Marc Tremblay, vice-président exécutif et chef de la direction à gbi (Photo: courtoisie)
GÉNIE-CONSEIL. En juillet 2018, le gouvernement du Québec a déposé un projet de règlement qui, s’il avait été adopté tel quel, aurait donné prépondérance au prix — plutôt qu’à la qualité — dans l’octroi de contrats de services de génie-conseil. Il a été rapidement retiré, mais l’industrie craint aujourd’hui que le gouvernement décide à nouveau d’aller de l’avant avec cette idée.
Pour être plus précis, le projet de règlement visait à modifier le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, qui aurait introduit dans les ministères et organismes publics, comme la Société québécoise des infrastructures (SQI) et le ministère des Transports, des modes d’octroi de contrats de services professionnels favorisant le plus bas prix.
« Ç’a été une catastrophe ; on a reçu un vrai coup de massue sur la tête », se souvient Marc Tremblay, vice-président exécutif et chef de la direction à gbi, une firme de génie-conseil montréalaise.
Similairement, une importante levée de boucliers a eu lieu chez les architectes, qui auraient aussi été affectés par le règlement. L’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ) avait alors jugé que ce texte aurait créé un « précédent inacceptable pour l’octroi de contrats de services d’architecture par tous les ministères et organismes publics ».
En conséquence, les firmes de génie-conseil et celles d’architectes en pratique privée s’étaient opposées solidement au projet. L’AAPPQ avait par exemple mené plusieurs actions pour empêcher l’adoption du règlement. Elle avait entre autres déposé un mémoire présentant les conséquences négatives des modes d’octroi axés sur le plus bas soumissionnaire et appelé ses membres à se mobiliser et à interpeler le Conseil du trésor, qui était responsable du projet. L’industrie du génie-conseil avait aussi fait des pressions.
En fin de compte, le projet avait été abandonné à la fin de l’été 2018.
Favoriser le plus bas prix
Concrètement, qu’aurait changé ce règlement? Il aurait notamment introduit un mode d’octroi de contrat basé sur une formule qualité-prix, avec un paramètre « K » déterminant le poids accordé à la qualité.
À la suite du dépôt du projet de règlement, l’Association des firmes de génie-conseil (AFG) avait commandé une étude à la firme MCE Conseils, qui avait testé la formule qualité-prix, et le paramètre « K » sur des appels d’offres réels tirés du monde municipal. « Le plus bas prix est favorisé dans presque tous les cas, peu importe le poids du paramètre K », avait ensuite résumé le PDG de l’AFG de l’époque, André Rainville, dans un billet de blogue publié sur le site de l’Association.
Une réalité que Marc Tremblay déplorait à ce moment, et déplore encore aujourd’hui. « Même si, en théorie, on disait vouloir choisir les professionnels sur une base qualité-prix, dans les faits, on aurait le plus souvent favorisé le plus bas soumissionnaire. »
Selon lui, ce projet aurait non seulement causé un désintérêt des firmes, mais aurait également eu un effet négatif sur la qualité des projets. « D’abord, on n’attire pas des mouches avec du vinaigre, rappelle-t-il. Ensuite, le règlement aurait été une catastrophe parce qu’on le voit dans le monde municipal, où c’est actuellement le plus bas prix qui l’emporte : la qualité n’est plus au rendez-vous. En préférant toujours le moins cher, vous en avez pour votre argent. »
Redéposé cet automne?
C’est donc sans surprise que l’industrie du génie-conseil s’inquiète maintenant du retour de ce projet de règlement. Le mot court en effet à savoir qu’il serait redéposé prochainement.
« On n’a pas de date exacte, mais on a entendu que le projet de règlement serait déposé de nouveau à l’automne. C’est sûr que pour notre association, ça soulève des inquiétudes », admet Bernard Bigras, l’actuel PDG de l’AFG.
Pourtant, à l’été 2018, avant d’être portée à la tête du gouvernement, la Coalition avenir Québec (CAQ) avait pris position contre la règle du plus bas soumissionnaire. « Par conséquent, on ne comprend pas tout à fait pourquoi ce projet devrait revenir sur la table, et pourquoi maintenant », poursuit Bernard Bigras.
Questionné par Les Affaires sur un potentiel nouveau dépôt de ce projet de loi, le Secrétariat du Conseil du trésor n’a toutefois pas voulu commenter ou donner d’information à ce sujet. Il n’a pas non plus confirmé ni infirmé que le projet de règlement serait déposé à nouveau ou non.
« Une chose est sûre, il faut bloquer ce genre de règlement, insiste le PDG de l’AFG. C’est une mauvaise idée d’appliquer un principe de « cheap labour » à la conception. Ce n’est pas une question pécuniaire pour notre seule communauté d’affaires ; il en va du bon développement de nos infrastructures et de nos collectivités. »