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Fusions et acquisitions: aller au-delà des chiffres

Emmanuel Martinez|Édition de la mi‑juin 2024

Fusions et acquisitions: aller au-delà des chiffres

Pierre Shea, fondateur du cabinet-conseil Groupe Aztec (Photo: courtoisie)

FUSIONS ET ACQUISITIONS. Une acquisition est avant tout une affaire de chiffres. Les revenus, la dette, les coûts de production, la fiscalité et les prévisions financières sont des données fondamentales. Toutefois, Pierre Shea, fondateur du cabinet-conseil Groupe Aztec, estime que les aspects stratégiques et commerciaux d’une transaction sont trop fréquemment négligés.

« On fait parfois appel à moi après l’acquisition. Je constate alors beaucoup d’erreurs et c’est jamais la faute du prêteur, du fiscaliste et de l’avocat, dit-il. La diligence raisonnable, ce n’est pas seulement les chiffres et les règles. Il faut creuser en parlant aux employés, aux fournisseurs et aux clients. »

Pierre Shea croit que ce travail en amont par l’acquéreur est régulièrement déficient. « Par manque de temps ou pour aller rapidement, il manque de perspective, ajoute-t-il. Certains regrettent leurs acquisitions parce que les vérifications préliminaires n’ont pas été faites. »

Il estime qu’il faut bien évaluer l’industrie dans laquelle on investit tout en analysant les produits et les services conçus par l’entreprise convoitée. « J’ai par exemple un client qui voulait mettre la main sur une PME qui a inventé un produit fantastique, mentionne-t-il. Il était toutefois destiné à une industrie où les marges sont petites. Il était meilleur qu’un produit concurrent, mais beaucoup plus cher. Il est donc super, mais pas vendable. »

Il faut fouiller

Pour vérifier si une entreprise visée concorde avec les valeurs et les objectifs à court et à long terme de l’acquéreur, Pierre Shea n’hésite pas à fréquenter des conférences et des foires commerciales afin de parler à des concurrents et à des fournisseurs pour en apprendre davantage.

« On veut savoir ce qu’on achète, affirme-t-il. Est-ce que l’entreprise a une mauvaise réputation ? Traite-t-elle les fournisseurs avec autant de respect que ses clients ? Est-elle au rendez-vous lorsqu’il y a des problèmes ? Pour investiguer, je vais dans des événements incognito. C’est essentiel d’aller chercher des sources externes. »

Dans le cadre de ses démarches, il s’est par exemple rendu compte qu’une entreprise convoitée tirait 60 % de son chiffre d’affaires d’un client avec lequel les relations étaient difficiles. Le risque était donc trop grand et l’acquisition n’a jamais eu lieu. Dans un autre cas, il a recommandé un « rebranding » puisqu’il a su que l’ancien propriétaire avait une mauvaise réputation.

Le consultant suggère également de sonder les employés, si possible. « C’est particulièrement important dans le cas d’une petite entreprise, croit-il. Cela amène un grand bénéfice de voir s’ils sont heureux de travailler avec le cédant. Cela révèle beaucoup. De plus, cela permet de préparer un plan d’intégration réussi. »

La vice-présidente au capital de croissance et au transfert d’entreprise pour le Québec à la BDC, Louise Langevin, souligne aussi que la main-d’œuvre représente souvent le cœur d’une acquisition. Il est donc essentiel de la connaître. « Ce qu’on achète aussi, c’est une culture d’entreprise. »

Pour une plus grande organisation, Pierre Shea suggère de parler avec les membres de la direction. « Cela fait partie d’un processus de diligence raisonnable, poursuit-il. Cela permet de mieux comprendre l’entreprise, mais également de voir si l’intégration va bien fonctionner. Sont-ils ouverts aux changements ? Quels sont les points à améliorer ? »

Selon lui, toutes ces démarches « valent de l’or » dans le processus d’intégration, qui constitue une étape essentielle d’une acquisition réussie.

Le vendeur aussi doit travailler

Particulièrement dans le marché actuel, les entrepreneurs doivent se préparer avant de vendre leur bijou.

« Il faut que sa société soit en ordre, surtout les données financières, mentionne Pierre Shea. Il faut se préparer à toutes les questions qui seront posées pour justifier le prix demandé. On doit aussi déterminer ses attentes : veut-on tout l’argent tout de suite ? Veut-on chapeauter l’acquéreur lors de la transition ? Veut-on rester actionnaire minoritaire ou devenir consultant pour l’entreprise ? »

Face à des fonds d’investissement ou à des entreprises aguerries en fusions et acquisitions, un entrepreneur se retrouve parfois en position de faiblesse lorsqu’il désire se départir de son bébé.

« Généralement, il ne vend qu’une fois dans sa vie, remarque Étienne Brassard, associé en droit des affaires chez Lavery. Il est donc important d’être bien entouré. Souvent, le cédant est mal accompagné, car ses conseillers ne sont pas habitués aux fusions et acquisitions. Parfois, il les embauche trop tard, ce qui crée des irritants, parce que des questions qui auraient dû être réglées beaucoup plus tôt dans le processus entraînent des frustrations dans les négociations. »

Il recommande de se préparer en amont afin de couvrir tous les angles et dégager la meilleure valeur possible pour le cédant. Par exemple, en s’adjoignant l’aide de spécialistes en propriété intellectuelle, ce qui est crucial pour les entreprises technologiques.

« Le plus tôt, c’est le mieux », résume Étienne Brassard.

Que ce soit du côté du vendeur ou de l’acheteur, une transaction demande donc beaucoup de temps, d’argent et d’énergie, une variable négligée, estiment les experts, qui notent qu’il faut également en conserver pour la transition après la signature de l’entente.

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