Industries polluantes: WSP sert aussi les derniers de classe
Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑octobre 2022La firme montréalaise a atteint une autre stature depuis, avec 70 000 employés aujourd’hui répartis dans plus de 40 pays. (Photo: 123RF)
GÉNIE-CONSEIL. À la suite de l’acquisition du cabinet spécialisé en environnement Golder, en avril 2021, WSP affirmait avoir créé « la première firme de services-conseils en environnement au monde ». Un an plus tard, le 4 avril dernier, le PDG de l’entreprise, Alexandre L’Heureux, a dit vouloir mettre cette expertise… au service des industries polluantes. Nous avons voulu mieux comprendre ce choix stratégique. Entrevue avec Sébastien Fecteau, dirigeant exécutif du Québec pour WSP.
« WSP n’a pas attendu que le sujet soit à la mode pour s’intéresser à l’environnement et au développement durable », lance le dirigeant québécois. Celui qui compte 17 années de service à WSP remonte aux origines de la création de la firme Genivar — ancien nom de WSP — en 1993. Le groupe de génie-conseil venait tout juste de fusionner avec le groupe Shooner, une firme québécoise réputée en environnement, ce qui avait porté le nombre d’employés à 180.
La firme montréalaise a atteint une autre stature depuis, avec 70 000 employés aujourd’hui répartis dans plus de 40 pays. Elle n’a pas perdu son ADN « environnementale » pour autant. « À l’échelle mondiale, 28 000 de nos professionnels sont spécialisés en environnement, en science de la terre ou dans les questions d’acceptabilité sociale », nous apprend Sébastien Fecteau.
Quarante pour cent des effectifs, donc. Pour atteindre un si haut pourcentage, la firme a été très agressive sur le marché des acquisitions, avec, entre autres, le rachat du cabinet ontarien de services-conseils en environnement Golder en avril 2021 (7000 employés), suivi de l’acquisition, en septembre 2022, de la Division environnement et infrastructures de John Wood Group, désignée E&I (6000 professionnels).
L’entreprise montréalaise se présente aujourd’hui comme un groupe « de gestion et de services-conseils », qui va au-delà de l’« ingénierie pure ». Son équipe de conseillers en critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) est d’ailleurs très active auprès des organisations qui s’intéressent à cette appellation. « Depuis deux ans, beaucoup de dirigeants regardent ces critères avec de grands yeux et se disent : c’est beau, c’est sexy, mais qu’est-ce qu’on fait avec cela ? rapporte Sébastien Fecteau. Nous les guidons à mettre en place leurs politiques et leur gouvernance en matière d’ESG. »
WSP à la rescousse des pollueurs
À l’autre bout du spectre, mentionnons que WSP a aussi l’intention d’aider les « derniers de classe » de la transition énergétique. En avril dernier, Alexandre L’Heureux a déclaré au Cercle canadien de Montréal vouloir « utiliser le savoir technique de WSP — notre excellence — pour changer le monde », ajoutant, dans la foulée, son intention d’« aider les industries [les plus polluantes] à devenir plus sobres en carbone ».
Cette orientation stratégique contraste avec celle de SNC-Lavalin, qui annonçait en 2019 vouloir « sortir du pétrole ». « Nous voulons plutôt aider les entreprises pétrolières et gazières à diversifier leur modèle d’affaires, précise Sébastien Fecteau, pour qu’elles puissent elles aussi, tranquillement, se dissocier de leurs activités les plus polluantes. Si on délaisse ces entreprises-là, elles ne pourront pas faire la transition correctement », insiste-t-il.
Le dirigeant exécutif fait remarquer que le marché albertin cherche actuellement à faire une place à la production d’énergies vertes. « Il y a beaucoup d’appels d’offres en Alberta pour des énergies renouvelables. Historiquement, des entreprises comme Shell et Enbridge ont toujours été présentes sur ce marché, qui est privé. C’est un peu leur terrain de jeu. Or, nous travaillons avec elles pour les aider à développer des parcs éoliens et des parcs solaires, parce qu’elles veulent diversifier leur portefeuille de revenus. »
Plus près, au Québec, WSP a obtenu le mandat d’ingénierie pour la construction de la « bioraffinerie » projetée à Varennes par les pétrolières Suncore et Shell en partenariat avec la firme montréalaise de « technologies propres » Enerkem. Opérationnelle en 2023, l’usine de biocarburants aura pour fonction de transformer des déchets non recyclables — telles des matières résiduelles forestières — en biocarburant à faible intensité de carbone. « C’est un bel exemple de diversification de leur modèle d’affaires », note Sébastien Fecteau.
Jusqu’à maintenant, le pari environnemental de WSP semble être lucratif. Dans une note aux investisseurs, un analyste en valeurs mobilières de la Banque Laurentienne qualifiait le rendement trimestriel de début d’année de la firme montréalaise de l’« une des meilleures performances de toutes les sociétés d’ingénierie publiques ».