce qu’a décidé de faire la Ville de Mirabel, dans les Laurentides, en 2019, en décrétant un moratoire de trois mois sur toute délivrance de permis relatif à la culture, la transformation et la production de cannabis sur son territoire. Toutes sortes de raisons ont alors été évoquées pour défendre cette position, comme les odeurs incommodantes et la lumière trop intense dans les serres.
Ailleurs, comme à Saint-Hyacinthe, c’est le raisonnement inverse. Une nouvelle entreprise, comme Gayonica, spécialisée dans l’extraction et la purification de résines de cannabis haut de gamme, y est accueillie à bras ouverts. «À la base, ça prend des municipalités prêtes à accommoder des entrepreneurs du cannabis. Ça a été notre cas avec la Ville de Huntingdon, qui nous a accompagnés tout au long du processus d’obtention des permis de Santé Canada, de la planification de la construction, et ainsi de suite. On parle quand même d’un processus long de trois ans, ce n’est pas rien», conclut le cofondateur de Rose ScienceVie.