Le cannabis a remplacé les patates dans l'entrepôt de la famille Bock, à Notre-Dame-de-la-Paix. (Photo: courtoisie)
FOCUS RÉGIONAL: OUTAOUAIS. Qu’ont en commun un directeur général du Service de police de la Ville de Montréal, un abattoir et un caveau à patates ? Tous ont ont maintenant une nouvelle vocation dans l’industrie du cannabis au sein de QcGoldtech.
Quand la responsable de la production, Andrée-Anne Bock, circule entre les salles de floraison, de récolte ou de séchage du cannabis, elle se souvient que les lieux abritaient autrefois des montagnes de pommes de terre, culture vedette de Notre-Dame-de-la-Paix et gagne-pain de sa famille depuis des générations. « Des investisseurs de QcGoldtech, avec lesquels nous étions déjà associés pour la ferme, nous ont approchés en 2018. Ensuite, le bâtiment a été modifié pour s’adapter à la nouvelle culture », raconte l’ancienne éducatrice spécialisée, qui s’est réorientée vers l’agronomie.
Cinq kilomètres plus loin, à Saint-André-Avellin, un second site de production intérieure a été aménagé au cœur d’un ancien abattoir spécialisé en cerf de Boileau. Cette industrie ayant aujourd’hui disparu à cause de la maladie qui a décimé le troupeau en 2018, les quelques employés encore en poste ont alors été « vendus » avec les installations. « On ne s’attendait pas du tout à ça, s’exclame l’adjointe à la direction, Lucie Deschâtelets. On croyait s’en aller dans le veau ! » Il faut dire que des activités de boucherie se déroulent à cet endroit depuis les années 1950. (NDLR : le premier abattoir y a d’ailleurs été construit par le grand-père de l’auteure de cet article.)
Lucie Deschâtelets, qui avait mis en place une politique de tolérance zéro en matière de drogue, a vécu « un véritable choc » au moment de la transition. Sa collègue Sandra Charlebois, directrice de l’assurance qualité, aussi. Aujourd’hui, elles constatent cependant que leurs tâches n’ont pas tellement changé. « Les mêmes exigences de salubrité s’appliquent aux produits et ce milieu est aussi réglementé que celui des viandes », précise-t-elle. En plus de protocoles de sécurité « très très stricts », la politique de tolérance zéro est encore appliquée, se félicite Lucie Deschâtelets.
À la recherche d’applications médicales
Ces employés de longue date sont perçus comme un « envoi du ciel » par leur patron, Yvan Delorme. « Quand mon partenaire, Donald Fontaine, m’a fait visiter les lieux, j’ai rencontré des personnes engagées ; ce sont elles qui ont facilité la réussite de nos opérations », estime le PDG, qui a dirigé le SPVM de 2005 à 2010. « De les voir mettre du cœur au travail nous motive chaque jour. » Encore plus au moment des « longues et fastidieuses démarches » auprès de Santé Canada afin d’obtenir les permis de culture et de transformation du cannabis, souligne Liette Delorme, responsable principale de l’assurance qualité.
Cette infirmière à la retraite — et sœur du PDG — a déjà travaillé auprès de grands consommateurs de drogues. « Je connais les risques et les dangers liés à la dépendance, mais je peux aussi comprendre que le cannabis a des qualités thérapeutiques qui peuvent être utilisées. » En effet, c’est là l’objectif premier de l’entreprise : développer des applications médicales pour cette plante à la réputation sulfureuse.
« Nous avons commencé par la recherche agronomique, puis nous travaillerons bientôt à développer des produits comestibles tels que le chocolat, le thé, etc. Ensuite, ce sera la recherche sur des produits cosmétiques et thérapeutiques : crèmes anti-inflammatoires, produits contre l’anxiété ou même pour les cheveux », énumère Khalid Boulrhazioui, directeur de la R-D. Des projets de partenariats avec des organismes et des universités sont dans les cartons, précise-t-il.
Une finalité qui enthousiasme tous les employés interrogés, surtout ceux qui envisagent de se procurer leurs produits à la Société québécoise du cannabis, où ils sont vendus depuis février. « On s’en vient avec notre huile de CBD [cannabidiol] et j’ai vraiment hâte de l’essayer ! » se réjouit Andrée-Anne Bock, qui en consomme pour dormir.
Depuis cet été, les détenteurs de prescriptions médicales peuvent également contacter directement QcGoldtech. « Santé Canada nous permet maintenant de livrer directement à leur domicile », spécifie Yvan Delorme.
Mission : essor économique local
L’autre grand objectif de l’entreprise est de contribuer à l’essor économique de la Petite-Nation. « Nous voulons créer des emplois stables avec de bons salaires et de bonnes conditions afin de rehausser le train de vie des gens », explique le PDG, Yvan Delorme, également très fier de sa politique d’achat local. « Tout ce qu’on emploie, de la production du plant jusqu’à la livraison du produit, est 100 % québécois, assure-t-il. Et j’ai insisté pour que nos fournisseurs soient de la région, même si c’est un peu plus cher à l’occasion. »
Le recrutement local est aussi au cœur de la philosophie de la PME, qui compte près de 70 employés permanents. Ils sont pratiquement tous originaires de la Petite-Nation. Un nombre que la direction souhaite voir doubler. « C’est difficile de recruter, mais la volonté d’engager des gens d’ici est vraiment appréciée de tous », note Lucie Deschâtelets. Le domaine étant tout nouveau, de la formation est offerte sur place, « même si Emploi Québec nous a franchement dit qu’on ne pourrait pas recevoir d’aide de leur part parce qu’on travaille dans le cannabis », regrette-t-elle.
Un produit vert… dans tous les sens du terme
Comme elle se veut une entreprise écoresponsable, QcGoldtech a plusieurs projets verts sur la table à dessin. Le premier est de valoriser ses déchets, composés principalement de plantes, de feuilles et de terre. « On laisse tout ça pourrir à l’extérieur en attendant de pouvoir éventuellement utiliser notre propre compost », affirme Andrée-Anne Bock. Yvan Delorme précise que des discussions à ce sujet sont en cours avec Environnement Canada. Éventuellement, il aimerait proposer une partie de ce compost aux agriculteurs de la région.
De son côté, Liette Delorme siège à un comité de la SQDC avec d’autres producteurs de cannabis afin de trouver des solutions d’emballage écoresponsable pour leurs produits. « Nous sommes soumis à des normes alimentaires, en plus de celle de Santé Canada, ce qui nous impose certaines limites », explique-t-elle. Pour l’heure, leurs produits secs sont vendus dans des pochettes et leurs huiles dans des emballages en verre. « C’est plus cher que le plastique, mais la récupération est plus facile », note son frère.